La Confrérie du Dragon Eteint

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#1 27-03-2013 17:15:44

Catrus
Petit Échevin conteur

Les Enquêtes de Bellerose

Les Enquêtes de Bellerose

***

Un monstre à Bree

Chapitre premier : Matin de satin, déjeuner dérangé

Aujourd’hui plus que jamais, on raconte tout un tas de choses incroyables et farfelus sur l’honorable peuple des Hobbits, et comme ce n’est ni le lieu, ni le propos, je tairais les nombreuses bêtises que l’on ose encore colporter au sujet des irréprochables gens de la Comté. Bien au contraire, ce qui nous intéresse ici c’est de mettre en lumière une part, certes infimes, mais non des moindres, de l’intellect prodigieux des petites-gens et révéler aux esprits incultes toutes la puissance de raisonnement de certains de mes confrères les plus émérites. Il va sans dire que le fin connaisseur de la culture Hobbite ne sera point surpris d’apprendre que l’on parlera ici d’un de mes aïeux, bien évidemment.

A l’aube de ses 80 ans, le vieux Bellerose, de son vrai nom Falcus Scovert1, avait encore la forme d’un jeunot bien que l’apparence n’en fut plus telle. De la tête aux pieds, tout chez lui respirait la noblesse et l’élégance, suscitait le respect et la crainte, et du bonhomme émanait un bouillonnement cérébral, nimbé d’un calme tranquille. Depuis des décennies il vivait de petites habitudes qui articulaient ses journées, réglées comme une horloge. Au réveil, il enfilait une chemise blanche puis son petit gilet parme, cousu de satin en sept exemplaires, pour chaque jour de la semaine, et arboré de petits boutons dorés. Y ajoutait sa jolie cravate noire de jais, son pantalon de velours et glissait sur son nez son vieux monocle en argent usée.

Il s’installait alors dans son fauteuil à coussins, bien calé devant son petit bureau de sapin qui faisait face à une large fenêtre. D’un geste de bras élancé, il ouvrait cette dernière et attrapait le journal que le facteur avait coutume de déposer sur son balcon. D’une main il tenait la gazette et de l’autre il ouvrait un tiroir et en sortait quelques vieux cookies sec, pour s’ouvrir l’appétit. Là, dans la quiétude et la fraîcheur du matin, il se tenait informé des évènements de la Comté et poussait quelques ricanements en survolant les encarts des faits divers.

Comme d’habitude, ses lectures le captivaient tellement qu’il était, chaque jour, surpris par le soleil de midi qui pointait à son zénith, et, comme chaque jour, il sursautait dans son fauteuil et filait droit vers sa cuisine en marmonnant quelques jurons très polis. Tous les midis, chez Bellerose, on servait du Hareng Pomme à l’Huile, et aucun midi ne dérogea ni ne dérogera à cette règle. Au milieu de sa jolie cuisine carrelée de vert olive et de jaune safran, se dressait une longue table massive recouverte d’une nappe bleue dragée et garnie de moult gourmandises et boissons qui n’étaient que très rarement rangées.

Un jour, alors qu’il dégustait religieusement son hareng, serviette au col et manches retroussées, la cloche de sa porte vint à sonner. Stupeur ! Qui diable pouvait bien venir à son perron à cette heure-ci ! Qui dans la Comté pouvait être assez dangereusement farfelus pour frapper à sa porte à ce moment précis ! Oh ça, il ne voulait pas le savoir, et il reprit de manger en observant le plus strict silence. Mais voilà qu’on sonna à nouveau et le hobbit entreprit alors d’aller s’informer du mal qui l’importunait. Il se posta devant sa porte close et d’une voix sèche il demanda :

« Qui est-ce ? Et pourquoi est-ce ?!
-    Inspecteur Bellerose ? C’est bien vous ?!
-    Quelle question ! C’est écrit sur la plaque à côté de la porte ! L’Inspecteur Bellerose, c’est moi et plus moi que moi, on ne fait pas !
-    Dans ce cas je suis au bon endroit, pouvez-vous m’ouvrir, j’ai besoin de vos expertises !
-    Les rendez-vous sont à partir de 14h ! Ça aussi, c’est écrit sur la plaque !
-    Oh je vois, toutes mes confuses Inspecteur !
-    Soit, n’en parlons plus ! Et bonne journée !
»

Sur ce, le hobbit s’en retournait vers la cuisine, quand son interlocuteur l’alpagua de nouveau :

« Cependant, je me dois d’insister, le temps presse !
-    Que… Quoi ?! Mais… Je ne peux vous ouvrir avant 14h ! Et puis je n’ai pas fini de manger !
-    Je vous en prie Inspecteur, il en va de la sureté du pays et d’au-delà !
-    Je ne fais que mener des enquêtes, je ne suis pas shirriff ! Voyez avec les autorités compétentes !
-    J’ai de quoi vous rémunérer grassement !
-    On ne m’achète pas aussi facilement !
-    J’ai des muffins dans ma besace !
-    Aucune chance !
-    De l’herbe à pipe de Longoulet ?
-    On croit rêver !
-    Inspecteur Bellerose ! Il en va de votre réputation, je tiens là peut-être la plus grande affaire de votre carrière !
-    Très bien, entrez !
»

Le hobbit déverrouilla les quatre verrous de sa porte et l’ouvrit dans un long grincement. Devant lui se tenait tout sauf ce à quoi il s’attendait. Pas un hobbit, pas un shirriff, ni même un nain… non, c’était une dame âgée, tout ce qu’il y a de plus humaine, bien qu’elle lui sembla accablée par les années. Dans une impolitesse fort peu commune pour Bellerose, il l’invita à rentrer d’un geste de la main, en lui disant ceci :

« Mais vous êtes vieille !
-    Et bien j’ai 80 ans, merci d’apprécier à votre manière mon ancienneté, Inspecteur !
-    Oh…
fit l’inspecteur, bouché bé
-    Ne soyez pas si troublé ! Je me présente, Dame Olya, mais vous m’appellerait Mémé Olya 2.
-    Enchanté… Mémé Olya… entrez donc ! Vous allez me raconter en détail ce qui pourrait être la plus grande affaire de ma carrière… n’est-ce pas… Vous avez faim ? Il reste du hareng pomme à l’huile !
»


_______________________________________________________


1 : Voir la généalogie des Scoverts
2 : Ceci avec l'accord consenti d'Olya

Dernière modification par Catrus (10-04-2013 16:12:58)


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#2 10-04-2013 20:02:40

Catrus
Petit Échevin conteur

Re : Les Enquêtes de Bellerose

Chapitre 2 : Une histoire de grand-mère

Ce jour-là, Bellerose ne réalisa pas le moins du monde qu’il avait laissé s’insinuer chez lui la graine de l’aventure, la légère brise du doute et les murmures du danger. Un hobbit normalement constitué aurait très vite flairé l’odeur du hasard et des bizarreries qui accompagnent toujours les mésaventures et les péripéties. Bellerose, quant à lui, était plutôt passionné par le récit de Mémé Olya, envoûté par l’idée de faire décoller sa carrière et totalement aveugle aux instincts de sa race.

Tous deux attablés devant leur assiette de hareng pomme à l’huile, la vieille dame et le hobbit discutaient avec force expressions locales et gesticulations grandiloquentes, le tout entrecoupé de quelques rasades de vin. Sans trop tarder, Mémé Olya entreprit de commencer le récit qui l’avait amené jusque chez Bellerose, et se dernier, déposant couverts et serviette, tendit attentivement l’oreille, dans le plus grand silence.

La grand-mère Olya lui fit part d’une bien sombre histoire, qui l’ébranla bien des années car elle était beaucoup plus étrange et effrayante que toutes les affaires qu’il avait déjà élucidé dans sa carrière. En substance, le récit faisait état d’un mal indicible qui rôdait dans les ruelles enténébrées de la ville de Bree, aux heures tardives où la Lune elle-même ne parvient à éclairer les inquiétants recoins de la cité. Les évènements avaient commencé plusieurs mois auparavant, où d’étranges disparitions nocturnes avaient éveillés la crainte des habitants et la mobilisation du maire.

« Mais tous les efforts du maire furent vains car aucun des disparus ne fut retrouvé… Depuis, la paranoïa s’est immiscé dans la ville et tout part à volo ! Partout on entend parler ‘ du Monstre, qui fait trembler le Pays Breesard ‘… »  Ajouta Mémé Olya pour conclure son récit.

Bellerose, qui tremblait comme une feuille, employa tout son courage à garder son sang-froid et son esprit professionnel. Se redressant sur sa chaise, il continua la conversation, non sans quelques trémolos dans la voix.

« Et qu’est-ce qui vous fait penser que je peux sauver le Pays de Bree tout entier, à ma modeste, et certes ingénieuse, personne ?
-    A vrai dire, je ne suis pas venu ici avec la conviction profonde que vous étiez l’unique hobbit de la situation…
-    Ah bon ?!
Répondit Bellerose, grimaçant d’irritation
-    Non, en vérité, vous êtes la moitié essentielle du seul duo d’enquêteurs capable, à mon avis, de résoudre cette inquiétante affaire.
-    Un duo dites-vous ? Vous insinuez en sommes que vous êtes venu jusqu’ici, dans la Comté, pour trouver la portion consubstantielle et indissociable d’une entité pensante dont seule la coexistence mutuelle et la collaboration intellectuelle parviendrait à résoudre l’énigme, pour laquelle vous êtes ici ce soir, et laquelle portion astucieuse serait en fait l’Inspecteur Bellerose, c’est à dire moi ?
»

Mémé Olya n’eut pas le temps de bégayer un semblant de réponse car l’Inspecteur reprit de plus belle :

« J’ai bien suivi votre raisonnement, chère grand-mère, cependant une question subsiste indéfectiblement… Qui diantre est l’autre enquêteur de ce maudit duo ?!
-    Il s’agit d’un homme, enquêteur lui aussi, mais aux méthodes toutes autres !
-    Vous ne comptez pas m’associer avec un homme de peu d’éthique, j’espère ?
Demanda Bellerose, intrigué par toute cette histoire
-    Du tout du tout Inspecteur, ses méthodes sont sûres et efficaces, mais votre collaboration mutuelle sera, à n’en point douter, un grand atout dans la résolution de cette enquête.
-    Je veux bien le croire Mémé Olya, mais pourquoi ne pas être venu avec lui, pour faire les présentations ? Après tout j’aimerai bien savoir qui sera le co-auteur de cette nouvelle page de ma carrière qui va bientôt s’écrire.
-    Et bien… je suis venu vous voir en premier parce que vos talents, qui sont les vôtres, et qui ont fait la réputation de votre maison, vous nous être utile pour faire démarrer l’enquête… Voyez-vous ?
-    Mes talents ?
rétorqua Bellerose, sans une once de modestie
-    Oui, votre éloquence, votre art de la conviction et de la persuasion, et tout ce travail du langage… que je maîtrise bien mal…
-    Et bien, venez-en au but, quand et à quoi vont-ils bien servir ?!
-    C’est-à-dire que…
Olya hésita un court instant avant de continuer, c’est-à-dire, en fait, que la première étape de l’ascension de votre carrière, cher Inspecteur, consistera à faire sortir votre coéquipier de prison… »

Dernière modification par Catrus (10-04-2013 20:03:08)


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#3 11-04-2013 14:24:04

Frewger
Même les Morts n'en veulent pas

Re : Les Enquêtes de Bellerose

[HRP]
Excellent ! encore, je veux la suite !
[/HRP]

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#4 11-04-2013 18:08:31

Nakferth
Compagnon

Re : Les Enquêtes de Bellerose

[HRP]
oui ! vivement la suite.


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#5 04-10-2013 16:19:25

Catrus
Petit Échevin conteur

Re : Les Enquêtes de Bellerose

Chapitre 3 : Prison et persuasion

Tout bien vêtu qu’il était, de velours et de satin chic, le brave Bellerose ne pouvait guère se fondre dans le décor du bas quartier de Bree, où trônait, tel un îlot de rocaille terne, la prison de la ville. La vieille Olya lui avait fourni toutes les indications nécessaires au bon déroulement de sa première mission ainsi qu’une enveloppe emplie de documents importants. C’était donc d’un pas confiant qu’il s’approchait du premier garde venu.

L’employé de la prison était de carrure moyenne, mais clairement bedonnante et présentait un visage rond et une allure mal entretenue. Sous son épaisse moustache, que Bellerose jugea fort maladroitement taillée, il balbutia quelques mots à l’attention du visiteur hobbit.

« Bonjour bonjour mon pti messire. On ne voit que trop rarement des petite-gens passer visite entre ces murs ! Qu’est-ce donc qui vous amène ?
-    Ah bonjour ! Vous êtes le Capitaine Vertille ? demanda Bellerose en le toisant de la tête aux pieds
-    Vertilleul ! répondit le bonhomme, mon nom est Vertilleul…
-    Oh pardon, Capitaine Vertilleul !
-    Aspirant ! rétorqua le garde
-    Plait-il ?
-    Je suis l’aspirant Vertilleul, bon monsieur. Le Capitaine Poutre-en-Chêne est à Pont-à-Tréteaux avec le Lieutenant Fend-l’Ecorce pour une sombre affaire à la ferme des Gros-Roseaux.
-    Hum… je vois… je traiterai donc avec vous, Aspirant… répondit Bellerose d’un air dédaigneux.
-    Je peux vous aider en quoi ?
-    Je voudrai voir l’un de vos prisonniers, un certain Monsieur Noisetier.
-    Noisetier dites-vous ? Vous en êtes bien sûr du blason ? Non parce qu’on a aussi un Lérable et un Olivier…
-    Sans doutes aucun, c’est bien un Noisetier que je viens voir… Lérable, l’Olivier, eussiez-vous-même un Bouleaux ou un Troène, que je n’en viendrai pas moins visiter un Noisetier, et non pas celui qui fait des noisettes ou qui abrite les familles d’écureuils, mais bien celui qui croupi actuellement dans l’une de vos cellules. Etes-ce assez clair ? »

Le garde, qui n’avait pas tout bien compris, se contenta d’hausser les épaules et de s’asseoir à son bureau, avant de reprendre calmement la conversation, comme si rien n’eut pu entamer son calme simplet.

« C’est en fait à dire que les visites sont interdites pour ce prisonnier là…
-    Interdites ?! S’exlama Bellerose, contrarié. Mais pourquoi donc ?
-    C’est de type confidentiel, je peux pas vous dire.

Le hobbit hésita un instant, ses plans pour cette libération comprenaient un total anonymat mais révéler son identité lui ouvrirait à coup sûr quelques portes. Face à la vivacité d’esprit de l’Aspirant Vertilleul, il céda rapidement.

-    Ecoutez, je suis Bellerose… L’inspecteur Bellerose, je viens voir le prisonnier Noisetier dans le cadre d’une de mes enquêtes.
-    Bellerose ?! cria le garde, soudainement plein de vie. L’Inspecteur Bellerose lui-même ?!!
-    Lui-même… répondit le hobbit dépité par la tournure que prenait la situation
-    Wouah ! J’vous imaginais de moins petite taille, mais Wouah ! Quel honneur de vous avoir ici dans not’belle prison de Bree ! Je sais pas lire, mais le Capitaine Poutre-en-Chêne et l’inspecteur Lierrépine vantent si souvent vos écritures que c’est tout comme !
-    Merci, vous êtes b…
-    La Tourtière de Scary !!! interrompit le garde. Quelle affaire celle-là ! Ma préférence !
-    C’est aussi ma préférée, mais écoutez bien ceci… le hobbit se rapprocha théâtralement et se mit à chuchoter. Je rédigerai très bientôt un nouveau livre sur l’enquête que je mène actuellement, et je puis d’ores et déjà vous assurer que ce sera mon meilleur cru !
-    Ohhhhh chuchota le garde.
-    Seulement la chose est compromise… je me heurte à des intérêts politiques évidents qui visent à me mettre des bâtons dans les roues…
-    Ohhhhh s’attrista le garde.
-    Je ne sais pas pourquoi, mais quelqu’un de haut placé ne souhaite pas que je parle à ce prisonnier Noisetier… Tout est fait pour que mes recherches n’aboutissent pas… Aussi je pense que je vais devoir réorienter l’enquête dans une autre direction…
-    Ahhhhh… répondit le garde, visiblement déçu.
-    Et puis, je ne voudrai pas vous mettre dans l’embarra avec votre hiérarchie… Si je dois parler de vous dans mon livre, et j’y compte bien, je tiens à ce que ça soit en d’élogieuses paroles…

Le hobbit rassembla ses affaires, boutonna lentement son chemisier et fit mine de quitter la pièce. Le garde, en proie au doute et à l’admiration, sembla se tortiller un court instant sur sa chaise avant de raviser l’inspecteur.

-    Inspecteur ! Attendez !

Affichant un bref sourire des plus malicieux, Bellerose accourut au bureau de l’aspirant et lui asséna le coup de grâce.

-    Ne vous torturez pas l’esprit, Aspirant Vertilleul, en ces heures sombres, rares sont ceux qui oseraient défier l’ordre établie, ce serait pure folie… ou pur héroïsme… Mais le temps n’est plus héros ! Allons allons, bonne journée à vous !
-    Vous avez raison inspecteur ! s’exclama le garde en se levant. Venez, j'vais vous mener à la cellule de Noisetier !
-    M’enfin Aspirant, je ne voudrai pas… répondit Bellerose, feignant d’être gêné
-    Pas d’chichi avec Vertilleul, j’insiste…

Sans rien ajouter, le hobbit, tout fier de lui qu'il était, suivit le garde à travers un long couloir et un escalier descendant vers un niveau inférieur de la prison. Là, tout au bout d’un autre couloir faiblement éclairé, il se trouva devant les grilles rouillées d’une cellule isolée. L’Aspirant Vertilleul lui tendit une torche.

« Je vous laisse une paire de minutes, s’il se déroule quelque chose de type anormal, venez m’en avertir ! lui dit le garde avant de disparaître en chuchotant : « … du pur héroïsme… ».

Dernière modification par Catrus (04-10-2013 16:26:51)


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#6 10-12-2013 01:02:59

Behomond
Compagnon

Re : Les Enquêtes de Bellerose

Chapitre 4: Morne journée

Ça n'était pas une bonne journée. Ni une bonne semaine d'ailleurs. Était-ce au moins un bon mois ? … peu probable. On pouvait même parler d'une année exécrable. Il y avait d'abord eu cette affaire, cette simple et terriblement commune affaire à propos des lettres disparues à la poste de Bree. Puis la simple disparition de lettres s'était muée en simple affaire de vol de lettre, non pas que ça l'enchantait mais au moins ça donnait du travail et le travail ça empêche de traîner des idées noires. Bien sûr, les simples vols avaient vite pris l'aspect de simples chantages. On sortait déjà de l'ordinaire des petites gens de Bree, mais rien de surprenant pour un vieux renard comme lui. Très vite le tintement des pièces échangées dans les ruelles mal éclairées avait donné une adresse et un nom.

Là où il aurait dû flairer le coup fourré, c'est quand la simple affaire de vol de lettres et de chantage l'avait amené dans la maison d'un notable de la ville qui ne fleurait pas du tout, et loin de là, le simple maître chanteur. « Noisetier tu es un profond crétin ».
La tête plaquée contre les barreaux d'une cellule à l'hygiène douteuse, le vieux garde du guet de Bree, « à la retraite » qu'il était, s’accablait de sobriquets peu élogieux tandis qu'un nain battait le fer entre ses deux oreilles disgracieuses. La simple affaire allait être simplement classée, il lui suffisait de déposer les preuves à l’hôtel de ville et de laisser faire le guet. Tout simplement il avait donc frappé à la porte et était rentré chez le notable.
Et oui car Noisetier était beaucoup de chose. Misanthrope, bagarreur, fataliste, dépressif ou encore philatéliste... mais « simple », aucunement. Oh il aurait pu encore s'en sortir s’il n'avait fallu compter avec son alcoolisme. Tout en exhalant une haleine avinée, il avait jugé bon de confronter le coupable à la lumière de ses preuves, seul bien entendu et sans avoir confié les dites preuves à un tiers de confiance. L'autre lui avait tendu un verre, vaincu mais bon perdant. Et il l'avait bu sans hésiter. Il s'était réveillé la bouche pâteuse, dépouillé et meurtri sur la paille de sa geôle, dernière demeure en date.

Deux jours qu'il tenait cette gueule de bois. Déjà disgracieux de nature, cela ne faisait qu'accentuer les lourdes poches qui pendaient sous ses yeux embués. Ceux-ci, couverts par des sourcils épais et broussailleux, n’arrangeaient pas l'air patibulaire que des joues grêlées et tombante donnaient à cette « Gueule » de molosse qui répondait au nom de Lambert Noisetier.

« Bougre de soiffard ! Mais qui fais donc tout ce tapage ?... »  Une vive discussion entre une voix grave et pataude, identifiée comme celle du vaillant mais peu brillant Vertilleul, et une plus fluette et guindée, qui lui était totalement inconnue, résonnait dans l'entrée et venait de réveiller le nain qui reprenait de plus belle sa besogne sur ses méninges.


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