La Confrérie du Dragon Eteint

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#1 24-02-2013 19:49:36

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

L'homme du Roi [âmes sensible s'abstenir]

Pour la deuxième édition des Riches heures du Jardin de l'eau, organisé par Hiragil, le thème était la mer. J'avoue avoir eu du mal à écrire sur ce sujet mais je me suis rappelé une très vieille histoire qui circulait dans les convois au sein desquels j'ai passé mon enfance.

De cette histoire j'ai tiré une chanson, mais une vilaine fièvre à fait que je n'ai pu la présenter ce jour là. Je vous présente donc aujourd'hui les paroles de cette chanson.

En Numenor, il était un Homme du Roi,
De celui-ci, il écoutait la voix.
Ar-pharazon voulait combattre les Valar,
Ses ordres étaient de ramener les troupes d'Umbar.

Au petit jour, sur une galère il embarqua,
Puissant navire, tiré par la force de cent bras.
Le ciel se couvrait déjà de biens sombres nuages,
Bientôt, la guerre irait vers l'Ouest et ses rivages.

Le roi n'attendit pas, de l'homme, le retour,
Et lança l'assaut sans vouloir perdre un seul jour.
Eru en colère, ouvrit la mer sous leurs pieds,
Et Numenor d'une vague fut submergée.

La vague de furie, se dirigea vers les côtes
Et rattrapa la galère et balaya ses hôtes.
Les courants trainèrent, un à un, les survivants au fond des eaux,
Bientôt, il ne resta plus que l'homme sur un radeau.

L'homme exsangue s'échoua sur une petite plage,
Et fut recueillit par une caravane de passage.
Revenant à lui, son regard se tourna vers la mer.
Le destin de sa patrie fut triste et amer.

Il accompagna les marchands itinérants,
Et plus jamais son regard ne se tourna vers le couchant.
On oublia tout de cet homme, même qu'il fut un survivant,
Mais ni lui ni ses descendants n'approchèrent plus l'océan.


Dans cette chanson, on en plaindrait presque le "héros". Mais la véritable histoire est bien plus violente et cruelle, et Laitamar, puisque c'est le nom du protagoniste, est bien loin d'être un héros. Voici la véritable histoire (Âmes sensibles s'abstenir) :

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#2 24-02-2013 19:51:04

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : L'homme du Roi [âmes sensible s'abstenir]

Les flots gris s'abattaient avec fracas sur la grève, faisant voler quelques brins d'écume dans le ciel morne de cette matinée. Le vent glacial ne charriait plus la bonne odeur iodée de la mer, mais ramenait sans cesse la puanteur des bûchers rituels vers l'intérieur des terres. Laitamar avait l'habitude de venir ici pour apaiser sa colère en observant le ressac, mais aujourd'hui cela n'avait aucun effet sur lui. La fureur le submergeait à mesure qu'il se remémorait les ordres qu'il avait reçus. Partir à l'est quand tous les navires se massaient à l'Ouest pour partir en guerre. Il lui était insupportable d'être mis à l'écart de la plus grande bataille que livrerait son peuple : conquérir les Terres Immortelles.
Les ordres laissaient pourtant entendre qu'il serait utile à cette cause. Il devait rapatrier des troupes venant d'Umbar pour les joindre aux forces déjà présentes, mais il se doutait que sous l'influence du grand prêtre, son plus proche conseiller, Ar-Pharazôn n'attendrait pas son retour pour lancer l'assaut. Déjà le moindre orage était considéré comme une provocation de Manwë, embrasant la rage du souverain et de son peuple derrière lui. Il n'y avait guère que les Fidèles qui refusaient cette guerre, mais bientôt ils seraient tous capturés et livrés aux autels du grand prêtre pour être immolés en l'honneur du Seigneur de la nuit. On racontait que certains s'étaient déjà enfuis à l'est ou projetaient de le faire, mais quand les Numénoréens auront obtenu l'immortalité qui leur était due, ils auraient tout le temps de les traquer aux confins du monde pour les amener devant la justice du Roi des rois.

    Laitamar serra les poings de frustration tandis que ces yeux bleu pâle, presque gris, suivaient le va et vient des vagues. Il était parti de loin pour obtenir sa position de capitaine. Il n'avait rechigné devant aucun effort, et tout cela pour être éloigné du plus grand moment de gloire. Il se souvint encore du moment où, lassé d'apprendre les arts des forgerons auprès de son père, il quitta le domaine familial pour s'engager dans l'armée du Roi et suivre les marins vers les terres de l'Est. Ah qu'il était jeune et fougueux en ce temps voilà près de quarante ans en arrière, bien qu'on puisse encore le considérer comme jeune pour les siens. Il fut bien vite remarqué par ses supérieurs quand sa patrouille tomba dans une embuscade par des hommes des montagnes qui ne voulaient plus payer leur tribut au Roi. Le chef de patrouille n'était qu'un jeune nobliau ne devant son rang qu'à sa naissance et qui fut complètement pris de panique par l'assaut. Devant l'inaction de celui-ci, Laitamar, d'une voix imposante, donna de nombreux ordres qui permirent de sauver la plupart des soldats puis de reprendre l'avantage sur les assaillants. Le chef de patrouille, encore sous le choc de l'attaque, suivit lui aussi les ordres du jeune homme sans poser la moindre question. Tous les sauvages furent abattus sauf leur chef qui fut mené ligoté dans son village. Tous les villageois furent rassemblés au centre du village. D'un coup d'épée bien placé à l'arrière des genoux, Laitamar mis l'homme des montagnes à genoux. Une femme poussa un cri et laissa s'échapper l'enfant qu'elle retenait jusque là. Le petit se précipita vers le prisonnier mais fut intercepté par un soldat. C'était tout ce qu'attendait Laitamar qui afficha un sourire mauvais.
« C'est ton fils ? » demanda-t-il.
Le regard de l'homme lui parla bien avant qu'il n’acquiesce et son sourire s'agrandit d'autant plus. La place centrale du village regroupait la plupart des échoppes d'artisans dont celle d'un maréchal ferrant. Il empoigna l'enfant par les cheveux et le traîna vers la boutique, ignorant ses pleurs et les protestations de son père. Plusieurs marteaux étaient suspendus là, attendant de battre le fer chaud. Le jeune soldat se retourna vers les villageois et son regard se fixa dans celui du prisonnier.
« Apprenez ce qu'il en coûte de défier les hommes du Roi » tonna-t-il.
Se saisissant d'un marteau d'une main, il écrasa la tête de l'enfant contre l'enclume et frappa. Il frappa encore et encore jusqu'à ce que le corps sans vie s'écroule sur le côté dans une mare de sang et d'os broyés. Le père hurlait à la vengeance mais il n'eut aucun écho parmi les villageois qui étaient brisés par l'acte barbare. Laitamar fit le tour de la place, une poignée de cheveux ensanglantés encore en main, à la recherche  de la mère. Celle-ci avait perdu connaissance et tous ses voisins s'écartaient d'elle, de peur d'être associés à cette famille et d'être sacrifiés à leur tour. Il la désigna et fixant les villageois, il leur ordonna de l'immoler. D'abord hésitants, le regard glacial du Numénoréen finit par les convaincre d'agir s'ils ne voulaient pas la rejoindre dans le brasier. Rapidement un bûcher fut construit et la femme brûlée vive devant son époux qui était retenu d'une main de fer par deux soldats. Le chef de la révolte était brisé et il n'accorderait plus jamais sa confiance aux villageois qui depuis se comportaient comme des agneaux dociles. La façon dont le jeune homme avait résolu le problème fit grande impression auprès de ses supérieurs. Il devint chef de patrouille et gravit les échelons suivants rapidement devenant capitaine en rentrant à Númenor.

    Un homme vint le sortir de sa contemplation. Il s'agissait de son second, Gimilhil. C'était un navigateur né qui était respecté par ses hommes. Laitamar avait trouvé en lui, quelqu'un de fiable, comme il ne mettait jamais en cause ses ordres, aussi cruels pouvaient-ils être, et les faisait appliquer à la lettre.
« Nous sommes prêts à appareiller Monseigneur. »
Sans un mot, le capitaine suivit son subalterne vers le port. Le tonnerre brisa le silence. Un nouvel orage menaçait l'île et le voyage serait sans aucun doute mouvementé, mais cela n'effraya aucun des deux hommes. Ils avaient vu des navires succomber à la foudre et aux flots déchaînés sans doute par les Puissances de l'Ouest, ce qui avait affermi leur détermination quand ils avaient appris la volonté du Roi de conquérir l'Ouest et de mettre fin à l'assaut des éléments. Leurs pas se firent plus décidés. Les voies menant au port étaient désertes. Évidemment, tout le monde était de l'autre côté de l'île, à préparer l'immense flotte de combat. Seuls quelques rares navires restaient à quai en plus du sien. Sans doute leurs propriétaires avaient-ils été menés au Meneltarma pour être offerts au Seigneur de la nuit et obtenir ses grâces pour les batailles à venir. Ils arrivèrent enfin à la galère qui devait les mener à Umbar : le Kathuphaz-gãnun, le conquérant. Plus d'une centaine de rames attendaient un ordre de son capitaine pour lutter contre les vents traîtres et rejoindre l'Est. Alors qu'il s’apprêtait à monter sur la passerelle, un mouvement sur les quais attira l'attention de Laitamar. Quelqu'un venait de se faufiler derrière une caisse en direction d'un des navires restant. Il s'arrêta pour faire face à son second et parlant d'une voix forte, lui demanda si chaque préparatif avait bien été fait. Il savait bien entendu que tout avait déjà été vu et revu, mais le second joua le jeu de son supérieur, tout en lisant les signes que faisaient les mains de celui-ci. Ils avaient développé un ensemble de mouvements basiques pour communiquer quand le silence est impératif au cours de leurs nombreuses missions.
Espion – Quai – Capturer.
Le second feignit alors d'avoir oublié un préparatif et remonta les quais sous les réprimandes de son capitaine. Quand Gimilhil eut dépassé les caisses où le mouvement avait été repéré, Laitamar tira son épée du fourreau et commença à courir vers son second qui venait à son tour de tirer sa lame. De peur d'être aperçu lors de la rixe qui semblait devoir arriver, un jeune homme à peine sorti de l'enfance chercha à s'éloigner rapidement. Exactement la manœuvre attendue par les deux hommes du Roi. Il se fit rapidement rattraper par le second, bien vite rejoint par son capitaine. L'empoignant par le col et pointant sa lame sur la pomme d’Adam de l'espion, Laitamar le pressa de questions.
« Qui es-tu ? Que veux-tu ? Qui t’envoie ? »
Pétrifié de peur, il était bien incapable de répondre. Le second sembla le reconnaître.
« Je crois bien l'avoir déjà vu. C'est le fils d'un de ces traîtres de Fidèles. »
Se sachant perdu d'avance, le jeune homme eu un regain de courage, tira une petite dague et fouetta l'air devant lui espérant blesser l'homme qui le maintenait pour pouvoir s'enfuir. Il fit une longue entaille de la pommette gauche jusqu'au milieu du front, évitant de peu l’œil. La douleur aurait dû lui faire lâcher son prisonnier, mais sa colère était telle aujourd'hui, qu'elle eut l'effet inverse. Son poing se resserra plus fort, étranglant son prisonnier avec le col de sa tunique. Sa colère se changea en haine. Il sentit monter en lui toute la cruauté dont il était capable, son sourire s'élargissant tandis que la douleur irradiait et que le sang glissait et imprégnait sa bouche de son goût métallique. Le jeune homme était redevenu enfant devant le visage de la mort, se débattant et mouillant ses chausses de désespoir. Laitamar ne sut pourquoi mais il se sentit incapable de l'abattre alors que cela aurait pu mettre un terme à la frustration qu'il ressentait depuis qu'il avait reçu ses ordres. Il lui donna un grand coup du pommeau de son épée en pleine mâchoire, brisant deux dents et inondant la bouche du jeune de son propre sang, avant de l'expédier dans l'eau.
« Fuis misérable larve ! Et préviens les tiens qu'à notre retour de l'Ouest nous vous traquerons tous ! »
Gimilhil tendit un mouchoir à son supérieur afin d'éponger le sang qui continuait de couler. Tandis qu'il pressait sa plaie avec l'étoffe, la douleur irradiait de plus belle. Il dut serrer les dents pour empêcher un cri de sortir et faire montre de faiblesse devant son second. Montrer le moindre signe de faiblesse pouvait rapidement changer l'allégeance d'un homme.
« Vous vous êtes montré bien généreux envers ce gosse » dit le second qui crachait sur l'infortuné alors qu'il tentait de rejoindre un quai à la nage, de préférence le plus loin possible des deux hommes du Roi. Un poing rageur s'écrasa sur son nez dans un sinistre craquement en guise de réponse. Sa frustration n'en était que peu allégée. Alors qu'il remontait le quai vers son navire, il passait en revue en pensée qui de ses hommes serait le plus apte à remplacer son défunt second.

Dernière modification par Orolhion Martelame (24-02-2013 19:52:59)

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#3 24-02-2013 19:52:22

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : L'homme du Roi [âmes sensible s'abstenir]

Le médecin de bord s'affairait sur la blessure de son capitaine quand le bateau quitta enfin le port. Une sale blessure apparemment. Il s'en était fallu de peu d'avoir un capitaine borgne. Ayant fini de recoudre, le médecin entoura la moitié du visage de Laitamar d'une bande de lin imprégnée d'une lotion cicatrisante et lui intima de rester en cabine tout le long du trajet. Il ne fallut pas deux jours avant qu'il ne transgresse cette demande. La douleur qu'il ressentait avait attisé sa colère et sa frustration. Sur le pont, le vent iodé le brûla et les embruns imbibèrent ses bandages de sels. La douleur devint obsédante mais il ne supportait plus de rester enfermé à ruminer. Le médecin fit l'erreur de vouloir le ramener en cabine. Dans un élan de rage, il saisit l'homme à la gorge et le jeta par dessus bord. Le corps du malheureux se brisa contre les multiples rames de la galère avant de s'enfoncer dans l'océan. L'équipage fut pris de stupeur et le contre-maître qui battait la cadence ne donnant plus de coups, les rames s'arrêtèrent un instant. Laitamar arracha ses pansements avec un grand cri de douleur puis darda d'un regard empli d'une haine froide ses hommes pour s'arrêter ensuite sur le contre-maître. Sa plaie était boursouflée et rougeâtre, signe d'une infection malgré les soins apportés. D'une voix ne laissant aucun doute sur ce qui attendait le contre-maître s'il n'obéissait pas sur le champs, Laitamar ordonna : « Cadence à vingt », avant de retourner en cabine. Le tambour résonna avant même qu'il n'ait atteint la porte, accompagné du chant du fouet sur le dos des esclaves. Ar-Pharazôn lança dans le même temps l'assaut vers l'Ouest.

    Alors que les jours passaient le caractère du capitaine ne s'était pas amélioré. L'infection s'était étendue et la fièvre l'avait forcé à rester alité et délirant. Un homme crut que ce fut le bon moment pour prendre du galon suite à un malheureux accident. C'était sans compter sur la force que lui donnait la colère constante qui l'habitait. Alors qu'avec deux complices ils avaient emmené leur capitaine contre le bastingage, prêts à le jeter par dessus bord, il put se dégager de leur étreinte d'un geste violent et trois hommes finirent par nourrir les poissons, laissant Laitamar avachi sur le bastingage mais sa position de capitaine et seul maître du navire s'en trouvait renforcée. Quand la fièvre le quitta enfin, le sel avait creusé sa plaie et son visage était déformé par les boursouflures, le rendant méconnaissable si ce n'était son regard où couvait toujours une colère glaciale. Un peu plus d'un mois s'écoula sur les flots et l'équipage se sentait soulager d'atteindre bientôt les côtes quand l'océan commença à s'agiter. Des vagues de plus en plus fortes secouèrent le navire, projetant plusieurs hommes à l'eau. Pris de panique les rameurs perdirent leur rythme et quelques-unes des longues rames s’emmêlèrent. Les flots se chargèrent ensuite de les briser. Le tangage cessa soudain. La mer devint étrangement calme. Toutefois un grondement sourd emplissait l'air. Un mur d'eau s'éleva à l'horizon et se précipita dans leur direction. Les hommes n'eurent pas l'occasion de se mettre à l'abri. Ils n'en avaient d'ailleurs pas la possibilité. La galère n'offrit guère plus de résistance qu'une coquille d’œuf face à cette colère faite océan. La coque explosa à l'impact et les eaux emportèrent l'équipage dans les ténèbres des profondeurs marines. Seule une poignée d'hommes survécut. Tous hommes du Roi. Tous les galériens avaient suivi le navire par le fond, tirés par leurs chaînes. Laitamar s'accrochait autant que possible à ce qui avait été la porte de sa cabine et qui tenait à peine lieu de radeau de fortune. D'autres hommes s'étaient trouvés de quoi flotter : ici un morceau de mât, là un tonneau vide, mais la plupart nageaient pour leur survie. Certains tentèrent de rejoindre son fragile esquif, mais quand il comprit qu'il aurait bien vite basculé dans l'opération, il les accueillit avec force coups, envoyant de nouveaux hommes rejoindre les abysses. Certains avaient encore la force de lui rendre ses coups, rouvrant au passage sa plaie au visage, mais aucun ne parvint à lui voler sa place. Au bout de quelques heures, il ne restait que ceux qui avaient pu trouver une planche de survie. La mort prit son temps pour les faucher un à un. La fatigue eut raison des premiers qui glissèrent et se noyèrent. Les blessures avaient été nombreuses et beaucoup furent pris de fièvres malignes qui eurent raison d'eux. Les plus forts succombèrent au sel et au soleil qui les desséchaient. Ils s'endormirent pour ne plus se réveiller, cadavres flottant sur une planche, picorés de temps à autres par des mouettes et autres oiseaux de rivage. Laitamar sourit avec cynisme en les apercevant, fendillant ses lèvres gercées. Il avait enduré tout cela pour mourir si près des côtes. Quelle ironie ! Il s'endormit à son tour, en proie une nouvelle fois à la fièvre.

Dernière modification par Orolhion Martelame (24-02-2013 19:53:31)

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#4 24-02-2013 19:54:38

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : L'homme du Roi [âmes sensible s'abstenir]

La jeune Malith explorait la plage à la recherche d'objets de valeur que les vagues auraient ramenés sur le rivage. Un raz de marée avait ravagé les côtes près d'une semaine auparavant et maintenant les flots charriaient de nombreux cadavres de malheureux marins, mais aussi ce qui lui paraissaient être de nombreux trésors. Des poteries à peine ébréchées, des étoffes que le sel n'avait pas encore rongées, des armes parfois aussi. Tout cela se vendrait bien dans les différents villages qu'elle traversait avec le convoi marchand. Elle était née dans cette caravane que son père avait rejoint quelque quarante années plus tôt. Pourquoi il l'avait suivie, il n'avait jamais voulu le dire et ses yeux exprimaient une infinie tristesse quand elle, ou ses frères, le lui demandaient sans jamais répondre un mot, mais il y avait trouvé une compagne malgré son âge avancé, qui l'avait malheureusement quitté l'année dernière des suites d'une fièvre maligne. Il lui avait enseigné à ne jamais accorder sa confiance aux sédentaires car ils sont capables de perdre leur humanité pour conserver une vie d'esclaves.
Son groupe venait de découvrir les nouveaux vestiges d'un navire et chacun fouillait les décombres, à la recherche de marchandises dont il pourrait tirer profit. La récolte était bien maigre cette fois-ci. Il ne subsistait que des débris de bois et des corps sans vie dont les poches étaient désespérément vides. Malith s'approcha d'un autre cadavre pour le détrousser. Celui-là était chevelu, impossible de voir s'il était équipé de ces boucles d'oreille en métal précieux dont raffolaient les femmes des villages. Elle empoigna sa masse capillaire et lui releva la tête pour l'examiner. Elle ne put réprimer une grimace de dégoût quand elle découvrit la profonde balafre rougeâtre et les boursouflures sur le visage de l'homme. Elle lui dégagea l'oreille gauche d'un revers de la main puis, voyant un lobe non percé, entrepris de lui tourner le visage sans ménagement. L'homme émit un gémissement qui effraya la jeune fille. Elle relâcha sa prise et le visage de Laitamar heurta violemment les galets de la plage. Il ouvrit enfin les yeux et tendit une main fébrile vers Malith. Il ne prononça qu'un mot avant de sombrer à nouveau dans le néant : Umbar.
Il était en vie. Faible et en proie à la fièvre mais bel et bien vivant. Comment ne s'en était-elle pas rendue compte ? Elle posa ses mains sur le visage brûlant de l'homme, espérant l'arracher à l'inconscience, sans grand succès. Elle appela à l'aide les quelques personnes qui triaient des débris non loin de là. Ceux-ci rechignèrent à quitter le coin qu'ils fouillaient de peur que quelqu'un ne leur prenne le trésor qu'ils cherchaient encore, mais les appels répétés de la jeune femme finirent par les convaincre. En approchant, un nouveau gémissement leur fit comprendre qu'il y avait un survivant, le premier qu'ils voyaient depuis la catastrophe. Ils l'emmenèrent à leur campement et l'allongèrent dans un chariot, celui de Malith. Elle l'avait découvert et selon leurs traditions, il était sous sa responsabilité jusqu'à ce qu'il guérisse ou rejoigne ses ancêtres. Pour l'instant, tous pensaient qu'elle serait forcée d'abréger ses souffrances sous peu de temps et sa raison lui dictait d'y mettre un terme immédiatement. Il est des choses qui sont plus fortes que la raison. Une image l'obsédait constamment, le regard de l'homme qu'elle n'avait qu'entraperçu un bref instant avant qu'il ne retombe dans l'inconscience. Elle voulait revoir ses yeux si clairs, qui l'effrayaient et la captivaient à la fois, et qui lui avaient instantanément fait oublier la laideur du marin. Malith le soigna du mieux qu'elle put, nettoyant ses plaies, appliquant des cataplasmes d'herbes médicinales et épongeant son front brûlant avec des linges humides. En quelques jours la température de l'homme revint à la normale mais il ne s'était toujours pas réveillé. Tout ce que l'on pu tirer de lui pour le moment fut le mot qu'il répétait sans cesse dans ses délires : Umbar.
Tous les caravaniers connaissaient Umbar, une des cités des hommes de l'Ouest mais ils préféraient l'éviter autant que possible car ils les craignaient. Poussée par elle ne savait quelle force, Malith entreprit de les convaincre de rejoindre cette ville. Aussi puissants qu'ils soient, ces hommes avaient aussi subi le raz de marée et seraient sûrement généreux envers ceux qui viendraient leur vendre des marchandises pour réparer leur cité. Cet aspect purement commercial décida même les plus réticents à orienter le convoi dans cette direction. Seul le père de la jeune femme s'opposait à cette décision car il haïssait les Numénoréens, mais vieux et aveugle, et donc devenu un poids pour la caravane, personne ne tint compte de son avis.

    Il leur faudrait environ deux semaines pour rejoindre leur destination. Malith ne quitta pas le chevet du survivant de tout le trajet. Ses blessures l'avaient rendu repoussant et pourtant elle ne pouvait s'empêcher de contempler son visage dans l'espoir de voir ses paupières s'ouvrir. Ce soir-là, alors que le crépuscule assombrissait le paysage, les caravaniers se rassemblèrent comme à leur habitude autour d'un grand feu pour partager un repas chaud tout en écoutant les contes des anciens et les chants des plus jeunes. Malith ne les avait pas rejoints, préférant veiller son inconnu. Un de ses frères lui avait apporté un bol de soupe où flottaient quelques morceaux de viande. Il s'était rendu compte du manège de sa sœur et lui conseilla de ne pas s'attacher à un tel homme. Il pouvait mourir du jour au lendemain, et si jamais il se réveillait, il s'empresserait de rejoindre les siens. Mais la jeune femme semblait n'en avoir cure et son frère la quitta pour rejoindre le reste du groupe. L'obscurité se renforça et le convoi s'endormit. Les hommes désignés pour surveiller le convoi cette nuit-là restèrent assis prêt du feu, entretenant quelques flammèches et discutant à voix basse. Sentant le sommeil l'attirer, Malith s'allongea à côté du marin survivant puis vint se blottir contre le lui. Alors qu'elle posait la tête sur l'épaule de l'homme, ses yeux s'ouvrirent. Elle sentit immédiatement le changement qui venait de se produire et se redressa pour observer ce regard qui hantait son esprit depuis qu'elle l'avait découvert. La faible luminosité qui subsistait camouflait sa laideur dans l'ombre, mais ses yeux clairs étaient pour elle comme deux pâles étoiles dans la nuit et son esprit se perdit dans la profondeur de son regard. Elle déposa un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence avant de l'embrasser avec douceur. Laitamar ne comprenait ni où il se trouvait ni ce qu'il se passait. Était-ce la chaleur du corps de la jeune femme ou la douceur de ses lèvres sur les siennes si sèches qui firent qu'il oublia bien vite toutes les questions qui se pressaient à son esprit pour s'abandonner à l'étreinte de la jeune femme ?

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#5 24-02-2013 19:55:55

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : L'homme du Roi [âmes sensible s'abstenir]

Ils arrivèrent en vue d'Umbar en milieu d'après-midi. Depuis qu'il avait retrouvé assez de force pour marcher, Laitamar arpentait les alentours du camp des caravaniers à chaque arrêt, cherchant quelqu'un qui pourrait répondre à ses questions. En discutant avec la femme qui le suivait sans cesse, il apprit qu'une catastrophe était arrivée, secouant toutes les côtes et abattant la plupart des navires, dont le sien vraisemblablement. Mais qu'est-ce qui avait causé cet événement ? Qu'en était-il de Númenor ? Où en était le conflit à l'Ouest ? Des questions qui dépassaient le savoir de simples marchands nomades. Quand il apprit qu'ils se dirigeaient vers la cité numénoréenne, il fit montre d'une grande impatience. Au premier arrêt, il détacha le cheval du chariot de la jeune femme et tenta de le monter pour continuer la route, quitte à faire crever l'équidé sous lui. Sa faiblesse était encore trop grande pour cet effort et il ne parvint qu'à s'écrouler à terre déclenchant les rires autour de lui.
« Si les grands hommes de l'Ouest ne savent même plus monter à cheval, bientôt ils ne sauront même plus monter leurs femmes et nous en serons enfin débarrassés ! » dit un vieillard au sourire mauvais. Laitamar sentit la fureur monter en lui et jeta un regard glacial au vieil homme. Les yeux de cet homme avaient beau être devenus blancs et son visage s'être asséché avec l'âge, le Numénoréen l'avait enfin reconnu. Son regard devint meurtrier, pris par l'envie de finir le travail commencé quelques quarante années auparavant. Malith se précipita vers lui pour l'aider à se relever mais il la repoussa violemment, obnubilé par son envie de tuer ce vieillard qui se moquait de lui et de son peuple. Il se redressa tant bien que mal en s'appuyant sur le cheval puis claudiqua vers l'aveugle, marmonnant : « Je vais te tuer, je vais te tuer ». Tout le monde s'écartait du chemin séparant les deux adversaires. Tous sauf trois hommes qui s'érigèrent en bouclier devant le vieil homme. Laitamar reconnut les frères de la jeune femme. Qu'importe, les paroles proférées réclamaient vengeance et il tuerait quiconque se dresserait sur son chemin. Une nouvelle personne vint s'interposer entre eux : Malith. Elle avait lu dans son regard qu'il irait jusqu'au bout, quitte à en mourir et elle tenait tous les belligérants en son cœur. Elle appuya ses poings contre son torse et le supplia, les yeux en larmes, d'arrêter cette folie, de ne pas tuer son père. Il s'arrêta net et son regard oscilla entre la jeune femme et le vieillard. Il tenait là une vengeance encore bien plus cruelle. Son regard s'adoucit et se fixa sur celui de Malith.
« Très bien. Je ne répondrai pas à son affront. Parce que c'est toi qui me le demande. »
La jeune femme fut submergée de bonheur. Il semblait lui témoigner de l'intérêt alors qu'il s'était montré si indifférent depuis la fameuse nuit de son réveil. Elle s'était si facilement convaincue que lui aussi était tombé amoureux qu'elle concrétisa le plan du Numénoréen et l'embrassa devant tout le monde et surtout ses frères qui s'empressèrent de décrire la scène à leur père. Alors qu'elle reposait sa tête sur son épaule, au comble du bonheur, il afficha un grand sourire en direction du vieil homme, s'assurant que les frères lui décriraient la façon dont il caressait la chevelure et la nuque de Malith. Le visage blême du vieillard lui fit comprendre que le coup avait porté.

    Umbar avait aussi été secouée par le raz de marée. Des hommes s'affairaient en tout sens pour dégager les gravas et reconstruire ce qui pouvait l'être. Peu de navires avaient résisté, mais déjà ceux-ci semblaient prêts à partir. La caravane avait été stoppée aux portes de la cité mais ils avaient été autorisés à commercer à la seule condition qu'aucun sauvage ne rentre dans l'enceinte de la ville. Les caravaniers n'appréciaient guère d'être traités de sauvages mais comme l'avait prévu Malith, les hommes de l'Ouest se montraient généreux pour toutes les marchandises indispensables que le convoi leur apportait, et cela suffisait à les faire rester. Laitamar eut du mal à franchir le passage. Habillé comme l'un des leurs, les gardes de factions le prenaient pour un nomade. Sa mission avait été de ramener des troupes jusqu'à Númenor. Il connaissait donc le nom du commandant de la garnison et dut insister lourdement jusqu'à ce qu'un garde accepte de le mener le voir. C'était un homme plus grand que la moyenne et plus puissamment bâti, mais cela aurait été une grave erreur de croire qu'il avait obtenu son grade grâce à ses capacités physiques. Une redoutable intelligence brillait derrière son regard et il perçait rapidement à jour la personnalité des gens autour de lui. Il laissa donc Laitamar raconter son histoire, les ordres qu'il avait reçu, le naufrage de son vaisseau, sa convalescence chez les sauvages et enfin son arrivée ici. Le commandant le crut bien qu'il se doutait que cet homme omettait de nombreux détails notamment sur le voyage avant la catastrophe. Il lui apprit alors l'étendue connue du désastre. Toutes les côtes avaient été touchées, des terres s'étaient effondrées, d'autres étaient apparues. Et toujours aucune nouvelle de Númenor. Ses hommes venaient de remettre en état quelques navires qu'il souhaitait lancer vers la grande île. Il proposa même à Laitamar de rejoindre l'un des navires. Peut-être qu'une fois arrivé là-bas, il pourrait trouver un médecin capable de lui soigner cette vilaine balafre. Le Numénoréen tourna son regard vers le port et les flots gris qui le parcouraient. Il aurait dû être exalté par l'idée de pouvoir rejoindre son pays, mais au contraire, ses yeux se chargèrent de tristesse. La description des dégâts que lui avait fait le commandant venait de lui faire comprendre : Ar-Pharazôn était allé trop loin.
« Il n'y a plus rien là-bas »

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#6 24-02-2013 19:56:30

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : L'homme du Roi [âmes sensible s'abstenir]

Laitamar retourna vers le convoi et resta prostré plusieurs jours à l'arrière du chariot de Malith à ruminer de sombres pensées. Son peuple était perdu et il ne se sentait nullement attaché à Umbar pour vouloir y rester sans but. Le vieillard avait eu raison sur un point : bientôt ils seraient débarrassés d'eux. Il ne lui restait qu'une chose : la vengeance. Tout ce qui lui donnait encore envie de vivre fut son envie irrépressible de faire souffrir le vieil homme. Il ne lui en voulait pas personnellement, mais il avait besoin d'un bouc émissaire sur lequel passer sa frustration. Il décida donc de poursuivre sa vie au sein de la caravane, trouvant une place de ferronnier auprès d'un des frères de Malith. Il se rappela petit à petit les gestes que son père lui avait appris il y avait déjà de nombreuses années, et s'intégra autant que possible à la vie des nomades. Après plusieurs mois de cette vie, Malith et lui s'unirent et elle tomba rapidement enceinte. Le père de la jeune femme n'avait jamais fait preuve de la moindre affection envers l'homme de l'Ouest mais il se révéla moins virulent envers lui à mesure que le ventre de sa fille s'arrondissait. L'âge et la maladie l'affaiblirent et il dut rester alité dans une caravane jusqu'à ce que sa fille mette au monde un magnifique garçon aux yeux bleus pâles, presque gris, comme son père. Ses parents le nommèrent Tamarhil. En prenant le nourrisson dans ses bras, Laitamar eut une étrange sensation. Il ressentait à la fois de la répulsion et de l'attraction pour cet enfant. Son enfant. Il comprit alors qu'il venait de franchir un tournant et qu'une nouvelle vie s'offrait à lui. Mais avant cela il lui fallait en finir avec l'ancienne. Il proposa d'aller présenter le bébé à son grand-père. Malith, encore trop faible pour se lever, le pria de lui dire qu'elle viendrait le voir dès qu'elle serait en état. L'enfant emmitouflé dans une couverture, Laitamar quitta son épouse en direction de la caravane de son beau-père. Sur le chemin, il adressa des sourires chaleureux à tous ceux qui venaient voir le nouveau né. Enfin, arrivé devant la caravane, il demanda un peu d'intimité pour pouvoir présenter l'enfant à son grand-père, ce que tout le monde respecta en le laissant entrer seul. Le vieillard se réveilla en sursaut quand la porte se referma. Vieux et fragile, il se disait qu'il tenait par la seule envie de voir le premier enfant de sa fille.
« Grand-père ! Je vous présente votre petit-fils ! »
Laitamar se rapprocha du lit et se pencha pour approcher l'enfant du vieil homme. Des mains tremblantes se dirigèrent vers lui pour le « voir » du bout des doigts et sentir toute la vigueur du nouveau né. Un sourire de gratitude apparut sur le visage du vieillard.
« Je t'avais mal jugé, fils. Tu m'as donné un magnifique petit-fils. »
L'homme de l'Ouest repositionna l'enfant emmailloté pour le tenir au creux de son bras gauche, puis se pencha vers le grand-père pour s'assurer que lui seul entendrait ses mots.
« Et je vous assure que celui-ci, je ne lui poserai pas la tête sur une enclume pour la frapper avec mon marteau »
Les yeux du vieillard s'écarquillèrent. Cet homme si cruel qui l'avait tant fait souffrir était là, à côté de lui ! Il voulut crier, appeler au secours mais la main droite de l'homme c'était déjà refermé sur sa bouche et son nez. Il se sentit sombrer, tourmenté jusqu'à la fin par la terreur. Quand l'acte fut fini, Laitamar prit le temps de fermer les yeux de l'ancien et d'arranger ses traits pour camoufler ses derniers sentiments. Puis il prit un visage fermé et feignant la tristesse, il sortit de la roulotte pour annoncer que son beau-père était mort en paix après avoir rencontré son petit-fils.

Plus rien ne pouvait dorénavant le rattacher à son passé.

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#7 26-02-2013 19:35:08

Cyian
Echevin

Re : L'homme du Roi [âmes sensible s'abstenir]

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Comme quoi, "vengeance & rédemption" peuvent aller de pair... Une bien belle histoire.

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