La Confrérie du Dragon Eteint

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#1 15-07-2013 16:18:16

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Une lettre noire

Comme à son habitude, l'auberge du Poney Fringant était bruyante, complètement enfumée et exhalait une odeur mêlée d'herbe à fumer, de viande cuite, de vin aigre et de sueur acide. Certains habitués restaient tranquillement dans leur coin se rafraîchissant d'une pinte de bière, d'autres savourant le goût d'une bonne bouffarde devant le feu de la cheminée. Mais la plupart des occupants du célèbre établissement se regroupaient autour des tables, entrechoquant leurs chopes à la moindre occasion de porter un toast. On y trouvait des fermiers qui fêtaient les récoltes qui s'annonçaient meilleures que prévu, des filous qui dépensaient l'argent trouvé dans les bourses de passants peu attentifs, des mercenaires qui liquidaient leur solde en vinasse et des marchands qui scellaient leurs nouveaux contrats en trinquant. A cette table-ci d'ailleurs, on pouvait reconnaître un grand homme brun à la peau mate et aux yeux pâles. La cicatrice qui lui barrait l’œil droit finissait d'identifier un des armuriers les plus réputés de la région, Orolhion Martelame. Attablé avec trois hommes, il enchaînait les pintes pour fêter dignement le contrat d'une douzaine d'armures complètes que les autres lui avaient commandées. Malheureusement pour lui, l'alcool avait toujours autant d'effet sur lui et il était depuis un bon moment, bien près de rouler sous la table ou pis, de signer un contrat proposant toutes les armures gratuitement. C'est à ce moment-ci que la porte de l'auberge s'ouvrit sur une jeune femme en robe rouge et au visage encapuchonné.

A peine fut-elle entrée qu'elle fronça le nez à cause de l'odeur qui l'avait assaillie. Décidément elle ne comprenait pas ce que tous ces gens appréciaient à vivre enfermés ainsi à macérer entre quatre murs. La vie au grand air, le long des routes, voilà ce qui lui plaisait. Mais elle n'était pas là pour comparer les modes de vie. Elle devait le voir. La jeune femme s'était tout d'abord rendue à son atelier en ville, mais elle n'y avait trouvé qu'un apprenti peu dégourdi qui ne l'avait pas vu depuis trois jours. Elle aurait pu jouer un peu avec lui mais il était beaucoup trop laid pour qu'elle veuille s'y attarder. Il lui indiqua néanmoins que son maître partait souvent en voyage, on ne sait où, sans prévenir et revenait les bras chargés de commandes et des chariots de minerais « qu'on n'en trouv'pas du com'ça par'ci m'dame » le suivant de près. Quand elle grogna de dépit face au peu d'information, le gamin prit peur et lui dit qu'on trouvait souvent des amis à lui à l'auberge de Bree. Ils sauraient peut-être où le trouver. Sa colère chutant d'un coup, elle gratifia même ce garçon qu'elle trouvait si laid d'une bise sur la joue avant de partir d'un pas décidé et bien peu féminin en direction du Poney Fringant. Et c'est ainsi qu'elle débarqua ici. Comment allait-elle réussir à obtenir des informations sur lui ? En demandant à l'aubergiste qui semblait aussi rubicond que ses clients? En posant des questions aux brutes avinées qu'elle voyait un peu partout dans la salle ? Elle n'avait qu'une envie, c'était de ressortir de cet antre puant pour respirer un grand bol d'air et elle était sur le point d'y céder quand un bruit de chute la fit reconnaître quelqu'un. Un homme à la peau mate venait de tomber de son banc et tentait bien maladroitement de remonter dessus sous le rire de ses trois comparses qui semblaient tout autant alcoolisés. La chance était avec elle. Elle était venue pour savoir comment le retrouver et il était là ! Un grand sourire de satisfaction apparut sous son capuchon et elle se murmura : « Je t'ai retrouvé frangin ».

Bien imbibé d'alcool, Orolhion n'avait plus qu'une vague conscience de ce qu'il faisait. Il se relevait difficilement et vérifia machinalement s'il ne s'était pas fait mal dans sa chute. Le gaillard était suffisamment bâti pour ne risquer qu'une blessure d'amour propre d'une telle chute, mais la boisson l'avait même immunisé à cela. La seule chose qu'il risquait réellement ainsi était l'ire de son épouse quand il rentrerait à la maison. Comme d'habitude, elle ne serait pas réellement en colère mais l'inquiétude et les reproches qu'il verrait dans son regard suffiraient amplement. Mais dans son état actuel il ne s'en souciait pas encore. Ce qui lui importait le plus pour le moment, c'était de se rasseoir sur le banc sans en tomber à nouveau et surtout sans renverser sa chope. Malgré le fait que l'auberge tanguait dangereusement, il réussit à se laisser tomber sur le banc sans trop de mal. Malheureusement il était déjà trop tard pour sa pauvre pinte qui avait répandu tout son précieux liquide lors de sa première dégringolade. Ne se laissant pas décontenancer, Il prit la chope et se redressa vivement, au risque de s'écrouler à cause du roulis, puis cria en direction de l'aubergiste :

    « Prosper !
    Sert moi d'la bière !
    Dans un grand verre !
    Ou gare à ton derr... »

Il s'arrêta net quand il remarqua une jeune femme en robe rouge se diriger vers eux. Elle était menue mais impossible de dire si elle était jolie ou non. La plus grand partie de son visage était enfoncée dans l'ombre d'un capuchon et tout ce qu'il vit d'elle fut sa peau aussi mate que la sienne. Un peu plus même. Une suderonne sans doute. Tandis qu'elle se dirigeait vers lui, il descendit de son banc. L'auberge semblait avoir cessé de tanguer. Prosper quant à lui se contenta de servir une bière et de la faire apporter à la table. Il n'avait jamais été doué pour les rimes, ce brave Prosper.

Orolhion n'avait pas été le seul à remarquer la jeune femme. Un homme s'était levé et la suivait de près. Quand il lui mit une main aux fesses, la gifle qu'il reçut dans l'instant l'envoya à terre sous les rires gras de ses camarades. Le geste du malotru l'avait rendue folle de rage et elle fusilla du regard en direction de l'armurier qui s'était assis en riant aussi de la scène. Le regard coupa net son amusement et il comprit d'instinct que cette jeune femme venait pour lui et qu'il risquait de passer un sale quart d'heure. Elle se planta devant lui, le visage toujours dans l'ombre.

    « Enfin je te retrouve. Si tu savais le temps qu'il m'a fallu pour venir jusqu'ici. Et ton balourd d'apprenti qui me dit que j'avais peut-être fait tout ce chemin pour rien. »

Pendant que la femme parlait, Orolhion se demandait bien qui elle pouvait être et ce qu'elle lui voulait. Sa voix lui disait bien quelque chose, mais ses souvenirs s'étaient perdus dans des brumes alcoolisées. Un de ses nouveaux clients se décida à prendre la parole.

    « Et bien m'sieur Martelame, si vous nous présentiez la donzelle ? C'est vot'dame ? Ou bien une amante ? »

L'homme était sur le point de rire de ce qu'il pensait être un bon mot, mais les regards glacés et conjoints de la jeune femme et de l'armurier lui firent replonger le nez dans sa chope. Le plaisantin calmé, leurs regards se croisèrent à nouveau et Orolhion entreprit de détailler comme il put la jeune femme. Il avait déjà aperçu sa peau mate et, maintenant qu'ils étaient plus proches, il apercevait derrière l'ombre du capuchon, des yeux d'un bleu pâle glacé. Et juste là, dépassant presque, une mèche de cheveux bruns... L'homme écarquilla les yeux quand il la reconnut enfin. L'alcool venait subitement de se dissiper. Son regard devint alors sévère et son ton peu amène.

    « Messieurs. Je vous présente ma sœur. Enfin ma demi-sœur plus exactement. »

Les trois hommes la saluèrent d'un signe de tête mais comprirent rapidement à la voix d'Orolhion, qu'il ne fallait guère en faire plus.

    « Qu'est ce qui t'amène ici ? Ici ce n'est pas ton monde. Retourne donc au sud avec les tiens. »

La fureur émanait littéralement de la jeune femme. D'une poche de sa robe, elle sortit une enveloppe noire qu'elle lui plaqua sur le torse.

    « Voilà ce qui m'amène ici. Les tiens t'appellent au sud justement. Et pour ta gouverne, ici non plus ce n'est pas ton monde et tu le sais bien. »

Elle fit demi-tour et sortit de l'auberge aussi vite qu'elle le put, laissant Orolhion avec une lettre noire dans les mains. Il décacheta l'enveloppe pour en sortir un pli, qu'il prit grand soin à ne dévoiler à personne. Après avoir lu la missive une bonne dizaine de fois et être passé par plusieurs teintes, du rouge de la fureur, au blême de la stupeur, il finit par se lever et se dirigea vers la sortie. Arrivé devant la porte, il fit demi-tour et vint poser une bourse garnie sur la table ainsi qu'une plus petite à côté.
   
    « Messieurs, votre commande est annulée. Voici votre or et un petit complément pour les consommations de ce soir. »

Cette fois-ci il franchit la porte et respira à pleins poumons. Il s'était habitué à cette vie en ville, mais force était de  reconnaître qu'elle avait raison. Il n'était pas dans son élément ici.

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#2 19-07-2013 18:05:42

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Une lettre noire

En catimini

    C'était un bon cheval et plus que cela encore.
    Grand et massif, les chevaux d'ici paraissaient d'humbles poneys à ses côtés. Orolhion l'avait récupéré au Rohan en paiement pour quelques travaux de forge dans un village. Il avait d'abord cru que c'était une affaire en or, les chevaux du Rohan étant réputés, mais rapidement il déchanta quand il voulut le monter. Si son corps était celui d'un seigneur des chevaux, son esprit était certainement celui du pire bourricot des Terres du Milieu. Mais aussi têtus l'un que l'autre, ils cherchèrent à s'apprivoiser mutuellement à force mauvais coups l'un envers l'autre, qui faisant avancer le cheval avec une carotte attachée à un bâton, qui donnant un coup de tête pour faire tomber l'homme à l'eau quand il marchait près d'un ruisseau. Mais ce fut quand ils croisèrent une meute d'ouargues sur le chemin du retour qu'ils apprirent chacun la valeur de l'autre. Comme un seul être, ils réduisirent la meute à néant à coups de sabots et d'épée, là où seuls, ils auraient fini en repas pour canidé sauvage. Depuis ce moment une confiance grandissante s'était installée entre eux, même s'ils n'hésitaient pas à jouer un tour pendable à l'autre de temps à autre. Il l'avait appelé Danseur à cause de ses caracoles incessantes, mais aujourd'hui c'était le paysage qui dansait devant les yeux d'Orolhion. Si son esprit s'était désincarcéré des brumes de l'alcool, son corps en était encore loin et la fatigue le gagnait de plus en plus. Le pas du cheval le berçait petit à petit, si bien qu'il finit par enfouir son visage dans sa crinière et à lui chuchoter « je compte sur toi pour nous ramener à la maison mon grand » avant de s'endormir, les bras ballants autour du col de l'animal.

    Un hennissement le réveilla alors qu'ils arrivaient en vue de la butte d'où dominait la maison qu'il avait achetée pour vivre avec sa femme. La nuit était déjà bien avancée et l'on ne distinguait plus aucune lueur aux fenêtres. Heureusement le ciel était clair et la lune brillait de milles feux, permettant à l'homme de diriger sa monture dans le jardin sans massacrer le jardin si cher à sa douce. L'animal s'arrêta non loin d'une fontaine à grand bassin, véritable pièce principale du jardin -en dehors de la maison elle-même- et d'un mouvement brusque, désarçonna son cavalier qui tomba à l'eau, encore trop fatigué pour réussir à se maintenir en selle. Ses affaires étaient florissantes et lui procuraient de grands moyens qu'il n'hésitait pas à utiliser pour offrir à son épouse une demeure digne d'elle, mais jamais il n'avait autant regretté d'avoir fait installer cette fontaine. Assis dans l'eau, il jeta un regard sombre au cheval qui jouait l'innocent à la perfection tout en s'abreuvant au bassin.

    Tournant sans cesse dans leur grand lit, Mildwyn cherchait péniblement le sommeil. Sa présence lui manquait mais elle se disait, comme à chaque fois qu'il partait en voyage, qu'elle devrait s'y habituer, son mari n'étant pas homme à rester en place. Et pourtant, comme à chaque fois, les nuits lui étaient pénibles et interminables. Un hennissement lui fit brusquement ouvrir les yeux. Avait-elle rêvé ? Ou bien l'aube annonçait-elle déjà que certains sortaient de leurs demeures ? L'obscurité était encore trop prononcée pour que ce soit cela. Des claquements de sabots lui parvinrent. Non, elle ne rêvait pas, un cavalier approchait. La jeune femme se leva et risqua un œil par un interstice du volet. Elle regarda au loin les traces d'un cavalier en vain, mais un « plouf » attira son regard beaucoup plus près, dans le jardin. Quelqu'un était tombé dans le bassin au côté duquel se trouvait un cheval imposant. Une telle carrure ne s'oubliait pas et un sourire se dessina sur ses lèvres quand elle reconnut Danseur. Son maître n'était jamais loin et le faire tomber était un de ses tours préférés. Comment devait-elle réagir à son retour ? Devait-elle le rejoindre tout de suite ? L'attendre à l'entrée, prête à lui sauter au cou ? Ou l'attendre sagement sous les draps en feignant d'être endormie ? Elle ne tenait plus en place, passant toutes les différentes options possibles à toute vitesse dans son esprit. Un nouvel hennissement. Il avait dû desseller son cheval et ne tarderait certainement pas à franchir la porte. Tandis que le verrou grinçait en tournant, Mildwyn dévala l'escalier sans réfléchir et la porte à peine ouverte sauta au cou de son mari, les faisant s'écrouler et rouler dans le jardin pour finir dans un parterre de fleur.

    Le dos calé contre une motte de terre et surplombé par une furie (ou une femme amoureuse allez savoir) qui lui couvrait le visage de baisers, Orolhion ne put s'empêcher de rire. Qu'il était bon d'être de retour à la maison. Tant qu'elle était ici, il aurait toujours une raison de revenir. Elle était son point d'attache. Il décida d'oublier tout ce qui se profilait pour les jours à venir et rendit un long baiser à son épouse. Reprenant leurs souffles front contre front, ils ne communiquaient qu'en regards et sourires malicieux.
    « Tu as un goût d'alcool » lui dit-elle soudainement « Et l'odeur aussi » ajouta-t-elle en fronçant le nez. « Tu es donc parti trois jours juste pour te saouler ? »
    L'armurier baissa les yeux, un peu honteux sous les reproches de sa dame avant d'essayer de se défendre comme un enfant pris la main dans le bocal à gâteaux.
    « Mais non ! Ce n'est pas de ma faute ! C'était la seule méthode de transaction commerciale qui marchait avec eux... et puis après ils ont voulu fêter le contrat... je ne pouvais pas refuser... pour ne pas perdre ces clients tu vois... Je t'assure que je ne voulais pas boire autant... ils m'ont forcé à le faire... » mentit-il très mal.
    La brunette ne savait pas lui en vouloir bien longtemps, même quand ses mensonges étaient si énormes que la maison paraissait petite à côté. Elle les trouvait même mignons.
    « Oh mon pauvre pauvre Orolhion. Tu es une pauvre victime innocente. Viens donc là que je t'embrasse pour te réconforter de cette mésaventure » dit-elle d'une voix enjôleuse tout en lui passant les bras autour du cou avant de l'embrasser langoureusement. Il n'était pas dupe et savait très bien qu'elle ne croyait pas un mot de son mensonge mais la situation s'arrangeait d'elle-même de fort agréable façon. Sans rompre le contact de leurs bouches, elle lui déboutonna son gilet et passa ses mains sur son torse puis sur ses épaules et d'un geste fit glisser le vêtement au sol. Elle se redressa alors vivement, laissant son mari surpris.
    « Allez maintenant, enlève-moi tout ça et va prendre un bain avant de dormir. Tu devras être en forme demain pour m'aider à remettre ce parterre en état » lui dit-elle en désignant le morceau de jardin ravagé par leur chute. Elle repartit vers la maison avec le gilet de son époux. Dans la nuit, on ne distinguait pas le bout de papier noir qui dépassait d'une poche. Lâchant un soupir de résignation, l'homme se releva, frotta pour enlever autant que possible la terre de son pantalon encore trempé de son bain forcé dans la fontaine, puis se dirigea vers le puits pour récupérer de l'eau à chauffer pour remplir un baquet. Après quelques allez-retour, seaux aux poings entre le puits et la maison, et que l'eau eut chauffé, Orolhion se retrouva immergé dans un bain brûlant. Les yeux fermés et la tête appuyée contre le bord du baquet, il savourait ce moment. La chaleur détendait ses muscles et chassait les dernières brumes d'alcool de son esprit. Des clapotis le firent ouvrir les yeux brusquement. Nue comme au premier jour, son épouse vint se glisser dans l'eau tout contre lui.
    « Tu n'espérais pas t'en sortir si facilement j'espère » lui susurra-t-elle à l'oreille. Ils ne dormirent pas beaucoup cette nuit-là.

    Le visage perdu dans les cheveux de sa belle, Orolhion l'écoutait respirer du souffle paisible que procure le sommeil. Il aurait voulu rester éternellement ainsi mais il ne le pouvait pas, il le savait. Il s'écarta d'elle et se leva en prenant soin de ne pas l'éveiller. Il savait qu'en partant cette fois, il ne reviendrait peut-être jamais et avait voulu la voir au moins une dernière fois. En silence il s'habilla d'un habit de voyage sombre en toile solide, d'une cape à large capuchon de la même teinte et descendit l'escalier. Avant de sortir de la maison, il remplit un sac de voyage de rations et prit sa grande épée. Il voulait voyager légèrement et rapidement et ne pouvait s'encombrer d'une armure. Il n'avait d'autre choix que de devoir frapper fort si le besoin s'en faisait ressentir. Et il savait qu'il en aurait besoin. Quand il mit un pied à l'écurie, son cheval ne fit aucun bruit mais se contenta de s'approcher de lui et de plaquer sa tête contre le torse de son maître. Il se doutait qu'il se passait quelque chose. Orolhion se contenta de lui dire merci tout en lui flattant le cou. Une fois l'animal harnaché, L'homme l'enfourcha et partit au pas vers l'aventure. Il s'en voulait intérieurement de partir ainsi. Il avait toujours été prompt à juger ceux qui partaient sans donner signe de vie à leur épouse, mais il se rendait bien compte qu'il ne valait guère mieux. Il ne trouvait tout simplement pas le courage de lui dire qu'il devait partir et qu'il ne pourrait probablement jamais revenir.

    Le cavalier sombre qui quittait le jardin n'avait pas remarqué la silhouette de son épouse qui l'observait sur le pas de la porte. Elle tenait dans sa main la lettre noire qu'elle avait découverte dans le gilet de son mari la veille au soir. Elle savait qu'il n'avait pas le choix bien que cela lui déplut. La question qu'il restait à régler était ce qu'elle allait faire maintenant.

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Merci à Mildwyn de m'avoir autorisé à écrire à sa place^^
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#3 05-08-2013 23:37:35

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Une lettre noire

Réveil et Rêves


    Un rayon de soleil se faufila à travers le branchage et vint s'écraser sur son œil avec insistance tant et si bien qu'il la força à sortir du sommeil. Tout en maugréant, elle s'extirpa du lit de feuilles dans lequel elle s'était camouflée pour passer la nuit. Les lieux étaient réputés pour abriter un groupe de bandits et si elle se doutait que le maigre contenu de sa bourse ne les contenterait au final que peu, ils préféreraient probablement se payer d'une autre manière avec sa personne. Déjà la veille, en quittant le ville de Bree, elle s'était sentie observée puis suivie. Malheureusement pour ses poursuivants, elle était très douée pour grimper aux arbres, se cacher et passer inaperçue. Des talents qu'elle avait appris sur la route en compagnie de son père et de son frère. Elle n'avait jamais eu la force de leurs bras  - l'attendrait-on d'une femme? -  mais elle n'avait jamais voulu rester à l'écart sous ce prétexte. Quand on vit sur la route soit on sait se montrer fort, soit on reste dans sa carriole et on ne sert qu'à faire les repas, et force lui était d'avouer elle-même qu'elle était bien piètre cuisinière. Elle avait donc appris à agir en douceur, sans se faire repérer et à frapper au moment opportun. Elle aurait pu faire une bonne éclaireuse si son sens de l'orientation n'était pas si désastreux et aujourd'hui encore, elle s'en mordait les doigts.
    Depuis le sud lointain, elle avait suivi des caravanes marchandes en passant par les Montagnes Blanches, rejoignant Tharbad et enfin Bree au bout du Chemin Vert. Le convoi qu'elle venait de quitter continuait sa route jusqu'au Pays de Touque pour récupérer de l'herbe à fumer avant de repartir vers le sud d'ici quelques semaines. Elle ne savait pas à quoi ressemblait ce Pays de Touque ni ce qu'était l'herbe à fumer mais elle apprit bien vite ce que c'était en cours de route quand un des marchands lui proposa d'y goûter. Sa première prise lui arracha une quinte de toux et lui fit jurer qu'elle détestait ça, mais bien rapidement elle y prit goût. Quel dommage que le marchand perdit sa blague en cuir rouge quelques jours plus tard. Elle lui en aurait bien demandé un peu plus. Une fois à Bree, elle chercha ce frère qu'elle connaissait à peine mais qui lui avait paru antipathique les rares fois qu'elle le vit. Cette fois encore, il ne lui avait pas fait bon accueil. Elle se doutait bien pourquoi il était toujours en colère mais elle, elle n'y était pour rien. Était-ce sa faute si leur père s'était fait passer pour mort pour rejoindre sa mère à elle? Ne voulant pas profiter plus que cela de la rancune qu'il dégageait, elle avait décidé de partir à peine la lettre, qui était la cause de son si long voyage, entre ses mains. Tout ce à quoi elle aspirait était le souffle chaud des vents du sud quand ils balaient la route, ou ce qui en fait office. Pas question d'attendre que la caravane revienne de ce pays de fumeur d'herbe. Elle savait se débrouiller sur la route, elle irait plus vite en prenant déjà de l'avance et trouverait bien une caravane en route, ou un abruti qui ne saurait s'empêcher de sauver une "demoiselle en détresse", seule, perdue sur cette longue route. Elle sortit donc de la ville en direction du Sud. Enfin en espérant que ce soit bien le sud.
    Adossé à la palissade et croquant tranquillement dans une pomme, un jeune freluquet vit une femme en robe rouge sortir à grands pas de la ville. La robe ne semblait pas particulièrement riche, mais toutefois d'une qualité sensiblement supérieure à ce que l'on trouvait dans le commun d'ici. Cela présageait d'une bourse plus ou moins alourdie. Et puis une femme seule c'est une proie si facile qu'il serait dommage de s'en priver. Si la fille se montrait avenante, il en profiterait peut-être même un petit peu. Quand elle se fut éloignée suffisamment, il jeta son trognon par dessus la palissade et entreprit de la suivre à une certaine distance qu'il réduirait dès qu'un endroit suffisamment couvert leur offrirait un peu... d'intimité. Sans la quitter des yeux, il s'imaginait les différentes façon qu'il aurait de l'aborder. Peut-être tel un prince des voleurs, lui déroberait-il sa bourse d'une main et le cœur d'un regard? Il écarta rapidement cette hypothèse, son bec de lièvre seyant très mal avec son image de beau prince. En l'intimidant? Ça pouvait être une bonne option. La violence marcherait aussi très bien, même s'il eut été dommage d’abîmer un minois de dame. Une première ruine à l'abri sous le feuillage se présenta bientôt. Un endroit parfait pour perpétrer quelque forfait. La fripouille commença à peine à accélérer le pas que la femme en rouge bifurqua vers les ruines et disparut à sa vue. Tout en jurant, il fit le tour des ruines mais impossible de remettre la main dessus. Elle s'était tout simplement volatilisée. Il leva les yeux au ciel pour jurer une fois de plus mais aucun son ne franchit ses lèvres. Son regard avait croisé un morceau d'étoffe rouge parmi le feuillage des arbres. S'approchant en douceur du tronc, il bondit pour attraper le bout de robe qui dépassait dès qu'il fut à portée. Cette fois-ci ce furent des jurons d'une voix féminine qui fusèrent. Un pied vint s'écraser sur le nez de l'assaillant tandis qu'elle chutait de l'arbre, l'envoyant pour un moment au pays des songes. Elle ne perdit pas de temps à vérifier l'état de son agresseur avant de prendre la fuite tout en grommelant sur la stupidité de devoir porter une robe pour se fondre dans la foule des villes. Quand vint la nuit, elle décida de s'organiser une cachette au creux d'un arbre. Elle fabriqua un abri sommaire contre l'arbre avec quelques vieilles branches tombées à terre. Rien de bien grand, juste de quoi se tenir en boule dessous. Avant de s'y glisser, elle le recouvrit de terre, de feuilles mortes et de mousses. Afin de parfaire le camouflage si quelqu'un repérait sa cache, elle retira sa robe rouge qui l'avait déjà trahie et la rangea sous une pierre, puis se frotta le corps de terre. Satisfaite de son subterfuge, elle se roula sous son abri et s'endormit. A son réveil, le soleil filtrait déjà à travers quelques branches.
    Après s'être débarbouillée rapidement de la terre qui la maculait, la jeune femme enfila à nouveau sa robe rouge. Elle aurait bien préféré reprendre sa tunique de cuir autrement plus pratique pour voyager, mais son frère aîné avait insisté sur le fait qu'elle devait paraître comme une femme normale pour ce voyage. Elle rit doucement en l'imaginant lui-même à l'allure si martiale obligé de porter une robe. Après tout, c'est lui qui avait besoin de leur autre frère, pas elle. Son rire fut malgré tout de courte durée. Dans sa fuite elle avait couru sans réfléchir à la direction et maintenant elle ne savait plus vraiment où elle était. Il y avait bien une vague route parsemée d'herbe non loin, mais était-ce la route qu'elle devait suivre? Ça elle n'en savait rien. Après quelques temps d'indécision, elle finit par décider de suivre cette voie. Après tout, elle devait bien mener quelque part.
    Son esprit vagabondait tandis que son corps allongeait les pas quand un bruit de sabots la ramena à la réalité. Un cavalier approchait. Rapidement elle se précipita sur le côté de la route pour se camoufler comme elle put derrière un petit rocher, tout en maudissant sa robe rouge si voyante. Elle risqua un œil sur le chemin pour voir arriver un cavalier vêtu de noir, la tête couverte d'une capuche aussi sombre. Par dessus son épaule dépassait la longue poignée d'une épée. Était-ce un brigand de plus, ou bien un de ces mercenaires qui voyageaient de long en large à la recherche d'un contrat quelque soit le camp? Ou bien était-ce peut-être l'abruti qui ne laisserait pas une jeune femme en détresse seule sur la route dont elle espérait tant pouvoir abuser pour l’amener le plus près possible de sa destination? Elle décida de tenter sa chance et sortit du couvert pour se présenter à lui tandis que sa monture passait au pas non loin. Le cavalier s'arrêta net en l'observant depuis l'obscurité de son capuchon.

        «  Messire ! S'il vous plaît, aidez moi! Des bandits m'ont pourchassée et je me suis perdue. Oh s'il vous plaît messire aidez-moi à sortir de cet endroit pour retrouver ma famille. » fit-elle de sa plus belle voix plaintive.

    L'homme garda le silence sans cesser de l'observer. Ce regard la dérangeait et elle crut avoir fait une grosse erreur en se montrant à cet homme. Sans doute était-il lui aussi un bandit qui ne pensait déjà qu'à profiter d'elle après l'avoir délestée de sa bourse. Elle s’apprêtait à s'enfuir à nouveau quand le cavalier prit enfin la parole.

        « Le coin est réputé pour ses bandits, mais je doute qu'une… dame... telle que vous ait vraiment à craindre d'eux. Toutefois si vous êtes réellement perdue, je veux bien faire un bout de route avec vous. M'est avis que nous allons dans la même direction. » dit-il d'un ton moqueur.
        « Mais avant de vous laisser monter il faudra vous présenter à Danseur, mon cheval. C'est une brave bête mais il a son caractère et il n'aime pas prendre en croupe ceux qu'il ne connaît pas. »

    La jeune femme était intriguée. Il semblait la connaître mais son capuchon déformait son visage et sa voix et l'empêchait de le reconnaître. Cependant la curiosité l'avait toujours emporté chez elle. Et puis, si le cheval était vraiment caractériel mais se laissait tout de même monter, c'est que son maître ne devait pas être si mauvais que cela. Elle s'approcha de la monture et posa une main délicate sur sa tête.

        « Alors comme ça tu t'appelles Danseur? Enchantée. Moi c'est... » elle parut hésiter « ... Carild. Tu veux bien m'emmener chez moi? »

    L'homme se mit à rire puis abaissa son capuchon, dévoilant le visage de ce demi-frère qu'elle trouvait si désagréable.

        « Carild c'est ça? Si tu as envie que je t'appelle ainsi maintenant, ça me va. Chacun ses petits secrets après tout.  Allez viens! Il y en a un qui nous attend, loin au sud » dit-il en lui tendant la main.

    La surprise passée de voir là son frère, elle sentit la colère monter en elle. Il s'était joué d'elle, sans lui dire qui il était. Mais son énervement partit aussi vite qu'il était venu. Elle savait qu'elle n'aurait pas pu trouver meilleur protecteur pour ce voyage de retour. Elle saisit sa main et grimpa derrière Orolhion. Elle passa ses bras autour de lui pour se maintenir tandis que la monture reprenait son pas. Le roulis occasionné la berça tout doucement et sa tête vint s'appuyer contre le cavalier. Avant de s'endormir, elle trouva qu'il avait les épaules aussi larges que celles de leur père. Elle plongea alors dans des rêves de son enfance, cette époque où elle ne le connaissait pas encore et où elle ne savait pas encore ce qu'ils étaient.

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#4 15-08-2013 14:17:03

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Une lettre noire

Des chemins


    A part lui, le camp était désert. Au centre de la petite clairière un feu de camp mourrait tranquillement, éclairant à peine les vestiges de la nuit qui s'achevait. A côté une couverture froissée marquait l'endroit où il avait dû passer la nuit. Aucune marque alentour n'indiquait la présence de quelqu'un d'autre. Pas même une petite feuille mal placée. Orolhion aurait pu s'inquiéter de ne voir ici aucune trace de sa sœur mais un autre problème occupait son esprit : il ne se souvenait pas comment il avait atterri ici ni où était cet ici. Il jeta son regard tout autour de lui mais ne vit rien de plus qu'une clairière circulaire, un feu de camp et une couverture. Il sursauta en réalisant qu'il manquait plus que sa demi-sœur dans cet endroit. Danseur, son cheval, n'était pas présent non plus. Son épée aussi avait disparu. Il ne lui restait que ses vêtements et encore semblaient-ils plus usés que ce qu'il croyait. D'abord pris de panique, il commença à fouiller dans la clairière armé d'un brandon à peine rougeoyant qu'il avait extirpé du feu. Il ne trouva rien de ce qu'il cherchait mais fit tout de même une trouvaille qui le laissa perplexe. Une enveloppe noire.

    Il faisait de plus en plus clair alors qu' il s'installait sur la couverture mais aucun soleil ne vint montrer ses rayons. Juste un ciel gris. Orolhion tenait fermement l'enveloppe entre ses mains comme si elle pouvait s'envoler et ainsi refuser de lui dévoiler les secrets qu'elle semblait contenir. Il l'examina attentivement sans oser l'ouvrir. A part sa couleur noire, il repéra une légère surimpression sur le pourtour qui semblait figurer un marteau. Ce symbole, il l'avait déjà vu deux fois auparavant. D'abord sur un carnet qu'il avait hérité de son père et qu'il n'avait toujours pas réussi à déchiffrer, ensuite sur la lettre tout aussi noire que sa sœur lui avait apporté voilà quelques jours. D'ailleurs rien n'aurait pu distinguer les deux enveloppes si ce n'était le sceau rouge sombre qui fermait celle-ci et sur lequel on retrouvait le même symbole du marteau. Son aspect ne rappelait en rien la cire qu'on utilisait habituellement. Il était plus sombre, plus brillant et semblait plus fluide. L'homme caressa le sceau avec l'index. Des rides apparurent à sa surface à mesure que le doigt le parcourait, brouillant le symbole comme l'aurait fait un caillou jeté dans une mare du reflet de la lune. Petit à petit, l'image redevint nette et il ne subsista du passage du doigt qu'une légère trace rouge sur le bout de l'index. La substance était un peu gluante et dégageait une légère odeur de fer. Lentement il porta son doigt à ses lèvres. Le goût de métal confirma ses craintes. Le sceau était composé de sang.

    Orolhion resta un long moment à regarder l'enveloppe sans oser rompre l’emblème sanglant qui la scellait. A force de l'observer il lui semblait voir le sceau onduler légèrement, comme de minuscules vaguelettes. A bout de nerfs, il balaya le symbole d'un revers de la main. Il n'opposa aucune résistance et les résidus du sceau s'écrasèrent contre les braises ce qui raviva le feu quelques secondes. Passant la main sur l'enveloppe, l'homme souligna le rabat du doigt, n'osant pas encore tout à fait l'ouvrir. Se décidant enfin, il glissa son pouce sous le rabat pour le déplier et découvrit enfin ce qui s'y cachait. Une plume noire. Une simple plume noire. Quand il la saisit, il eut l'impression que la plume cherchait à s'envoler mais il maintint fermement sa prise. Du moins jusqu'à ce qu'un fort pincement à son autre main lui fit tout lâcher dans un cri de douleur. L'enveloppe avait disparu pour laisser la place à un crébain à qui avait certainement dû appartenir la plume et qui entreprenait de donner de grands coups de bec dans la main d'Orolhion. Débarrassé de son entrave, l'oiseau s'envola dans un croassement pour se poser à une centaine de mètres de là. Sans réellement savoir pourquoi, Orolhion se décida à le suivre, comme mû par une volonté autre que la sienne. Le crébain sautilla en le voyant s'approcher puis s'envola une centaine de mètres de plus. L'homme se rapprocha un peu plus mais sa cible se retrouva d'un coup d'aile encore hors de portée. Le manège se répéta au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient du couvert des arbres puis l'oiseau s'accrocha à une branche et pénétra plus profondément dans la forêt, disparaissant ainsi de la vue de son poursuivant.

    La limite de la clairière était formée d'arbres tordus, couverts de lierres desséchés et serrés au point d'avoir transformé la clairière en prison dont il n'existait aucune issue autre que le ciel. Encore que ce ciel gris était tellement menaçant qu'il n'aurait pas voulu s'y envoler s'il avait pu. De derrière le rempart il entendait l'oiseau croasser un rire moqueur. La colère le submergea et il entreprit de se frayer un chemin en abattant un arbre à coup de poings et d'ongles, son épée lui faisant défaut. Les mains ensanglantées et harcelé par le ricanement incessant du crébain, Orolhion dut se faire une raison, il n'y arriverait jamais ainsi. Peut-être que passer au travers des branchages serait plus aisé. Ignorant la douleur, d'ailleurs il ne la sentait pas, il s’agrippa à une branche et se mit à escalader l'arbre qui lui faisait face, cherchant des prises au sein des lianes qui couraient à sa surface. En moins de temps qu'il n'aurait cru mettre, il se retrouva au milieu d'un océan de feuille mortes, bercé par l'odeur doucereuse de sous-bois qui imprégnait les lieux. L'oiseau ne ricanait plus, non, mais son croassement s'éloignait tandis qu'il avait repris son chemin dans les branches. Orolhion ne vit jamais l'oiseau s'envoler tant le feuillage était dense mais il se décida tout de même à suivre ses cris. Il chercha d'abord à raffermir ses appuis puis doucement, très doucement, il se tendit vers d'autres branches épaisses. Il passa ainsi lentement d'arbre en arbre en direction de l'oiseau, quand un crac sonore mit fin à sa progression. Une branche morte venait de se briser sous son poids et l’entraîna dans sa chute. L'impact fut violent et un nouveau crac se fit entendre. La douleur l'empêcha de s'évanouir. Il savait bien que ce n'était pas une branche qui avait cédé cette fois, mais son bras gauche sur lequel il avait atterri. Le crébain vint se poser sur lui, et l'observa en tournant régulièrement la tête, comme s'il se demandait s'il allait pouvoir se nourrir bientôt. Il fut bien vite chassé par un mouvement de bras et par un cri de douleur. Refusant de finir en garde manger pour charognard, Orolhion se releva tant bien que mal, avec force grimaces et grognements. Regardant autour de lui, il se rendit compte qu'il se retrouvait sur un chemin qui serpentait au cœur de la forêt et que l'emplumé l'attendait patiemment sur une branche.

    Le crébain lui portait de plus en plus sur les nerfs, mais apparemment il voulait lui servir de guide et lui montrer quelque chose. Le bras gauche pantelant, il le suivit le long du chemin sur une longue distance. Il avait l'impression de tourner en rond, tant rien ne ressemble plus à un arbre qu'un autre arbre mais pourtant il suivait l'oiseau sans réfléchir. Soudain ce dernier s'arrêta comme aux aguets. Un grondement, d'abord léger puis de plus en plus fort s'élevait de la forêt derrière eux. Des vibrations traversèrent le chemin et des craquements se firent entendre. Cela semblait se rapprocher de plus en plus et quand Orolhion se retourna son cœur manqua un battement. Des racines s'extirpaient du sol pour recouvrir le chemin et les arbres suivaient leurs mouvements. Le crébain et l'homme prirent la fuite dans un même élan. L'oiseau ne chercha plus à se poser de branche en branche et s'envola le long du chemin, tandis qu'Orolhion courait à toutes jambes malgré les élancements de son bras. Le chemin déboucha sur une falaise et l'homme s'arrêta de justesse, prêt à tomber, alors que la forêt se refermait derrière lui, reformant un rempart végétal infranchissable. Le crébain ne s'arrêta pas et continua son vol au loin. L'horizon vers lequel il s'envolait était très sombre et même noir à certains endroits. Seuls deux points lumineux tranchaient dans l'obscurité. L'un était d'un blanc léger, chaleureux mais semblait terriblement fragile, l'autre était rouge orangé, brûlant et menaçant. En contrebas un chemin se séparait en trois. Deux menaient vers les lueurs tandis qu'un troisième, bordé de ronces, se perdait dans l'obscurité totale. Le crébain continua son vol en direction de la lumière rougeoyante pour finir par se poser sur l'épaule d'une personne qui arpentait ce chemin, avant de planter son bec dans sa joue sans générer la moindre réaction. Orolhion reconnut la personne comme s'il se trouvait à côté d'elle. Les coups de bec ne pouvaient pas lui faire grand chose car il était mort depuis quelques temps déjà. Cela ne semblait pas l'empêcher de continuer à se diriger vers la lueur. Le ferronnier entreprit de chercher d'autres arpenteurs de ces chemins. Il fut tellement occupé par cette tâche qu'il ne vit pas les arbres se rapprocher lentement de lui. Il lui sembla reconnaître cinq personnes en tout. Son frère suivait les traces de leur père et, marchant d'un pas plus vif, s’apprêtait à le dépasser. Deux autres, un homme et une femme, gardaient la voie plus claire, interdisant quiconque de l'emprunter. Il ne pensait pas les connaître mais quelque chose dans leurs traits ne lui était pas inconnu. Sur le sentier bordé de ronces, une autre personne morte avançait lentement. Celle-là, il ne la connaissait que trop bien et porté par l'émotion de la revoir, il ne put s'empêcher de crier à son attention "Maman" ! Mais elle ne réagit pas plus qu'aucune autre personne en contrebas. Enfin, un peu avant l'embranchement séparant les trois chemins, sa sœur restait immobile, comme hésitant à choisir sa voie. Il ne les vit pas venir, mais les branches se rappelèrent à son bon souvenir quand d'un violent fouetté il fut projeté du haut de la falaise. La chute lui parut durer une éternité, si bien qu'il sut que cette fois-ci il ne s'en tirerait pas avec seulement une fracture. Il jeta un dernier coup d’œil vers les chemins. Ses père et frère continuaient leur chemin, sa mère s'enfonçait au cœur des ronces et de l'obscurité et sa sœur hésitait encore mais regardait avec insistance vers leur frère. Juste avant l'impact, il aperçut une rose au milieu des ronces.

    Il se redressa en hurlant, une dague au poing. Le feu luisait doucement dans l'obscurité. La tête émergeant à peine des couvertures, Carild le regardait d'un air surpris et surtout de quelqu'un qu'on venait de réveiller brusquement. Ne retrouvant plus le sommeil, Orolhion se leva et remit un peu de bois dans le feu tandis que sa sœur replongea la tête sous sa couverture. Tout le reste de la nuit, il tâcha de se convaincre que tout cela n'avait été qu'un rêve.

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#5 21-08-2013 17:26:12

Mildwyn
Voyageur de passage

Re : Une lettre noire

Telle une ombre


Un hurlement déchira la nuit. La jeune femme se réveilla en sursaut. D'une main elle serrait son épée. De l'autre elle serrait un appeau.

« Orolhion ! » dit-elle dans un souffle.

Était-il en danger ? L'espace d'un instant elle s'en voulut de s'être endormie. Telle une ombre dans la nuit, elle se glissa hors de son abri. Silencieuse. Tous ses sens aux aguets. Elle s'approcha un peu plus du campement d'Orolhion et de celle qui devait être sa sœur. Elle était prête à bondir à tout instant. Ses doigts serraient si fort son épée que les jointures de sa main étaient devenues blanches. Elle aperçut enfin son époux. Il ravivait le feu. Rassurée et inquiète à la fois, elle se promit de ne plus s'assoupir. Elle retourna rapidement chercher son sac. À son retour, Orolhion semblait préoccupé par quelque chose. Par quoi ? Et que lui était-il arrivé ? Impossible de le savoir.

Tout en ne le quittant pas des yeux, Mildwyn repensait aux événements des derniers jours. Cette lettre noire qu'elle avait découverte dans le gilet de son mari n'annonçait rien de bon. Elle le savait. Elle savait aussi qu'il n'avait pas le choix. Qu'il devait partir. Il n'empêche qu'elle aurait préféré qu'il lui en parle. Elle aurait aimé qu'il lui montre la lettre. Cependant elle était consciente que s'il ne l'avait pas fait, c'était tout simplement pour la protéger.

Voir sa silhouette s'éloigner de la maison, lui avait serré le cœur, mais sa décision fut immédiate. Elle se retourna d'un mouvement vif. Elle froissa la lettre et la jeta sur les quelques braises qui rougeoyaient encore dans la cheminée. La flamme vive qui s'en dégagea s'éteignit aussi rapidement qu'elle s'était allumée. Mais la jeune femme avait déjà disparu à l'étage. Elle passa rapidement sa robe de voyage. C'est Orolhion qui l'avait cousue pour elle. Il avait utilisé du cuir pour bien la protéger, mais il savait que la couleur préférée de son épouse était le rouge écarlate, comme les roses qu'elle avait plantées dans leur jardin. Il avait donc assemblé les morceaux de cuir à un tissu plus léger et confortable de la couleur qu'elle aimait tant. Elle prit également quelques rations de voyage, son épée, sa flûte -son instrument préféré, le premier digne de ce nom qu'elle avait fabriqué de ses propres mains- et bien sûr des appeaux. Ces derniers pouvaient l'aider à attirer l'attention ou à la détourner en cas de danger. Elle n'était pas une grande combattante. C'est un peu par hasard qu'elle avait découvert le pouvoir que les notes de sa flûte ou de tout instrument dont elle jouait avaient. Et l'un de ses appeaux avait un "don" particulier : il était en hêtre et il imitait le cri de la tourterelle des bois. Quel était donc ce "don" ? C'était une sorte de code entre Orolhion et elle lorsqu'ils n'étaient pas trop éloignés l'un de l'autre : en l'utilisant d'une certaine façon, il pouvait être au courant qu'elle était en danger, et en l'utilisant d'une autre façon, il pouvait savoir tout simplement qu'elle était en sécurité.

Lorsqu'elle grimpa enfin sur le dos de sa monture, moins d'une heure s'était écoulée depuis le départ de son époux. Elle avait pris le temps d'écrire un message à l'attention de leur voisine pour la prévenir de leur absence pour une durée indéterminée. Elle savait qu'elle aurait pris soin de ses fleurs auxquelles elle tenait tant. De toute façon elle savait quelle direction allait suivre Orolhion et le début du parcours n'allait pas être trop compliqué pour elle. Elle craignait plus la route à partir de Tharbad. Le seul voyage qu'elle ait fait de toute sa jeune vie était pour se rendre à Fondcombe. Un voyage effrayant et magnifique à la fois. Orolhion lui avait fait la surprise. Quel bonheur ! Un voyage inoubliable ! Sinon elle connaissait surtout le Pays de Bree où elle avait toujours vécu, mais également la Comté et un peu les terres arides à l'est de Bree. Elle était consciente des dangers de ce long voyage, mais elle les préférait au fait de rester sans nouvelles de son époux des mois durant.

Elle rejoignit relativement rapidement la Voie Verte qui menait à Tharbad. Elle finit vite par les apercevoir au loin. Elle continua de les suivre en gardant une certaine distance. Elle ne voulait pas qu'il découvre qu'elle était là. Il se serait inquiété pour elle. Il aurait probablement essayé de la convaincre de rentrer à la maison même s'il n'avait aucune chance d'y parvenir. Et surtout, de par son inquiétude pour elle, il ne se serait pas senti libre d'agir comme il le devait. Et ça, elle ne se le serait jamais pardonnée. C'est ainsi qu'elle s'était trouvée un abri pour la nuit non loin du leur. De là où elle était, grâce à son ouïe très fine, entraînée à l'écoute attentive de tout son émanant de la nature les entourant qu'elle aimait reproduire grâce à ses instruments, elle pouvait entendre leurs conversations. Puis, épuisée, elle s'était laissée bercer par la douceur de la nuit et avait fini par s'endormir.

Mildwyn ne savait pas encore ce qui les attendait, mais elle se promit encore une fois d'essayer de ne plus s'endormir et de demeurer telle une ombre à quelques dizaines de mètres derrière Orolhion.


[HRP] Appeau - tourterelle des bois [/HRP]

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#6 09-09-2013 21:10:37

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Une lettre noire

Le fracas des armes résonnait sur la grève tandis qu'une dizaine d'hommes s’entraînaient aux combats. On y trouvait des hommes à la peau brune, d'autres pâles comme un mort, d'autres encore étaient des montagnes de muscles fracassant leur adversaire à grands coups, tandis que de plus maigrichons se faufilaient entre les jambes pour glisser une attaque dans le dos de leur assaillant. Nonchalamment assis sur une table non loin, un homme mat aux cheveux grisonnants, aussi grand que musculeux, les observait en portant une main en visière pour protéger ses yeux clairs de l'ardeur du soleil. Il était terriblement déçu par ces recrues. Il avait beau avoir essayé de leur inculquer calmement certaines techniques, ils ne semblaient n'en faire qu'à leur tête et il allait être temps de leur faire comprendre qu'il fallait le prendre au sérieux. Retombant de sa table, il se dirigea vers un géant qui l'horripilait par son attitude brute. Celui-ci martelait le bouclier d'un gringalet à grands coups d'espadon sans pour autant réussir à le mettre à terre. Quand il s'arrêta devant ces combattants tout le monde cessa de se battre pour se retourner vers eux. L'homme se saisit du petit glaive du gringalet puis fit signe à la brute de l'attaquer. Comme il s'en doutait, sa première attaque était un coup de tranchant visant son épaule gauche, qu'il esquiva en se baissant et en faisant un léger pas chassé à gauche, tout en laissant sa lame accompagner la grande épée. Dès que l'angle fut propice, le petit glaive remonta le long de l'espadon, survola les bras du géant, puis fit un mince sillon rouge sur sa gorge. A peine sa victime s'était-elle écroulée que l'homme s'adressait aux recrues :
    "J'espère que maintenant vous aurez compris qu'il ne sert à rien de frapper comme une brute et que chaque coup non calculé peut vous être fatal. Maintenant retournez vous entraîner sérieusement, à moins que vous ne vouliez un autre exemple." Puis se retournant vers le gringalet en lui jetant le glaive dans les bras : "Comme tu n'as plus d'adversaire, tu vas me jeter le cadavre à la mer et me ramener du vin."

    Tandis que le gringalet lui remplissait une coupe d'un vin épicé, l'homme vit le maître des corbeaux s'approcher. Celui-ci réceptionnait toutes les missives que ses messagers ailés lui rapportaient avant de les distribuer à qui de droit. "Maître Martelame. Il semble que votre homme du nord vous ait envoyé un rapport." dit-il en tendant un petit rouleau. Après avoir pris une gorgée de vin, le maître d'arme déroula la missive sur laquelle on pouvait lire :

Orophant,

    Comme d'habitude, il t'a suffit de quelques mots pour faire réagir ton frangin. Il a quitté sa maison et est introuvable dans tous les lieux qu'il a l'habitude de fréquenter.
Je dois toutefois te prévenir d'une chose, sa maison est complètement déserte. Il a donc dû partir avec la pouliche qu'il appelle sa femme ou alors elle l'aura suivi. Si jamais il devait arriver quelque chose à cette gamine durant le voyage et tant que tu auras besoin de lui, il risquerait de devenir difficilement contrôlable. D'expérience, je peux te dire qu'il s'énerve très vite dès qu'il est sujet d'elle.

Cuthnard

   

Ps : Sa maison étant fermée et un garde rôdant dans son quartier, si tu pouvais me faire parvenir quelques piécettes parce que je ne peux plus profiter de ses largesses (voulues ou non)


    L'homme froissa le message puis but une nouvelle gorgée de vin. Le vieux Cuthnard était un étrange bonhomme, un peu filou sur les bords, mais de ce qu'il se souvenait, il avait toujours été au service de l'héritier Martelame, tel son père, probablement son grand-père et maintenant lui-même étant l’aîné de la famille. Il se demandait d'ailleurs comment ceux-ci avaient pu supporter le vieillard tant il avait tendance à vouloir revendre vos possessions. Orophant avait résolu ce soucis en lui attribuant la surveillance de son frère, loin au nord. Autant que ce soit ce gamin ingrat qui subisse le côté cleptomane du barde itinérant. En tout cas la première partie de son plan, faire revenir Orolhion près de lui, semblait en bonne voie. Il avait suffit de quelques mots blessants dans une enveloppe, le tout amené par leur demi-sœur, celle-là même qui symbolisait le fait que leur père avait abandonné sa si précieuse mère. Cela avait certainement attisé sa colère et il viendrait dans l'intention de régler ses comptes. Mais comme à chaque fois, sa colère le trahirait et il commettrait l'impair qui permettrait de le maîtriser. Alors il pourrait enfin lui expliquer ce qu'il attend de lui. Cette méthode avait très bien fonctionné quand il avait fallut lui apprendre l'existence de leur sœur et il n'y avait pas de raison qu'elle ne fonctionne pas à nouveau. Enfin peut-être que si... Il ne connaissait rien de cette femme pour laquelle son frère c'était entiché. Apparemment ce n'était qu'une paysanne originaire de Bree, mais elle semblait avoir une forte prise sur Orolhion. Elle pourrait peut-être mettre son plan à mal. Si jamais elle devenait gênante il devrait s'en débarrasser, et si Cuthnard avait raison, il devrait aussi supprimer ce frère qu'il s'échinait à faire venir. Mais ce ne serait pas la première fois qu'un Martelame devrait éliminer un parent afin de garantir l'équilibre de la famille. Équilibre qui n'existait plus depuis une bonne vingtaine d'années.

    Dans sa lettre, Orophant avait indiqué comme point de rendez-vous pour son frère, l'embouchure de la Lefnui, la rivière la plus à l'Ouest du Gondor et qui donnait sur la baie de Belfalas. Il avait choisi cet endroit pour plusieurs raisons, la principale étant que son frère ne se douterait jamais qu'il n'aurait fait jusque là que la moitié du chemin à parcourir, la seconde étant qu'après des repérages discrets, la Lefnui pouvait offrir une voie remontant assez loin dans les terres et donc de venir à sa rencontre en bateau. La troupe qu'Orophant constituait comprenait de nombreux corsaires d'Umbar, de terribles pirates maîtrisant la grande baie de Belfalas et les routes jusqu'à la Lefnui leur étaient connues, un grand contingent se préparant même pour y accomplir prochainement une mission. Toutefois il leur faudrait un certain temps pour rejoindre le point de rendez-vous et si Orolhion était déjà parti, il serait grand temps pour eux aussi de mettre les voiles. Il fallut peu de temps aux marins pour préparer un navire suffisamment rapide pour rejoindre l'embouchure de la Lefnui dans les temps et suffisamment petit pour passer inaperçu des patrouilles de Dol Amroth. Avant de mettre un premier pied sur la passerelle menant au navire, un boutre à deux mâts, Orophant inspira de grandes goulées d'air. Bien entendu, il savait parfaitement que prendre la mer faisait partie de son plan et qu'il aurait très bien pu choisir une autre route, mais cela l'aurait retardé, sans parler des risques de se faire attraper par l'armée du Gondor, du Rohan ou de tout autre pays qu'ils seraient forcés de traverser. Mais la mer l'angoissait. Toute cette eau qui menaçait de vous engloutir. Et le roulis qui vous faisait perdre l'équilibre et vous retournait les tripes. Une dernière brassée d'air iodé vint emplir ses poumons, puis l'homme se décida à monter à bord. L'équipage, déjà en place, n'attendait plus que l'ordre de larguer les amarres. Un fauteuil de bois avait été installé à son attention à l'arrière du boutre. Les bras du fauteuil avaient été finement ouvragés et représentaient deux mumakil barrissant, leurs trompes recourbés au dessus de leurs imposantes têtes, sur lesquelles les mains d'Orophant vinrent se caler quand il prit place. Malgré son malaise sur l'eau, son visage n'exprimait aucune peur. Au contraire un masque de sérénité sévère couvrait ses traits afin que l'équipage ne voie nullement sa crainte. D'une voix forte il ordonna le départ du navire, qui s'ébranla pour s'éloigner des quais. Lentement poussé à la rame, il entra bientôt  dans des eaux plus propices au déploiement de ses voiles triangulaires dans lesquelles le vent ne tarda pas à s'engouffrer. Au fur et à mesure que le port s'amenuisait derrière eux, l'estomac d'Orophant s'agitait de plus en plus fortement, comme à chaque fois qu'il était forcé de prendre la mer. Incapable de garder plus longtemps son masque devant ses hommes, il confia le commandement à son second et descendit en cabine. Il n'avait que quelques mètres à parcourir, mais jamais il ne lui avait semblé si difficile de les parcourir tout en conservant son attitude. Franchir la porte de la pièce fut pour lui un grand soulagement mais de bien courte durée. A peine eut-il relâché ses traits que son estomac entra en éruption, répandant son dernier repas sur les riches tapis qui couvraient le sol. Avec un effort quasi surhumain, il réussit à se traîner jusqu'à l'unique et minuscule fenêtre de la cabine pour finir de donner à manger aux poissons. Entre chaque crise, il se mit à prier pour que le voyage soit le plus court possible.


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Un peu à la bourre pour ce texte là, mais en tout cas je vois qu'il y en a une qui en a profité pour squatter la suite^^ Et sans se présenter aux autres en plus^^ Allez hop hop hop, va te présenter ma grande^^
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#7 23-09-2013 23:08:28

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Une lettre noire

Mauvaise humeur




    La brume se dissipait lentement autour de la ville alors que le soleil s’élevait lentement au dessus de la ville ancienne. Malgré l'heure matinale, les rues s'emplissaient de marchands, de mendiants et de badauds, formant une foule chamarrée et bruyante, et fleurant bon le regroupement humain. Pas encore aussi nauséeuse qu'une caverne trolle mais la ville avait l'avantage d'être à l'air libre. L'ancienne cité s'étalait de part et d'autre du fleuve Gwathlo et en permettait un passage rapide, mais pas toujours sauf. Les voleurs avaient trouvé là un repaire confortable et il fallait toujours garder un œil sur ses poches, ou savoir à qui adresser un pot-de-vin pour s'assurer la traversée indemne. Toutefois une certaine forme d'ordre y régnait encore et permettait l'existence de nombreux étals et marchés. On y trouvait ou vendait de tout et la légalité de certaines transactions dépendait de l'importance de votre bourse. Comme les portes de la ville s'ouvraient, deux silhouettes encapuchonnées tirant un cheval par la bride se mêlèrent aux convois marchands de passage pour franchir les murs et se trouver au cœur de Tharbad.

    Des camelots bordaient la voie principale, mais la plupart des échoppes marchandes se trouvaient de l'autre côté du fleuve. Carild savait bien qu'ils ne trouveraient ce qu'ils cherchaient que là-bas, mais elle ne pouvait résister aux appels de quelques aboyeurs lui faisant miroiter ici des bijoux de cuivre martelé, là des baumes censés lui assurer la jeunesse éternelle des elfes. La suivant d'un regard qui trahissait une grande fatigue, Orolhion la laissa d'abord faire, mais sa patience disparut alors qu'elle abordait son douzième étal consécutif. Non seulement elle l'avait forcé à traverser cette ville quand lui voulait l'éviter, mais en plus, depuis qu'ils avaient franchi les portes, elle semblait tout faire pour les ralentir et ils n'avaient guère avancé depuis. Sans parler de cette migraine qui le tannait depuis des jours et l'empêchait de dormir. Même si sa sœur n'y était pour rien, intérieurement il lui en fit aussi le reproche. La fatigue laissait ses nerfs à fleur de peau et cette fois il ne put plus se contenir. Il la saisit brusquement par le bras et la tira pour la forcer à le regarder et se mit à aboyer :

        « Tu comptes sortir de la ville d'ici la fin de l'année ? A moins que tu ne préfères passer le reste de cet âge à te promener d'étal en étal ? Tout cela pour ne rien acheter ! »

    Il fixa sa sœur un moment avant de poursuivre :

        « Je ne voulais pas aller dans cette ville, mais tu voulais un bon cheval pour me suivre alors nous voilà en ville. Mais toi tu préfères regarder des babioles sans valeur. Soit on va te trouver une monture et on s'en va, soit je te laisse là ! »

    Carild lui répondit d'un regard glacial, puis d'un coup d'épaule se dégagea de la poigne de son frère avant de se faufiler dans la foule. Orolhion voulut la suivre mais la foule se fit de plus en plus compacte au point qu'il la perdit de vue. Il commença à jouer des coudes tout en jurant pour essayer de la rattraper, mais sans grand succès. Il était bousculé de toute part, perdant petit à petit le sens de l'orientation. Sous son crâne un marteau chantait contre l'enclume au même rythme que les battements de son cœur, s'accélérant à mesure que les cris et la puanteur de la foule emplissaient ses sens. La tentation fut grande de se servir de son épée, restée attachée sur Danseur, sa propre monture, pour se frayer un passage, mais avant qu'il ne cède, quelque chose le retint par le bras. Danseur refusait d'avancer et tirait violemment sur sa bride que tenait son maître. Celui-ci se retourna pour poser sur lui un regard noir emprunté de fièvre. Alors qu'il s'avançait pour voir ce qui n'allait pas, le cheval recula, comme s'il voulait garder une distance. A chaque pas en avant de l'homme, le cheval en faisait un en arrière. Brusquement, Danseur se redressa, menaçant de frapper Orolhion de ses sabots. La foule s'écarta d'eux. L'homme lâcha la bride et se jeta en arrière pour heurter un mur de passants curieux. Sa monture fendit la foule qui lui laissa volontiers le passage de peur d'être blessée. La foule se referma rapidement tout autour de l'homme solitaire comme si rien ne s'était produit. L'attraction venait de s'achever.

    D'abord surpris du comportement de son cheval, Orolhion mit du temps à réaliser qu'il se retrouvait seul au milieu d'une ville, sans autres affaires que ce qu'il portait sur lui, c'est-à-dire pas grand chose. Son voyage lui semblait bien mal parti, s'il n'était pas déjà fini. Son crâne carillonnait, des vertiges l'assaillaient et des nausées menaçaient de retourner son estomac sur ses bottes. Il ne put réprimer un rire. Il avait tout quitté, il venait de tout perdre et il avait sans doute attrapé une fièvre. Lui qui pensait un jour finir l'épée à la main ou entouré de ses enfants, voilà qu'il allait crever de maladie en pleine ville dans l'indifférence générale. Sans vraiment savoir où il était ni où il allait, il se décida à continuer d'avancer, espérant au moins sortir de cet enfer urbain. Son regard restait fixé sur le chemin, trop fatigué pour lever les yeux. Des gens, il ne distinguait ici que le bas d'une robe bleue, là des pieds nus d'enfants, plus loin des bottes crottées puis le bas d'une cape rouge, un peu comme celle que portait sa sœur. Lentement il releva son regard. Si c'était elle, il ne serait pas seul quand viendrait son heure. La femme qu'il observait portait une tenue rouge comme sa sœur. Son regard se leva un peu plus pour voir son visage, mais un voile commençait à troubler sa vue. La femme était brune et ses yeux semblaient bleus. Il se frotta les paupières pour vérifier qu'il s'agissait bien de sa sœur. Son cœur manqua un battement. Ce n'était pas elle. Pourtant il connaissait bien ses traits, mais elle ne pouvait pas se trouver là. Elle ne pouvait que se trouver à la maison, à entretenir ce jardin qu'elle aimait tant. Mildwyn. Sa Mildwyn. Un mouvement de foule la cacha à sa vue et elle disparut. Il voulut faire un pas dans sa direction mais ce fut le vertige de trop. Le monde sembla fonctionner au ralenti tandis qu'il sentait ses jambes se dérober sous lui. Il n'avait pu que rêver. Un dernier aperçu de son épouse avant de sombrer à jamais.

    Cataclop.

    Cataclop.

    Cataclop.

    Il était appuyé contre quelque chose en mouvement.

    Cataclop.

    Il se sentait encore fatigué et il fit un effort pour entrouvrir les yeux. La route défilait sous lui. Petit à petit, il prit conscience de ce qui l'entourait. Il avait le visage enfoui dans l'encolure de Danseur et celui-ci suivait un cheval gris monté par une femme vêtue de rouge. Ça ne pouvait être qu'elle. Il n'avait pas rêvé. Il se risqua à croasser le petit nom qu'il lui donnait pour l'appeler : « Jolie Fleur ». Celle qui se retourna n'était pas son épouse. Carild ralentit l'allure pour se porter au côté de son frère.

        « Ça y est, tu te réveilles enfin. On vient de franchir les portes sud. »

    Après une courte pause, elle ajouta :

        « Tu as de la chance d'avoir un canasson moins bourrique que toi. »

    Devant l'expression d'incompréhension du malade vautré sur sa monture, la jeune femme s'expliqua : 

        « Il est venu me chercher et m'a ramenée en me tirant par la cape pendant que toi tu nageais dans la boue. Ça ne te surprendra pas si je te dis que le temps que j'arrive, quelqu'un en a profité pour t'emprunter ta bourse et ta dague. »

    Elle posa le revers de la main sur le front d'Orolhion puis secoua la tête.

        « Encore un peu de fièvre mais ça a l'air de baisser. Si tu ne m'avais pas interrompue tout à l'heure j'aurais eu de quoi te payer un guérisseur. Tu croyais que j'étais intéressée par leur camelote ? Je détournais leur attention pendant que je leur faisais les poches »

    Elle soupira puis reprit :

        « J'ai quand même eu de quoi payer cette petite jument et quelques herbes médicinales. Il va falloir se contenter de baies et de chasse si on veut manger. »

    Encore groggy par la fièvre, Orolhion se laissa sombrer dans le sommeil mais les cauchemars qui étaient apparus en même temps que sa migraine revinrent à la charge. Le corbeau. Le sceau. Le sang. Les chemins.
   
    La chute.

    Des cris.

    Quelqu'un le saisit violemment par les cheveux pour lui relever la tête en lui arrachant un gémissement, et une voix moqueuse se fit entendre.

        « C'est ton homme ça ? Il m'a l'air plus mort que vif, S'serait p't'être charitable d'le zigouiller ? »

    L'acier froid d'une lame caressa sa gorge attendant un mot pour tracer le sillon fatal. Un cri qui ne pouvait appartenir qu'à Carild se fit entendre suivi immédiatement du bruit mat d'un coup de poing. La voix du frappeur résonna : « Ferme-la ! ». Une troisième voix, sifflante, prit la parole à son tour.
       
        « Gamine, je pense que tu n'as pas compris ce qui t'attend. Alors je reprends, et si tu réponds mal, le gars y passe. »

    L'homme marqua une pause avec une inspiration tout aussi sifflante que sa voix.

        « On t'a vu faire les poches dans not'secteur. Et nous tu vois, not'secteur on aime pas y voir d'autres vide-goussets qu'nous aut'. Comme nous sommes gentils, on t'laissera filer si tu nous donnes l'butin. Avec un p'tit pourboire pour le dérangement bien sûr. Tes bestiaux par exemple ».

    Nouvelle inspiration sifflante.

        « Ou alors on zigouille le gars, on prend tes chevaux pis on se paye 'vec ton corps »
   
    Des rires gras fusèrent, mélange des trois voix déjà entendues et de deux autres encore inconnues. Orolhion se força à ouvrir les yeux, malgré la fièvre, pour observer la scène. Un type malingre le tenait par les cheveux mais son regard plein d'envie était tourné vers la jeune femme. Quatre autres types entouraient une silhouette recroquevillée en robe rouge. L'esprit encore dérivant, les images de Carild et de Mildwyn se confondirent et c'est son épouse qu'il vit à terre, le visage tuméfié. Le feu qui lui rongeait le corps sembla s'amplifier pour lui dévorer l'esprit. Comme le ferronnier qu'il était, la chaleur n'avait plus de prise sur lui. La raison consumée, toute la scène lui sembla beaucoup plus claire. Son cœur battait violemment et fermement, et tout ce qui passerait sous sa main serait broyé comme s'il était passé entre le marteau et l'enclume. D'un geste rapide, il se saisit de la main qui agitait une lame contre sa gorge et la redirigea dans le même mouvement dans celle de son agresseur. Dans la surprise, celui-ci lâcha la prise qu'il avait sur l'homme avant de s'écrouler dans un râle. Alors que les bandits se retournaient, Danseur sembla pris de panique et rua, faisant choir son cavalier avant de foncer droit devant lui. Deux hommes sortirent des épées, un autre une hache. Le quatrième n'eut pas le temps de se saisir de sa dague comme le destrier le piétina dans sa fuite. Orolhion se précipita sur sa victime et en extirpa la courte lame de sa gorge avant de se retourner vers l'homme à la respiration sifflante qui tenta de lui asséner un coup d'épée. Après avoir paré rapidement, Orolhion prolongea le mouvement de son poignet en enveloppant l'arme de son adversaire avec son bras de manière à pouvoir venir sectionner les tendons du poignets de son adversaire tout en se saisissant de l'épée. Il eut à peine le temps de saisir correctement la poignée qu'une hache fendit l'air vers lui qu'il esquiva d'un pas en arrière. Un coup d'épée vint succéder à celui-ci, lui aussi esquivé d'un pas en arrière. La hache et l'épée s’enchaînèrent, repoussant petit à petit Orolhion. Cela n'empêcha pas un petit sourire narquois d’apparaître sur les lèvres du guerrier. Croisant ses lames, il bloqua puis dévia un coup de hache qui vint briser le genou de son autre opposant. Une simple remontée du poignet suffit à mettre fin à ses souffrances et à ses jours. L'utilisateur de la hache décida de rompre le combat et s'enfuit à toutes jambes. Ce ne fut toutefois pas assez rapide pour distancer la lame qu'Orolhion lui lança. Seul l'homme à la respiration sifflante restait en vie, mais il était prostré, geignant sur son poignet blessé. Ne voyant plus personne prêt à lui nuire, Orolhion se dirigea vers la femme qu'il pensait être sienne. D'une main légère sous le menton, il lui releva la visage pour voir ses blessures, mais ce n'était plus son épouse qu'il avait devant lui mais bien sa sœur. Les coups de marteau qui résonnaient dans son corps s'amplifièrent encore plus. Sa femme avait disparu et c'était la faute de ce minable qui les avait agressés avec ses pitoyables acolytes. Il se détourna de Carild pour se diriger vers le bandit qui était trop occupé à geindre pour le voir arriver. Sans dire un mot, il donna un coup d'estoc qui traversa l'épaule droite du voleur, lui arrachant un cri. Sa respiration se fit de plus en plus sifflante à mesure que la douleur s'étendait tout autour de la blessure. Il poussa à nouveau un long cri tandis que l'homme faisait tourner l'épée dans la plaie. Le guerrier lui murmura à l'oreille : 

        « Où est-elle ? »
        « Qui? » Suivi d'un nouveau hurlement.
        « Ma femme. Où est-elle ? » continua-t-il à susurrer en faisant légèrement coulisser la lame.
        « Elle est là ! » Fit-il en désignant la jeune femme.
        « Ce n'est pas elle ! Elle était là ! Qu'en as-tu fait ? » Lui cria-t-il.
        « Je ne sais pas ! Je n'ai vu que celle-là ! » Pleura-t-il.
        « Tu mens ! Elle était là ! Dis-moi où elle est ou tu souffriras jusqu'à la fin de la nuit »
   
    Cela dura toute la nuit.

    À l'aube Danseur était revenu mais refusait toujours de se laisser approcher par celui qui fut son maître. Carild prenait bien garde de rester à l'écart elle aussi. Jamais elle n'aurait cru son frère capable de cruauté. Et pourtant la lueur de folie qui brillait dans son regard ne pouvait pas tromper. Il était capable de recommencer. La fièvre n'avait pas quitté l'homme, mais elle ne semblait pas l'affecter, ou du moins semblait-elle dérisoire comparée à la rage qui l'habitait. Ce changement de comportement faisait fuir Danseur, mais pas la jument grise de sa sœur. Ils finirent donc par échanger leur monture quand ils décidèrent de reprendre la route. Orolhion enfuit son visage dans l'ombre d'un capuchon pour cacher ses larmes de colère. Il pensait avoir à nouveau perdu la femme de son cœur et son humeur s'assombrissait. Il s'en voulait d'être parti, il en voulait aux voleurs de cette ville, il en voulait à son frère qui l'avait fait venir.

Il payerait pour cela.

Il le rejoindrait et il le payerait.

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#8 16-10-2013 18:08:40

Mildwyn
Voyageur de passage

Re : Une lettre noire

Mauvaise chute


Un buisson. Un tas de vêtements de couleur écarlate sur le sol. Une épée. Une flûte. Aucun signe de vie dans les environs proches à part un cheval à une centaine de mètres de là s'abreuvant au fleuve.

Profitant de la brume matinale, quelques minutes plus tôt Mildwyn avait laissé glisser ses vêtements au sol et c'est en étouffant un petit cri qu'elle s'était avancée dans l'eau du fleuve Gwathlo. L'eau était glaciale, mais elle attendait ce moment depuis des jours. Cela n'avait pas été aisé pour elle que de suivre les pas de son époux et de sa sœur sans se montrer tout en restant prête à se protéger d'un quelconque danger. Elle ne comprenait pas pourquoi Orolhion avait décidé de traverser la ville de Tharbad, mais cela l'arrangeait. Elle avait donc rebroussé un peu chemin pour prendre ce bain dont elle avait tant rêvé.

Elle resta quelques instants ainsi, les yeux fermés, plongée dans ses souvenirs. Elle se remémorait de cette partie de pêche avec celui qui était devenu quelques mois après son époux. Un moment de bonheur et de frayeur à la fois. En effet, il avait décidé de lui apprendre à nager, elle qui avait tant peur de l'eau. Un souvenir doux et inoubliable.

Un craquement tout proche la fit se retourner vivement. En apercevant un renard elle fut rassurée, mais s'en voulut d'avoir relâché aussi longtemps son attention. Elle savait bien les risques qu'elle courait en restant aussi près de la ville, seule : les brigands ne manquaient pas dans les environs.

Elle sortit rapidement de l'eau, se rhabilla, posa sa cape sur ses épaules en rabattant le capuchon sur son visage avant de se diriger vers Tharbad. Elle laissa sa monture à l'écurie, à l'entrée de la ville, afin de pouvoir faire quelques achats de nourriture. Elle allait d'étal en étal s'intéressant surtout aux fruits qui ne trouvaient jamais grâce à ses yeux. Son petit verger et son potager lui manquaient, mais ce n'était pas le moment de faire la fine bouche. Il fallait qu'elle fasse vite si elle ne voulait pas qu'Orolhion prenne trop d'avance sur la route. Elle finit donc par acheter quelques pommes et des biscuits secs.

Pressée de retourner récupérer sa monture, elle relâcha un peu son attention en se glissant dans la foule. Lorsqu'elle l'aperçut devant elle, c'était trop tard. Elle ne pouvait plus reculer. Ils n'échangèrent qu'un regard. Un seul regard. C'était suffisant. Il l'avait reconnue. Que faire ? Rester près de lui ? Fuir au loin ? Profitant d'un mouvement de foule elle opta pour la fuite. Elle ne voulait pas que sa présence influe sur le comportement d'Orolhion. Pourtant elle avait perçu son regard fiévreux. Il avait besoin de repos. Il avait besoin de soins. Il avait besoin de ses soins.

Le palefrenier qui s'était occupé de son cheval s'inquiéta en voyant la jeune femme revenir les yeux embués de larmes. Mildwyn se contenta de le remercier en le payant sans rien ajouter de plus. Après avoir fixé ses achats sur le dos de l'animal, elle quitta Tharbad par le même chemin par lequel elle était arrivée. Elle ne voulait pas risquer de croiser à nouveau son mari.

Elle contourna la ville et se dirigea vers la porte sud pour guetter Orolhion et sa sœur et continuer à les suivre de loin. Elle se rendit compte rapidement qu'elle n'était pas la seule à les suivre. Ils étaient cinq. Elle était seule. Elle ne pouvait rien faire pour les arrêter. Et si elle avait essayé d'attirer leur attention, elle savait qu'on ne donnerait pas cher de sa vie.

Elle descendit de sa monture sans faire de bruit, la laissant un peu à l'écart. Elle s'approcha un peu plus d'Orolhion et Carild, tout en restant bien cachée. En constatant que les cinq hommes étaient prêts à les agresser, sa décision était prise. Elle fouilla rapidement dans une de ses poches pour en sortir un petit objet en bois et se mit à souffler dans son appeau en espérant qu'Orolhion reconnaisse le signal de danger.

Mais c'était trop tard. Les bandits étaient déjà passés à l'action. Mildwyn regardait la scène de loin. Impuissante et terrifiée. Mais ce qu'elle vit ensuite la terrifia encore plus. Elle reconnut de suite le regard sombre de son mari. Ce regard qu'elle avait croisé la première fois qu'elle l'avait rencontré dans son propre jardin qu'elle lui avait proposé d'entretenir pour lui. Ce regard qu'elle était parvenue à adoucir. Peu à peu. Avec amour.

La scène se déroulant sous ses yeux était de plus en plus horrible. Insupportable à ses yeux. Sans s'en rendre compte, elle commença à reculer. Effrayée. Une de ses mains couvrait sa bouche pour étouffer un cri d'effroi et de profonde souffrance.

Un pas en arrière. Un autre. Un autre. Une racine. Perte d'équilibre. Un bruit étouffé de chute. Une main serrant très fort un petit objet en bois. Une capuche et une pierre avec une tache d'un rouge très sombre. Silence.

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#9 18-10-2013 17:47:25

Mildwyn
Voyageur de passage

Re : Une lettre noire

Réveil


Le bruit des sabots des chevaux devenait de plus en plus faible au fur et à mesure qu'Orolhion et Carild s'éloignaient. Une silhouette tapie non loin sortit enfin de l'ombre pour s'approcher de la jeune femme étendue au sol. L'homme encapuchonné approcha un petit miroir de la bouche de Mildwyn. De la buée se forma aussitôt. Il posa son sac au sol et en sortit une couverture dans laquelle il enroula la jeune femme. Après avoir nettoyé délicatement la plaie sur la nuque de Mildwyn, il découpa avec sa dague, de l'intérieur de sa veste, une bande de cuir souple et c'est avec beaucoup de précautions et d'une main experte, qu'il s'en servit telle une minerve pour essayer d'immobiliser un peu le cou de la jeune femme. Ensuite, il prit son écharpe pour l'enrouler et la nouer autour de la minerve artisanale pour mieux la "fixer".

C'est lorsque l'homme commença à mettre un baume cicatrisant et apaisant apparemment de sa propre fabrication au vu du pot qu'il avait sorti de son sac, que Mildwyn commença à ouvrir les yeux. Son regard bleu était embué de douleur, physique et morale, de détresse aussi. La bouche sèche elle murmura : « Orolhion ».

       « Chuuut... Tout va bien. Laissez-moi vous soigner. Vous vous sentirez encore mieux après ». La voix douce de l'homme apaisa un peu Mildwyn qui sombra dans un profond sommeil.

À son réveil, elle essaya de se redresser un peu mais une douleur lancinante à la tête lui fit changer d'avis. L'homme qui était toujours tout près d'elle, l'aida à s'asseoir en faisant en sorte qu'elle puisse appuyer son dos contre un arbre.

       « Vous avez dormi huit bonnes heures » dit-il en souriant.
       « Huit heures ? C'est beaucoup trop ! Je dois partir ! Je ne peux pas rester ici ! Je dois l'aider ! Il ne doit pas rester seul ! Il me croit morte ! Morte ! Vous comprenez ? Je vous remercie pour tout le mal que vous vous êtes donné pour moi, mais il est temps pour moi de reprendre la route. »

D'un mouvement décidé qu'il serait plus censé de qualifier d'impulsif, comme à son habitude, Mildwyn prit appui sur l'arbre pour se lever. L'homme la laissa faire prévoyant déjà la suite qui ne se fit pas attendre. Dès qu'elle essaya de faire un pas, ses jambes se dérobèrent sous elle et elle se retrouva assise dans le tapis de feuilles qui se trouvait sous ses pieds.

       « Il va falloir être patiente, demoiselle ».
       « Mildwyn. Je m'appelle Mildwyn. Et vous ? »

Pour la première fois depuis son réveil, elle attarda son regard sur le visage de son sauveur qu'il venait enfin de découvrir en enlevant sa capuche, et c'est avec beaucoup de stupeur qu'elle dit :

       « Mais vous êtes le palefrenier. Le palefrenier à qui j'ai confié mon cheval à l'entrée de Tharbad. »
       « En effet. Je m'appelle Theodor, mais tout le monde m'appelle Theo et j'aimerais que vous en fassiez de même. »
       « Mais, je ne comprends pas. Que faites-vous ici ? Et c'est bien vous qui m'avez soignée ? Comment un palefrenier peut avoir de telles connaissances ? »
       « Lorsque vous avez repris votre cheval à l'écurie, j'ai lu beaucoup de détresse dans vos yeux. J'ai senti que vous aviez besoin d'aide. »
Il marqua une pause, puis reprit : « Je n'ai jamais rêvé de devenir palefrenier même si j'aime beaucoup les chevaux. Mon rêve est plutôt celui de partir à l'aventure et surtout me rendre utile avec mes connaissances de guérisseur. C'est ma mère qui m'a tout appris, mais ma famille avait besoin de moi ici, à Tharbad. J'ai donc renoncé à partir. Jusqu'au moment où je vous ai vue. J'ai compris qu'il était temps pour moi de prendre mon envol et d'aider les autres. Je suis heureux de vous avoir suivie, Mildwyn, et d'avoir pu vous aider ».

L'étonnement qu'on lisait sur le visage de la jeune femme était tel que le jeune homme éclata de rire, rire qui fut aussitôt suivi par celui de Mildwyn.

       « Voilà un bien joli cadeau que vous me faites. Vous voir rire d'aussi bon cœur. Et vous me ferez encore plus plaisir en mangeant un peu. »

Il accompagna la parole aux gestes en lui tendant une pomme bien rouge et un verre de lait. En voyant que la jeune femme s'apprêtait à parler, il ajouta :

       « Je suis votre soigneur. Vous devez m'obéir. Et vous ne bougerez pas d'ici avant que je ne vous en donne l'autorisation. »

Le regard de la jeune femme s'assombrit et elle commença à regarder autour d'elle comme si elle cherchait un moyen de s'enfuir. Et c'est d'une voix étonnement ferme au vu de son jeune âge, ne laissant aucun choix, que Theo continua :

       « Nous partirons à sa recherche demain matin à l'aube. Pas avant. »

Mildwyn le regarda un instant, étonnée d'une telle réaction, puis acquiesça comprenant qu'elle ne pouvait que lui obéir. De toute façon elle était bien trop faible pour pouvoir partir de suite. Elle avait besoin de reprendre ses forces avec une bonne nuit de sommeil.

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#10 18-10-2013 21:09:59

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Une lettre noire

Disputes et retrouvailles



- « C'en est assez ! Avance donc vilaine bourrique ! »

    La petite jument grise donnait pourtant tout ce qu'elle pouvait, mais elle n'était pas faite pour parcourir de longues distances et les remontrances continuelles de son cavalier ne lui permettaient guère d'aller plus vite. Toujours à distance respectable de son ancien maître, Danseur suivait aisément l'allure sans même montrer le moindre signe de fatigue. Juchée sur son dos, Carild se frottait la joue, encore endolorie depuis l'incident de Tharbad. Dans les jours qui suivirent les événements, son œil avait viré du noir violacé au jaunâtre actuel, quant à sa joue, elle désenflait enfin. Pour un peu elle en aurait été reconnaissante à Orolhion d'avoir réglé son compte au fautif, si la méthode employée avait été autre, et non emprunte de folie fiévreuse.

    La fièvre semblait avoir quitté le guerrier, emportant avec elle la rage qui le consumait, mais la jeune femme savait que ce n'était là qu'illusion. Si la fièvre s'était bien envolée, la colère qu'irradiait son frère était enfouie en lui. Il n'y avait qu'à voir son regard ou la façon dont il traitait sa pauvre monture pour s'en rendre compte. Autre preuve que quelque chose clochait, Danseur refusait toujours de s'approcher de lui à moins de dix mètres. Toutefois, il était redevenu possible de communiquer avec lui, chose inenvisageable il y avait encore quelques jours. Les contacts étaient toutefois assez succins, se résumant à définir le trajet à suivre ou les lieux pour établir un campement la plupart du temps.

    La petite jument ralentissait de plus en plus, harassée par la longue route qu'ils avaient déjà accomplie. Plus la misérable créature diminuait l'allure, plus Orolhion lui enfonçait les talons dans les flancs, sans grand succès cependant. L'écume au bord des lèvres, elle s'arrêta malgré les coups de son cavalier. Carild amena Danseur aussi près qu'il l'acceptait d'eux, puis démonta pour s'approcher de la monture essoufflée. Guidé par sa rage intérieure, le guerrier porta lentement la main vers la poignée de l'épée qui dépassait de son épaule, prêt à achever la pauvre bête condamnée pour abus de fatigue, quand la jeune femme posa la main sur l'encolure trempée de sueur de l'animal.

- « Laisse-la donc tranquille. Tu lui en demandes trop. » Le tança-t-elle.

    Orolhion jeta à sa sœur un regard noir, qu'elle tenta d'affronter. Pendant de longues secondes ils se fixèrent, tentant de faire céder l'autre à sa volonté. Bien qu'elle le cachait autant que possible, son frère la terrifiait, surtout depuis Tharbad, et elle se surprenait elle-même à vouloir soutenir le bleu perçant de son regard. Maintenant que cette confrontation était lancée, elle craignait aussi que l'épée ne lui soit destinée si elle baissait les yeux. Au fur et à mesure de l'affrontement mental, l'angoisse la submergea alors que lui ne cillait pas et que son regard semblait se durcir à chaque instant. Elle sentit une goutte de sueur glacée glisser le long de sa joue puis de son cou. Elle crut qu'il était décidé à tuer, et si ce n'était pas le cheval, ce serait-elle. Elle fut encore plus déstabilisée à cette idée et son esprit flancha. Elle commença à songer sérieusement à la fuite. Peut-être que si elle atteignait Danseur suffisamment rapidement, elle pourrait s'échapper. Alors qu'elle allait céder et tenter de courir à toutes jambes, Orolhion baissa le premier son regard puis descendit de selle.

- « Monte un campement là-bas pendant que je chasserai » lui dit-il en lui désignant un bois non loin, la laissant seule avec les chevaux et la peur qui lui tenaillait toujours les tripes.

***

    L'odeur de sous-bois emplissait ses narines. C'était une bonne odeur qui l’apaisait habituellement, mais dernièrement rien ne semblait pouvoir le calmer. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas été dans cet état et il lui avait fallu beaucoup de temps et d'aide pour redevenir lui-même. A moins que ce ne soit dans cet état qu'il était lui-même ? Il ne le savait pas mais il se souvenait s'être juré de ne plus laisser la colère le diriger. Cette fois encore il n'avait pas été capable de tenir cette promesse et cela ajoutait encore plus à la fureur qui coulait dans ses veines. Alors qu'il explorait le bois à la recherche de sente de gibier, il se remémorait tout ce qu'il venait de perdre, élevant encore sa rage d'un cran. Ne trouvant même pas la trace d'un lapin, Orolhion sentit sa patience venir à son terme et l'envie de sortir son épée et frapper tout arbre à proximité pour se défouler le démangeait, quand il tomba enfin sur une sente de sanglier.

    Oubliant ses tracas, le guerrier chercha aux alentours de longues et solides branches qu'il pourrait tailler en épieu. Il réussit à en trouver une demie douzaine qui lui convenait mais une fois taillée, il n'en conserva que deux, jetant les autres dans les fourrés. Il remonta la piste avec précaution. S'il se faisait repérer il pourrait très bien passer de chasseur à proie et ce n'était pas dans son intention.

    Des grognements se firent de plus en plus audibles à mesure qu'il avançait et enfin il aperçut une espèce de monstre porcin, au poil noir et dru, qui lui tournait le dos. Heureusement pour Orolhion, le sanglier ne l'avait pas remarqué ou bien ne le considérait pas comme une menace. Il recula silencieusement la sente et déposa une lance sur le bord de la piste. Il coinça l'autre contre une pierre en plein dans le chemin puis se saisit de quelques pierres. Il retourna ainsi armé en direction du sanglier et commença à lui en jeter pour attirer son attention. La bête se retourna en grognant mais une pierre bien ajustée sur le groin acheva de la rendre furibarde. Sans demander son reste, Orolhion rebroussa chemin à toute vitesse en direction de son piège, poursuivi par un sanglier en colère.

    A peine eut-il dépassé la lance qu'il avait coincée, qu'il fit demi-tour pour caler son pied à la base de sa lance improvisée. Comme il s'y attendait l'animal se précipita dessus pour s'y empaler, mais la carcasse trop résistante, la lance se brisa tandis que le guerrier se jetait sur le côté pour éviter d'être emporté par la créature blessée. Alors que le sanglier faisait demi tour pour charger à nouveau, Orolhion l'attendait déjà de pied ferme avec son autre épieu. La scène se reproduisit presque à l'identique. La bête chargea, s'empala, la lance brisa.

    Cette fois le sanglier était plus grièvement blessé et chuta sitôt la deuxième lance brisée. Orolhion ne lui laissa cette fois pas le temps de se relever pour une nouvelle charge et abattit sa grande épée sur le crâne du porcin qui grogna de douleur. Lâchant les brides à sa rage, le guerrier frappa à plusieurs reprises l'animal, déversant dans chacun de ses coups toute la hargne accumulée. Un coup pour la perte de son épouse, un coup pour son père qui les avait abandonnés, un coup pour son frère qu'il haïssait, un coup pour son cheval qui le fuyait, un coup pour cette jument qui ne le valait pas, un coup pour les bandits qui les avaient agressés, un coup pour cette guerre stupide qui se profilait, un coup pour son incapacité à changer quoi que ce soit dans toutes ces histoires, un coup pour lui-même... encore... et un autre... et un autre........ et un autre................

    Haletant et les bras endoloris, la rage cessa enfin de l'aveugler pour lui révéler le triste spectacle. Le sanglier était bel et bien mort, mais leur dîner aussi. De dépit devant tant de bêtise, il frappa la carcasse une nouvelle fois, s'aspergeant un peu plus de sang et de débris d'os. Se refusant de revenir bredouille devant sa sœur, Orolhion tailla autant de morceaux que possible de la dépouille. Il se surprit d'ailleurs à récupérer plus qu'il ne pensait.

***

    Carild avait trouvé un petit ruisseau le long du bois que son frère avait désigné et y avait mené les chevaux s'abreuver pendant qu'elle préparait un feu pour la nuit. Danseur n'avait pas besoin d'être attaché, il restait sans cesse près d'elle, ou quand il s'absentait ce n'était jamais bien longtemps. Elle commençait même à croire que ce cheval était plus intelligent que l'homme moyen. Elle ne prit pas la peine non plus d'attacher la petite jument grise. Elle avait déjà beaucoup traîné de la patte alors qu'elle l'amenait vers le ruisseau, alors elle la voyait mal s'enfuir d'un coup au galop.

    Le bois ne manquait pas pour monter un feu, mais si près du ruisseau, il était trop humide pour s'enflammer. Elle décida donc de s'enfoncer un peu dans les bois pour trouver du combustible sec. Le sol était boueux et couvert de feuilles mortes, si bien qu'elle faillit y perdre une botte plutôt que de trouver du bois. Après quelques temps elle trouva enfin une zone plus sèche où elle ne s'embourbait pas. Le bois sec y était rare mais tout de même plus facile à trouver que près du ruisseau.
   
    Toute concentrée à sa tache de récolte, elle fut surprise par des craquements dans des fourrés non loin. Aussitôt sur le qui-vive, elle lâcha son bois sec et une dague apparut rapidement dans sa main. Elle se croyait forte mais quand elle vit sortir des buissons un homme en noir couvert de sang de la tête aux pieds et portant une espèce de sac noir répandant des traînées rouges gluantes derrière lui, son sang se glaça. L'homme s'arrêta pour l'observer puis finit par lui dire :

- « Tu n'as pas trouvé de bois plus près de la lisière ? J'espère que les chevaux sont bien attachés »

    Elle le reconnut enfin. Elle se demanda quelle mauvaise rencontre il avait pu faire pour être ainsi blessé, mais se rendit rapidement compte que tout ce sang n'était pas le sien, mais probablement de quelque bête titanesque ou d'une troupe complète d'orques qui avait eu la mauvaise idée de se mettre en travers de la route de ce fou sanguinaire qui lui tenait lieu de frère. Il lui tendit son sac dégoulinant.

- « Sanglier au menu » fit-il comme si de rien n'était.

    Elle écarquilla les yeux. Comment avait-il pu finir ainsi couvert de sang avec un sanglier ? Puis elle examina le sac et reconnut la cape de son frère, repliée pour recueillir les restes de l'animal. Encore une fois, elle se demanda comment un sanglier pouvait être contenu dans un si petit morceau de tissu. Elle n'eut guère le temps d'approfondir la question. Au loin tous deux perçurent des hennissements de panique.

    D'un même mouvement, tous deux jetèrent leurs récoltes et se précipitèrent vers la provenance des cris. Tous deux jurèrent de concert tandis que la boue les ralentissait en aspirant leurs pas. Tous deux marquèrent un temps d'arrêt quand ils sortirent des bois pour observer la scène. Des ouargues s'attaquaient aux chevaux. La petite grise était acculée contre le ruisseau, tandis que Danseur ruait dans toutes les directions pour les tenir en respect.

    Une vilaine bête hirsute saisit à pleine gueule une des pattes de la jument et la força à chuter. Un autre en profita pour lui attraper la gorge et mettre fin à ses hennissements de terreur. Trois créatures mortes ou agonisantes gisaient déjà autour de Danseur qui refusait de se laisser faire. Toutefois les créatures étaient si nombreuses que l'espoir de s'en sortir semblait bien mince. Un cri rauque s'échappa de la gorge d'Orolhion qui se précipita dans la mêlée. Quitte à finir dans l'estomac d'un ouargue, autant en emporter le plus possible avec soi.

    Un ballet mortel commença ainsi, Orolhion et Danseur menant la danse. L'un faisant virevolter son épée de larges coups de tranchoir, l'autre jouant des sabots et de coups de dents. Carild se sentait d'abord paralysée devant une telle troupe, mais devant la vigueur des défenseurs, elle se jeta à son tour dans la bataille. De nombreuses créatures passèrent de vie à trépas mais rapidement la fatigue s'installa, suivie des premières morsures plus ou moins graves. La plupart des ouargues n'était cependant pas indemne non plus, souffrant souvent d'estafilades sanguinolentes ou d'os amochés par les impacts.

    Après un temps qui sembla durer une éternité, les protagonistes des deux camps se regroupèrent chacun de leur côté, tenant les autres en respect. Il ne restait plus tant de ouargues que cela, mais la petite équipe était épuisée. Dans les deux camps, chacun tentait de reprendre des forces pour un dernier assaut. Le coup de départ fut donné par un éclair qui zébra le ciel dans un bruit assourdissant. Les ouargues bondirent, les humains brandirent leurs armes avant de se jeter à leur rencontre, le cheval chargea.

    Carild et Orolhion étaient allongés au sol, respirant avec peine mais vivants. Danseur s'était allongé à côté de la jeune femme pour lui tenir chaud, donnant de temps à autre de légers coups de tête vers cette dernière pour réclamer une caresse ou un signe de vie. La pluie qui avait suivi de peu le dernier assaut était en train de laver le sol de tout le sang qui s'était répandu là, ne laissant pour preuve des combats que les cadavres des monstruosités hirsutes qui rapidement iraient nourrir quelques charognards.

    Quand la pluie cessa enfin, ils entreprirent de bander leurs blessures, mais à l'évidence le peu de matériel de premiers soins à leur disposition ne suffisait pas et ils firent des bandages de fortune en entaillant leurs vêtements de nombreuses bandes. Ainsi soignés mais en haillons, ils entreprirent de déplacer leur campement dans les bois. Orolhion se surprit même à espérer que la viande de sanglier qu'il s'était si difficilement procuré, serait encore là. Malheureusement pour eux, quelque animal était déjà passé par là, ne laissant que des vestiges de la cape du guerrier.

***

    Malgré la bataille qui les avait brièvement réunis quelques jours auparavant, Danseur refusait toujours de se laisser approcher de son ancien maître. De celui-ci émanait toujours une rage latente, malgré l'énergie dépensée pour survivre contre les ouargues. Bien entendu, le fait de se retrouver à pied malgré la longue route qu'il lui restait à faire n'arrangeait rien à cette affaire. Depuis quelques jours, on pouvait donc observer un étrange cortège, composé d'un homme en haillons suivi d'une femme tout aussi pauvrement vêtue juchée sur un énorme cheval.

    Orolhion pestait presque continuellement sur le retard qu'il prenait et ne prêtait guère plus d'attention à ce qui l'entourait, préférant garder son énergie à marcher aussi vite et longtemps que possible. Carild étant plus reposée grâce au concours de Danseur, en profitait pour observer les alentours et, de temps à autres, pour partir en éclaireur. C'est ainsi qu'elle découvrit toute une troupe en arme de dunlendings  qui devrait les dépasser, probablement peu avant qu'ils n'atteignent l'Isen. Elle s'éclipsa rapidement de leur trajet en espérant qu'ils ne l'aient pas remarquée et partit au galop rejoindre son frère.

    Le plus difficile ne fut pas de lui faire comprendre qu'une troupe se dirigeait vers eux, mais qu'il accepte de se cacher le temps qu'ils arrivent. Il n'avait plus rien à perdre après tout et sa rage réclamait sans cesse de nouveaux combats, qui heureusement pour eux ne se présentaient pas depuis l'attaque des ouargues. Ils trouvèrent une cachette entre des rochers qui affleuraient d'une colline. D'ici ils avaient une vue parfaite sur le chemin et ils étaient invisibles en contrebas. Orolhion ruminait qu'ils auraient mieux fait de rester à les attendre de pied ferme du moins jusqu'à ce qu'il vit l'importance de la troupe. Environ une cinquantaine de guerriers arpentait la voie, suivis de chariots et de cages où s'entassaient des prisonniers. Même aveuglé par la colère, il se rendait bien compte qu'il n'aurait aucune chance.

    Afin d'éviter d'éventuels traînards, Orolhion et sa sœur décidèrent d'attendre une journée de plus à l'abri de leur cachette. Après tout, vu le retard accumulé, une journée ou plus ne changerait pas grand chose. Étonnamment, pendant cette journée, Danseur se rapprocha du guerrier, lui donnant régulièrement de petits coups de tête dans le dos, comme s'il était pressé de repartir. Au moment du départ, Orolhion prit la tête comme à son habitude en partant d'un bon pied suivi de Carild, mais Danseur ne l'entendait pas de cette oreille et dépassa son maître avant de lui barrer la route. Orolhion eut beau le contourner à plusieurs reprises, à chaque fois le cheval venait se mettre devant lui.

- « Qu'est-ce que tu as encore espèce de bourrique ? »
- « J'ai l'impression qu'il veut que tu montes. Comme s'il voulait suivre la troupe » fit sa sœur.
- « D'abord tu me fuis, puis tu me forces à venir. Te moquerais-tu de moi ? » lâcha-t-il avec colère.

    En guise de réponse, Danseur le poussa d'un coup de tête en pleine poitrine. Il semblait prêt à tenir tête au guerrier. Avant que les deux têtes de mules qu'étaient son frère et sa monture ne partent dans une dispute ubuesque, Carild tendit la main vers son aîné pour l'aider à monter. L'équipe partit plein sud jusqu'au fleuve Isen.

    A l'approche du fleuve, ils aperçurent la troupe sur une barge qui traversait le fleuve avant de se remettre en route vers le sud. En arrivant au bord du fleuve, les Dunlendings avaient disparu. Malheureusement pour eux, la barge était restée de l'autre côté et aucun gué n'était en vue. Danseur renâclait le long de l'eau, impatient de franchir l'étendue liquide. Tous trois savaient pourtant qu'ils ne pourraient traverser à pied. Ils décidèrent donc de remonter le fleuve, à la recherche d'un point de passage.

Dernière modification par Orolhion Martelame (18-10-2013 21:10:31)

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#11 23-10-2013 18:50:38

Mildwyn
Voyageur de passage

Re : Une lettre noire

De mal en pis


Recroquevillée dans un coin de la cage, elle ouvrit lentement les yeux. Elle était ligotée et bâillonnée. Ses vêtements n'étaient plus que des haillons. La faim et le froid la tenaillaient. Elle essaya d'allonger ses jambes endolories, mais ses compagnons d'infortune étaient tellement nombreux autour d'elle que Mildwyn ne put faire glisser ses pieds au sol que de quelques centimètres. En tout cas suffisamment pour qu'une douleur lancinante sur le côté lui rappelle sa blessure qui avait tant de mal à cicatriser.

Depuis combien de jours était-elle dans cette cage ? Difficile de le dire. Elle avait perdu connaissance à plusieurs reprises. À cause des coups reçus. À cause de la faim. À cause du froid. À cause de l'épuisement. Mais la rage et la douleur qu'elle ressentait n'étaient pas sans lui rappeler qu'il fallait qu'elle tienne bon. Pour lui. Pour eux.

Parmi les nombreux prisonniers, elle était la seule à avoir été bâillonnée. Et pour cause !

Mildwyn se souvenait exactement de chaque instant qui avait précédé sa mise en captivité. Theo et elle avaient rapidement décidé de quitter la Vieille route car ils savaient que de longer de si près les terres des Dunlendings était très risqué. Ils avaient fini par retrouver la trace d’Orolhion et Carild, mais ils étaient au moins à un jour de marche devant eux.

Ce soir-là, malgré les protestations de la jeune femme, Theo décida de faire une halte un peu plus tôt que d’habitude. Elle était épuisée et elle avait besoin de manger quelque chose de plus solide que ces derniers jours. Sur la route, ils avaient eu la chance de trouver un piège qui gardait toujours sa proie emprisonnée et désormais sans vie : un lapin qui aurait fait un excellent repas. Pendant que Mildwyn dépouillait d’une main experte le lapin comme elle avait appris à le faire auprès de son père, Theo partit à la recherche de bois sec.

Elle entendit un craquement à quelques mètres d’elle. Elle se tourna dans la direction du bruit et d’un ton joyeux elle dit :

« Et bien ! Vous voilà enfin ! Vous en avez mis du temps pour récupérer quelques brind… »

Un semi-orque tenait solidement Theo d’une main, légèrement soulevé du sol, l’autre l’empêchant de parler. Mildwyn se leva immédiatement, la dague, dont elle s’était servie pour dépouiller le lapin, dans la main, dirigée vers le semi-orque. Son regard passait de l’un à l’autre, méfiante et prête à bondir. Le jeune homme, en la voyant, se débattit avec force et finit par parvenir à asséner un coup de talon sur la rotule du semi-orque tout en lui mordant la main. Ce dernier cria et lâcha prise. Theo se précipita vers Mildwyn en s’entreposant entre elle et la créature de Sauron.

« Ne la touchez pas ! »

Theo eut à peine le temps de terminer sa phrase qu’une lance venue de nulle part siffla dans l’air et atteignit son cœur dans un effrayant éclat de rire du semi-orque. Le jeune homme, sous le choc du coup reçu, fut poussé dans les bras de Mildwyn qui, oubliant tout danger, l’aida à s’allonger sur le sol.

« Pardonnez-moi. Je n’ai pas su vous protéger » souffla-t-il avant d’expirer.

D’une main tremblante, Mildwyn ferma délicatement les yeux de Theo. Ensuite elle saisit à nouveau sa dague qui se trouvait à ses pieds et, les yeux embués de larmes et de rage, elle se releva et s’avança menaçante vers le semi-orque qui la regardait faire d’un air satisfait, sans bouger. Ses pas étaient accompagnés d’un déferlement de paroles lui signifiant toute la haine qu’elle ressentait pour lui et tous ses semblables.

Elle n’était plus qu’à quelques centimètres du monstre, prête à le frapper de sa dague, lorsqu’une autre lance siffla dans l’air atteignant son flanc. Son cri de douleur perça la nuit tombante. Avant de s’affaler sur le sol perdant connaissance, elle eut le temps de voir la créature de Sauron lever la main faisant un geste voulant signifier de ne pas la tuer. Une fraction de seconde avant de fermer les yeux, elle aperçut une dizaine de paires d’yeux sortir de l’ombre du bois. À son réveil, elle était bâillonnée pour l'empêcher de crier toute sa haine à tout va, et entassée dans une cage avec d'autres pauvres bougres. Il y avait surtout des femmes, jeunes, ainsi que des garçonnets de dix ans et plus, en âge de travailler. Tous de parfaits esclaves.

Depuis combien de temps était-elle donc dans cette cage ? Quelques jours ? Une semaine ? Certainement plus car ils avaient traversé une rivière quelques jours plus tôt. Certainement l'Isen. La traversée en barge n'avait pas été de tout repos pour les prisonniers sur lesquels les coups de fouet n'avaient pas manqué de déferler. Et maintenant, les montagnes étaient déjà derrière eux, une autre rivière se profilant devant eux.

Elle observa la position du soleil dans le ciel et pensa : « La Lefnui ! ». Immédiatement une vague d'espoir envahit son cœur. Elle allait peut-être enfin pouvoir retrouver Orolhion. Mais comment allait-il faire pour affronter tous ces Dunlendings et le semi-orque qui dirigeait le convoi ? Il valait certainement mieux qu'il ne la reconnaisse pas parmi les prisonniers.

Un éclaireur arriva en criant. Mildwyn ne comprenait absolument rien à cette langue. Il parlait vite et gesticulait beaucoup en pointant son doigt en direction du fleuve. C'est à ce moment-là qu'elle aperçut un bateau. Elle n'avait jamais rien vu de tel auparavant. Le semi-orque cria un ordre aux Dunlendings qui forcèrent les chevaux à hâter leur pas. Lorsqu'ils atteignirent la rive, on obligea les prisonniers à descendre de leur chariot. Ils avaient tous beaucoup de mal à tenir sur leurs jambes.

Le regard bleu de Mildwyn faisait ressortir son teint légèrement hâlé soulignant sa beauté malgré l'état de ses vêtements et son aspect sale. Son dernier bain datait de son arrivée à Tharbad. Elle essayait tant que mal de se tenir droite et fière, balayant de son regard glacial, autrefois si doux, tout ce qui l'entourait, attentive à chaque mouvement de ses geôliers.

Une barque s'approcha de la rive. Il en descendit quelques hommes de toute origine. Ils étaient armés jusqu'aux dents. Un homme à la peau mate et aux cheveux grisonnants, très imposant de par sa taille et sa prestance, ouvrait la marche. Le semi-orque ordonna aux prisonniers de s'avancer. Puis il saisit le bras de Mildwyn qui essaya de se dégager sans succès et l'amena face à l'homme. Mildwyn fixa son regard d'un bleu glacial dans celui de l'homme. On pouvait y lire du défi et de la haine.

« Belle prise ! » lança l'homme en détaillant la jeune femme du regard.

Mildwyn sentait son regard posé sur elle. Elle se sentait souillée. Ses yeux se firent alors encore plus froids et haineux à son égard.

« Elle est pour toi, Maître Martelame ! » siffla la créature de Sauron avec satisfaction.

Mildwyn pâlit. Son regard n'exprimait plus la haine. Il exprimait la surprise mélangée à la crainte.
Elle était face à Orophant. Elle était face au frère d'Orolhion. Elle était face à son beau-frère.
Elle était surtout face à son nouveau geôlier.

Qu'allait-il se passer lorsqu'Orolhion la retrouverait dans les geôles de son propre frère ? Car elle le savait : Orolhion n'allait pas tarder à arriver. Les deux frères avaient rendez-vous. Ici même.

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#12 24-10-2013 23:26:14

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Une lettre noire

Retrouvailles



    Cela faisait des heures qu'ils restaient là, à guetter d'éventuels éclaireurs ou simplement des paysans qui pourraient donner l'alerte s'ils étaient repérés, mais à part les contreforts des montagnes et quelques collines vertes, il n'y avait rien à voir dans cette zone. L'ennui commençait à les gagner et la chose qu'ils guettaient le plus à présent était la venue de la relève. Malheureusement pour eux, le soleil qui trônait haut dans le ciel annonçait qu'ils n'en étaient qu'à la moitié de leur garde. Pour tromper le temps, les deux sentinelles dunlendings   commencèrent à discuter, baissant de même leur niveau de surveillance.

      - « Tu penses quoi de ces pirates ? J'ai l'impression qu'aucun d'eux ne vaut un de nos guerriers. »
      - « Je n'aime pas le grand avec ses cheveux gris. Il m'a l'air dangereux. Ses hommes par contre ne vaudraient même pas un gamin du clan du cerf. Je me demande bien pourquoi le chef est venu négocier des renforts avec eux. »
      - « C'est un étranger lui aussi. Il ne connaît pas la valeur de notre peuple. »
      - « Sûrement. J'ai entendu de drôles de choses à son sujet... il paraît qu'il prend ses ordres directement du magicien blanc. »
      - « Bah ! Ce n'est qu'un larbin d'un larbin d'un larbin du magicien blanc ! »
      - « Ce qui fait de nous des larbins de larbin de larbin de larbin »

    Les deux hommes partirent d'un grand éclat rire puis continuèrent leur discussion sur un ton plus léger.

    Tout d'un coup, les deux sentinelles se figèrent en tendant l'oreille. Un claquement régulier résonnait de plus en plus fort dans leur direction. Deux cavaliers sur un des grands chevaux du Rohan longeaient le fleuve au grand galop. Les deux hommes jurèrent en se rendant compte qu'ils auraient dû se rendre compte de leur présence bien plus tôt s'ils ne s'étaient pas mis à discuter.

      - « Va vite avertir le camp pour savoir ce que l'on fait d'eux ! Je reste à surveiller qu'il n'y en ait pas d'autres à leur suite »

    L'autre ne se fit pas prier et, enfourchant sa propre monture, se précipita vers le camp.

***

    La femme en robe écarlate gisait au pied d'Orophant, victime une nouvelle fois d'une de ses gifles. Après l'avoir reçue en cadeau de bienvenue de la part du semi-orque, il lui avait retiré son bâillon pour pouvoir la questionner, mais à peine le tissu défait, elle se mit à lui déverser tout un flot de paroles haineuses à tel point que certains de ses hommes reculèrent d'un pas sous la surprise. Lui n'y fut pas sensible et lui décocha un premier revers qui lui mit la lèvre en sang. Quand elle revint à elle, il commença à lui poser des questions. Qui était-elle ? Que faisait une femme qui semblait visiblement du nord, dans le pays de Dun ? Devant son refus de répondre, de nouvelles gifles fusèrent, la laissant au mieux à terre, au pire inconsciente, un filet de sang s'échappant de son nez et de sa bouche.

    Orophant aurait pu l'envoyer rejoindre les autres esclaves. Une fois son visage remis de ses coups, elle aurait pu rapporter une coquette somme, mais son silence indiquait qu'elle cachait autre chose derrière son mépris. Et puis l'homme prenait un certain plaisir à cet interrogatoire.

    Une coupe de vin en main, le pirate était penché sur la jeune femme recroquevillée. Délicatement il dégagea de son autre main une mèche de cheveux bruns qui couvrait la joue de sa victime. En voyant la teinte bleuâtre de la pommette, il secoua la tête.

      - « Il va être temps de parler sinon bientôt je ne pourrai même plus te vendre. Ce serait tout de même dommage d’abîmer encore plus ton joli minois. »

    Un autre pirate l'interrompit dans ses œuvres.

      - « Maître ! Une sentinelle vient de nous signaler que des cavaliers se dirigent vers nous. Un homme et une femme sur une monture de guerre. Faut-il les abattre ou les faire prisonniers ? »

    Orophant afficha un léger sourire.

      - « Qu'on les laisse passer. Et fais-moi apporter mon bouclier et une épée. Que personne n'intervienne. »
      - « Bien maître »

***

    Le vent dans les cheveux, Orolhion éprouvait une grande liberté à chevaucher à nouveau avec Danseur, oubliant momentanément son deuil, ses angoisses, sa rage. Sa sœur le rappela à sa réalité en lui montrant un cavalier au loin.

    Sans doute une sentinelle.

    Danseur avait toujours été un cheval qui n'en faisait qu'à sa tête et il avait décidé de suivre la troupe qu'ils avaient croisée quelques jours auparavant. Nul doute que s'ils n'avaient pas eu à chercher une autre voie le long du fleuve, ils les auraient rattrapés depuis longtemps. Orolhion ne l'en avait pas empêché car ce chemin était le même que celui qu'il devait prendre pour retrouver son frère. Toutefois la présence de sentinelles allait maintenant rendre la fin de ce voyage beaucoup plus dangereux. Les dunlendings ne les laisseraient certainement pas passer sans rien faire. Les combats à venir s'annonçaient violents et le guerrier laissa sa rage l'envahir, puis tira l'épée du fourreau.

    Sa sœur n'en menait pas large. Seulement armée de dagues, elle ne pourrait pas faire grand chose si le combat se jouait monté, et elle doutait aussi de son utilité à pied face à une telle troupe. Tout ce qu'elle pouvait faire était de s’agripper à son frère en espérant ne pas se prendre une flèche ou un coup perdu.

    A mesure que le fleuve se déroulait devant eux, un bateau ayant jeté l'ancre apparut. La troupe avait établi un camp à ses côtés, se mêlant à l'équipage. Dès qu'il aperçut les voiles, Orolhion baissa l'allure puis s'arrêta dès que le navire fut entièrement en vue.

      - « Descends. Notre chemin s'arrête là » dit-il à sa sœur.
      - « C'est... c'est lui ? » fit-elle incrédule.
      - « Descends. J'ai des comptes à régler et toi, ta mission est finie. »
      - « Attends. On va y aller doucement. Il veut te voir pour parler »
      - « DESCENDS ! »

    Le ton était sans équivoque. La jeune femme se laissa glisser à terre puis gratifia l'encolure de Danseur d'une légère caresse.

      - « Très bien ! Va te faire tuer si tu y tiens tant ! Je m'en moque après tout ! »

    Puis doucement elle chuchota à l'oreille du cheval :

      - « Prends soin de cet abruti. »

    Le cheval hennit, puis, cédant aux talonnades de son maître, partit au galop.

***

    Tout le monde avait repéré le cavalier qui s'approchait en brandissant une grande épée. Chacun s'écarta du trajet de l'homme, formant une allée au bout de laquelle attendait Orophant, s'abritant derrière un grand bouclier rectangulaire qui semblait avoir déjà bien vécu. Dès que le cavalier ce fut suffisamment approché, il cria vers lui :

      - « C'est moi que tu es venu chercher ! Je suis là gamin ! »

    Comme il l'avait prévu, son frère chargea vers lui, menaçant de frapper avec une rare violence. Juste avant l'impact, Orophant se jeta légèrement en arrière pour amortir le choc. L'épée décrivit un arc de cercle et frappa de plein fouet le mur d'acier, le projetant ainsi que son propriétaire en arrière. L'homme se releva difficilement et eut juste le temps de brandir à nouveau son bouclier avant que l'épée ne s'abatte encore dessus.

    Le manège recommença plusieurs fois, mais toujours le bouclier et l'homme qu'il défendait se redressaient juste à temps pour se défendre. Prenant de l'assurance, Orolhion réduisit la distance de course de sa charge à chaque passage. Encore un nouvel impact. Orophant en se retrouvait plus à terre cette fois. Moins emprunts d'élan, les coups de son frère devenaient moins violents. Il profita du moment où le cavalier fit demi-tour pour charger bouclier en avant vers son adversaire. Même Danseur fut surpris par la violence de l'impact.

    Orophant avait perdu son épée dès les premiers assauts et n'avait consacré ses mains qu'à maintenir son bouclier depuis. Enfin au contact de la monture, il tira une dague accrochée dans son dos et du même geste, la glissa sous une sangle de la selle et la trancha net. Le cavalier vida les étriers alors qu'Orophant lui tirait la jambe. Ce dernier pointa alors sa dague vers son frère et s’apprêtait à frapper. D'une ruade dans le bouclier, Danseur propulsa le combattant au loin avant que le coup ne porte. Se relevant, celui-ci décocha un regard meurtrier à l'animal. Danseur recula, pris de peur, tandis qu'Orolhion se remettait sur pieds.

    L'aîné baissa son bouclier et se mit à rire.

      - « Alors frangin, même avec ton canasson et ta grosse épée, tu n'arrives pas à me battre alors que je n'ai qu'un petit couteau ? Je suppose que si je vais prendre une épée comme la tienne, tu mouilleras tes chausses. »
      - « Prends-la ton épée ! Je t'aurai ! »

    Orophant émit un sourire narquois. Il avait amené son frère là où il le voulait. Il fit signe à un de ses acolytes de lui apporter sa propre épée, une grande lame ouvragée mais visiblement très ancienne. Il prit tout son temps. Il savait que son frère ne l'attaquerait pas tant qu'il n'aurait pas pris son arme.

      - « Tu n'as plus aucune chance maintenant »

    Orolhion ignora la nouvelle provocation de son frère et chargea. Orophant para avec une grande facilité et l'acier des deux armes se mit à chanter tandis qu'ils échangeaient les coups. Le plus jeune des deux avait beau frapper avec une plus grande force, la supériorité technique de l'aîné ne laissait aucun doute et il fut forcé de reculer, reculer et reculer encore. Ils traversèrent ainsi une grande partie du camp, l’attroupement autour d'eux s'écartant petit à petit pour leur laisser un passage. Tout le monde n'avait plus d'yeux que pour ce duel et nul ne remarqua Carild qui rejoignait enfin le groupe.

    L'épuisement commençait à menacer Orolhion. Son frère lui n'accusait aucun signe de fatigue et mener ce combat semblait l'amuser follement. D'un coup, une silhouette s'interposa entre eux : Carild.

      - « Arrêtez ! Vous avez vraiment l'intention de vous tuer ? » fit-elle.

    Orolhion profita de ce répit impromptu pour reprendre son souffle en s'appuyant sur son épée.

      - « Va t'en petite. C'est entre lui et moi. S'il veut mourir, il mourra. » Dit Orophant d'un ton égal. « Si tu ne te pousses pas, je te tue avec lui. »

    Sans attendre de réaction de leur sœur, il leva son arme, prêt à frapper. Carild ferma les yeux, espérant un peu de pitié de ce frère qui l'avait élevée. Orophant frappa.

    L'acier chanta une nouvelle fois. Un genou à terre, Orolhion brandissait son arme en parade à celle de son frère, puis, avec un cri de rage, se redressa et frappa de toutes ses forces, repoussant son frère à chaque assaut. Orophant semblait avoir du mal à suivre les attaques et ne parait que d’extrême justesse à chaque fois. Pourtant il ne semblait pas décontenancé par ce soudain revirement. Rapidement agacé, Orophant se dégagea d'une feinte.

      - « J'en ai assez. Il est temps que je te donne ta leçon. »

    Avec force et vitesse, l'aîné donna un coup de tranchant que son frère tenta d'arrêter. Le chant de l'acier cessa dans un éclat. La lame d'Orolhion se brisa sous l'impact éparpillant des morceaux d'acier tout autour des combattants. Bien que ralentie par le choc, l'épée d'Orophant continua son trajet et vint entailler le bras gauche de son adversaire, le forçant à lâcher les restes de son arme.

    La plaie était superficielle mais la douleur lui cuisait. Menacé par la pointe de la lame, Orolhion ne put que reculer, tout en maintenant sa blessure. Il se savait à la merci de son frère et cela lui déplaisait fortement. Tout, mais pas encore battu par lui. Tout en reculant, il jetait des regards en tous sens pour trouver une arme qui traînait ou une échappatoire quelconque. Rien.

    Orolhion recula encore et encore, quand son pied heurta quelque chose qui se mit à geindre. Emporté par son élan, il ne put garder son équilibre et chuta durement par dessus la chose. L'épée le menaçait toujours et il n'avait plus d’échappatoire. Cette fois c'était fini. Fini de ce cauchemar, de cette rage qui l'habitait, de cette culpabilité envers sa famille. Mû plus par réflexe que par curiosité, ses yeux se posèrent sur ce qui l'avait fait choir. Ceux-ci s'agrandirent quand il comprit ce que c'était.

    Il croyait l'avoir perdue. Il était là, près de mourir, n'ayant de toute façon plus grand chose à laquelle se raccrocher, et voilà qu'elle réapparaissait. Blessée et inconsciente, elle gisait à ses pieds et rien d'autre ne comptait plus. Pas même l'arme qui allait abréger ses jours. Ignorant la menace, il se rapprocha d'elle et lui caressa le visage avec tendresse. Sa jolie fleur.

    Orophant ne perdit pas une miette de la scène. Il lui aurait été aisé de se débarrasser de ce frère qui devait l'aider et était devenu une gène, mais le voyant si concentré sur la jeune femme en dépit de sa propre mort imminente, il comprit le lien qui les unissait. Cuthnard l'avait prévenu qu'elle risquait de l'avoir suivi. Qu'elle fut là avant lui, fut juste une surprise mais qui allait sans doute l'arranger. La pointe de la lame s'inclina légèrement. Elle ne menaçait plus Orolhion, mais son épouse.

    Orolhion aperçut le manège de son frère et empoigna la lame, du sang dégouttant légèrement d'entre ses doigts.

      - « Je te laisse le choix. Tu me sers et elle vit. Tu pourras même la voir de temps à autre. Soit tu continues à résister... et je te laisse deviner la suite. » Fit l'homme aux cheveux grisonnants.

    Orolhion regarda longuement son épouse puis relâcha sa prise sur l'arme.

      - « Fais de moi ce que tu veux. Tue-moi si ça te fait plaisir. Mais je t'en prie... laisse-la partir »

    Son frère émit un léger rire narquois.

      - « Pour te tuer je verrai ça plus tard, mais pour le moment j'ai besoin de toi. Quant à elle... »Il observa sa belle-sœur puis ajouta : « J'ai besoin d'un otage pour m'assurer que tu ne me joueras pas de mauvais tour. »

***

    Elle sentit une présence agréable à ses côtés. Une chaleur qu'elle connaissait, qu'elle appréciait. Une main tendre lui caressait les cheveux. Elle se sentait bien, ses blessures semblant flotter loin d'elle, comme à la surface d'une bulle. Elle n'osait pas ouvrir les yeux. Elle savait qu'une fois ouverts, la bulle éclaterait et les douleurs cuisantes s'abattraient à nouveau sur elle. Mais elle voulait savoir quelle était cette présence qui l’apaisait.

    Des cris étouffés. Des gens qui se disputaient un peu plus loin. La bulle frémit. La main s'éloigna.

    De nouveaux cris. La bulle éclata.

      - « Tu m'aurais tuée sans hésiter ! » fit une voix féminine, proche de l'hystérie.
      - « Je t'avais mise en garde. » dit une voix masculine qu'elle identifia à celui qui l'avait blessée.
      - « C'est un monstre qui ne pense qu'à lui. Tu ferais mieux de t'éloigner de lui si tu en as l'occasion » fit une troisième voix, qu'elle se refusa d'identifier.
      - « Oh toi, ferme-la ! Si lui est un monstre, tu en es un aussi ! » répondit la voix féminine.
      - « Ne sommes-nous pas issus d'une famille de monstres ? » commenta d'un ton ironique la première voix.

    Mildwyn entrouvrit les yeux, pour voir ces voix. Elle reconnut son geôlier. À ses cotés se trouvait une jeune femme qui avait le même regard. La troisième personne lui tournait le dos mais elle ne put plus se cacher son identité. C'était son époux. Son Orolhion qu'elle avait décidé de suivre malgré le danger. Le danger ne lui faisait pas peur. Ce que lui était devenu, ou plutôt redevenu, la terrifiait. Elle ne savait pas comment affronter cela. Elle voulait à la fois être proche de lui et s'écarter vivement. Quand il fit mine de se retourner pour reprendre ses soins, elle ferma vivement les yeux. Elle voulait retourner dans sa bulle. Ne plus avoir à faire face à l'horreur qui l'attendait.

    Les heures passèrent ainsi, passant de phases d'éveil à écouter et de temps à autre entrouvrir les yeux, à des moments de sommeil. Quand elle était consciente, elle put entendre de nouvelles disputes familiales, des ordres donnés aux soldats. Elle put voir qu'on levait le camp, certains emportant des caisses à bord du bateau, d'autres se regroupant pour repartir à pied. Elle sentit qu'on la transportait, probablement vers le bateau, mais elle s'en moquait. Tout ce qu'elle voulait, c'était rester dans sa bulle, quelque soit ce qu'il se passe autour.

    Le roulis lui confirma sa présence sur le navire. Elle entendait des gens se précipiter de la poupe à la proue et inversement. En fond incessant, les cris des frères et sœur résonnaient toujours. Elle sentit le vent venir caresser ses ecchymoses. Elle était allongée sur le pont, sans doute pour rester à la vue de son geôlier. Mais que faisait donc son époux ? Allait-il la laisser ainsi et ne rien faire ? Était-il de mèche avec son frère ?

    En prise avec ces réflexions, elle se rendit compte que les cris avaient cessés. Seul restait le son des matelots qui œuvraient, ainsi qu'une espèce de borborygme. Elle se risqua à entrouvrir à nouveau les yeux pour se rendre compte de la situation. Le ciel s'était assombri et il ferait bientôt nuit. Elle tourna légèrement la tête et aperçut trois silhouettes appuyées contre le bastingage. Il y avait une chose sur laquelle la famille Martelame s'accordait : chaque voyage en bateau leur donnait invariablement le mal de mer.

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