La Confrérie du Dragon Eteint

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#1 01-11-2014 20:06:15

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Un cheval de bois

[hrp] Après les aventures du cadet Martelame, voici les aventures de la benjamine de la famille. Bonne lecture [/hrp]

Un cheval de bois

C'était une belle nuit étoilée où le disque lunaire dévoilait tous les charmes que la nature cache du soleil. Une nuit romantique à souhait où les jeunes gens se rapprochaient plus aisément.

    Et cette nuit de nombreux couples s'étaient ainsi formés un peu partout. A Bree, Réginald avait enfin osé embrasser Marissa. Au Rohan, Meregyth et Cuthing s'étaient perdus dans le regard l'un de l'autre. Au palais de Thorin, Pamalin le nain passait ses doigts tous tremblants dans la barbe de Picolline. En Mordor, Graltgralt l'orque caressait une chèvre..... Mais nous nous arrêterons là dans cette énumération car le couple qui nous intéresse est déjà endormi. Du moins une moitié dort à poings fermés.

    L'autre moitié, elle, se glissait lentement hors des riches draps dans lesquels le couple s'était assoupi il y a peu. La clarté lunaire qui s'infiltrait depuis la fenêtre, laissait entrevoir une touffe de cheveux bruns qui surveillait sans cesse le moindre mouvement qui pourrait trahir un réveil inopportun du dormeur. Alors que les rayons de lune dévoilaient le corps nu et hâlé de la jeune femme, celle-ci se coula sans un bruit dans sa robe écarlate. Tandis que la jeune femme regardait son amant d'un soir, la pièce sembla s'assombrir, ne laissant plus que de rares points brillants : une paire d'yeux bleus pâles et déterminés et la lame d'une dague.

    S'avançant en silence, la jeune femme contourna le lit pour appliquer plus facilement les douze pouces d'acier froids sur la gorge de l'assoupi. La robe rouge hésita. Tuer ne lui faisait pas peur, elle avait déjà dû le faire, mais pas ainsi. Pas de sang froid sur une victime innocente. Si encore elle avait eu quelque chose à lui reprocher, mais au contraire ce soir il s'était montré un courtisan galant et un amant doux et attentionné. Elle ne ressentait rien pour lui mais comment trouver la force d'assassiner, parce qu'il n'y avait pas d'autre terme, quelqu'un qu'elle aurait pu vouloir fréquenter hors travail. Mais justement, cela faisait partie de son contrat actuel.

    Sa respiration s'arrêta un instant comme l'homme commençait à s'agiter et se retourna en marmonnant, la dague effleurant toujours la chair tendre et laissant un infime sillon rougeâtre de la pomme d’Adam à la nuque. Elle se retint de justesse de pousser un juron dans son dialecte natal, se contentant de soupirer avec agacement. Cet idiot avait failli faire le boulot à sa place. Enfin, ça l'aurait peut-être arrangée se dit-elle. Jamais elle n'aurait cru avoir autant de mal à le faire. Tuer un homme dans un lit, elle l'avait pourtant déjà fait. La première mort qu'elle avait infligée s'était d'ailleurs déroulée ainsi, mais ce n'était pas encore pareil. A l'époque la seule chose que son frère avait faite quand elle s'était rendue compte que des hommes à lui voudraient la violer fut de lui donner une dague et de lui dire :

    « Si tu as vraiment le même sang que notre père, tu sauras te débrouiller toute seule. »

    Cela avait marché certaines fois, tenant les hommes à distance, d'autres fois non. Mais à chaque fois la dague avait empêché le coupable de recommencer.... avec qui que ce soit.

    Il était temps d'agir. La jeune femme se cramponna à sa lame, bien décidée à trancher d'un geste vif, quand le dormeur marmonna une dernière fois.

    Pas grand chose.

    Un simple nom.

    Carild...

    Une fois de plus, la jeune femme sentit son souffle se couper.

    Non ! Non ! Et non ! Ce n'était qu'un contrat, elle n'allait quand même pas se mettre à tomber amoureuse à ce moment-là. D'un geste vif elle tira sa dague et, du même mouvement, la rangea dans son fourreau. Après tout elle était venue pour voler, et même si son contrat mentionnait la mort de l'homme, son commanditaire devrait se contenter de l'objet. Laissant son amant du soir terminer sa nuit, Carild sortit en silence de la chambre pour prendre ce qu'elle était venue chercher.

    Fermant doucement la porte, elle remercia silencieusement la lune de lui faciliter les recherches grâce à sa clarté. Se retournant pour embrasser la pièce du regard, elle se mit alors à jurer doucement dans son dialecte natal. Si elle avait cru que retrouver un cheval de bois avec une petite gravure de serpent, comme mentionné sur son contrat, serait facile à trouver chez un rohir, jamais elle n'aurait pensé qu'il était possible de collectionner autant de figurines de chevaux.

    Une pensée fugace lui fit regretter de ne pas avoir utilisé la lame, comme ça, juste par frustration. Mais les choix avaient été faits et il n'était plus temps de les remettre en question, car l'homme allait bien finir par se réveiller quand il se rendrait compte qu'il était seul dans le lit. Aussi rapidement que possible, Carild prit chaque bibelot, un à un, et les retourna en tout sens à la recherche d'une gravure de serpent. Tout aussi rapidement, si ce n'est plus, cette recherche l'agaça au plus haut point. Cet homme collectionnait-il donc tout ce qui pouvait avoir un rapport avec les chevaux ? En plus des statuettes, elle tomba sur des fers à cheval, des colliers de labour, des selles et tant d'autres choses dont elle ne connaissait pas le nom mais distinguait la forte odeur de crottin qui ne laissait pas de doute sur le lien qui les unissait à la collection. Un peu plus loin dans ce capharnaüm organisé, la jeune femme distingua dans l'ombre une tête de cheval en bois. Tirant dessus elle se rendit compte qu'un manche y était lié. Un cheval de bois pour enfant. Déçue d'être encore tombée sur autre chose, elle s'apprêta à le jeter quand ces doigts effleurèrent des marques le long du manche.

    Un serpent.

    Joyeuse de l'avoir enfin trouvé, Carild ne put s'empêcher de pousser un cri de joie. Aussitôt, une voix paniquée se fit entendre depuis la chambre :

    « Carild ? Carild ? C'est toi ? »

    Prise de panique, la jeune femme se rua vers la porte avec son trophée et siffla Ombrine, sa monture, qui n'attendait jamais loin de sa maîtresse.

    A demi nu, le rohir regarda au loin l'ombre qui se détachait à l'horizon brandissant un cheval de bois. Il venait de comprendre que la jeune femme n'était qu'une voleuse et qu'il s'était fait duper. Ce qu'il ne comprenait pas par contre c'était pourquoi elle n'avait emporté qu'un jouet, certes ancien, mais sans grande valeur contrairement à de nombreuses autres pièces de sa collection. Soupirant devant le désordre qu'elle avait laissé dans la pièce, l'homme se dit que la jeune femme avait eu une méthode originale et fort agréable de s'introduire chez lui, et que pour cela il allait la laisser partir avec son trophée si bien acquis.

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#2 10-11-2014 17:55:56

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Un cheval de bois

Les crocs du serpent

    " Beuarglll..."

    Les deux bras appuyés contre un arbre, Carild rendait tripes une fois de plus. Voilà quelques jours qu'elle était prise de nausée, en particulier au réveil. Après s'être essuyé la bouche d'un revers de manche, la jeune femme tenta de rassembler ses esprits pour comprendre ce qui lui arrivait. Les premiers symptômes avait commencé il y a une semaine environ. D'abord une légère gène et maintenant une bonne envie de vomir. La jeune voleuse écarquilla soudain les yeux. Ça avait commencé peu après qu'elle eut volé le cheval de bois et dut passer la nuit avec son ancien propriétaire. Å  cette idée, elle ne put s'empêcher d'émettre une plainte de dépit. Elle avait pourtant fait attention, prenant régulièrement une potion de lune pour éviter ce genre d'embarras. En soupirant, elle se laissa tomber au pied de l'arbre. Qu'est ce qu'elle allait bien pouvoir faire d'un mioche ?

    Deux jours plus tard -accompagnés de leurs nausées-, dans une petite foire agricole du Pays de Dun, on pouvait distinguer parmi la foule de fermiers et de marchands itinérants, une silhouette encapuchonnée de rouge qui avait du être plus vif autrefois mais que les aléas de la route avait bruni de terre et de poussière. Cette silhouette, féminine à n'en pas douter, portait sur l'épaule un paquet long, emballé de toile de jute tout aussi poussiéreux que la tenue de la jeune femme. Celle-ci se dirigea sans complexe vers l'échoppe la plus peuplée de la foire : la buvette où se réunissait tout ceux que la poussière rendait assoiffé, c'est à dire presque tout le monde.

    Assis sur un rondin, un homme de forte stature, semblait la fixer tout en vidant lentement le gobelet de vin qu'il tenait à la main. Semblait, car son visage restait dans l'ombre d'un capuchon bleu qui avait dû subir le même traitement que celui de Carild. Seules une barbe noire mêlée de gris et tressée en deux pointes courtes en dépassait. Une fois qu'elle l'eut repéré, la jeune voleuse vint s'asseoir devant l'étrange homme qui, de toute évidence, n'était pas plus originaire du Pays de Dun qu'elle.

    Les traits tirés par la fatigue et les nausées, la femme en rouge posa son paquet en travers des genoux de l'homme, comme on pose un sac de linge sale : sans ménagement. La barbe frémit légèrement, sans doute parce qu'un sourire devait se dessiner sur le visage de l'homme. Lentement il enfila une paire de gants de cuir fin puis entreprit d'écarter la toile de jute pour révéler un manche de bois surmonté d'une tête de cheval. Du bout de ses gants, il caressa le jouet jusqu'à effleurer la gravure de serpent se trouvant sur le manche. Un petit rire s'échappa du capuchon. Enfin il l'avait trouvé.

    Se tournant vers la jeune femme, il émit une question d'une voix mal assurée, comme si elle n'était pas certaine d'utiliser les bons mots, et avec un fort accent qui rappelait à Carild celui de sa mère.

       « Et le homme ? »

    Carild garda le silence, fixant dans l'ombre du capuchon l'endroit où devait se trouver les yeux. Comment allait-il réagir si elle lui disait qu'elle en avait été incapable ? Et qu'elle en serait encore moins capable dans l'état où elle se trouvait actuellement ?

      « Tu pas pouvoir. Problème à régler plus tard. Tu bien travaillé quand même»

    La réponse de l'homme lui avait fait l'effet d'un couperet avant qu'elle n'en comprenne le sens. Il avait compris mais ne semblait pas lui en vouloir. Pour le moment du moins.

    Comme elle avait jeté le paquet sur les genoux de l'homme, celui-ci lui lança à son tour une rondelette bourse pleine de pièces. La soupesant rapidement, elle l'escamota tout aussi vivement à la vue de tous. La barbe se remit à frémir, signe d'un nouveau sourire.

      « Tu pas finir mission. Tu devoir je service. »

    Du bout du gant il tapota la gravure du serpent.

      « Dieu-Serpent fort. Contact mortel. Malade, vomir, puis... »

    Il passa son pouce le long de sa gorge avant d'éclater de rire en agitant ses mains gantées devant Carild.

      « Peu capable survivre poison. Homme pouvoir. Pas bon.»

    Il jeta alors une petite fiole entre les mains de la jeune voleuse avant d'ajouter :

      « Je besoin tu survivre »

    La femme en rouge se sentait confuse, prise entre un sentiment de colère et un intense soulagement. Soit, elle avait été empoisonnée et si son commanditaire n'avait pas eu l'intention de se servir à nouveau d'elle, il l'aurait laissé agonisé, mais au moins elle n'attendait pas d'enfant. Et si le collectionneur de chevaux devait mourir c'était parce qu'il pouvait résister au poison distillé par la gravure du serpent ? Un brusque accès de nausée lui rappela qu'elle en était incapable. Elle but la fiole avec avidité comme si sa vie en dépendait, ce qui était le cas d'ailleurs.

    S'assurant que personne parmi la foule ne s'intéressait particulièrement à eux, l'homme entreprit de déboîter la tête de bois qu'il lança ensuite à la jeune femme.

      « Plus besoin. Tu pouvoir garder »

    Alors qu'elle se demandait ce qu'elle allait bien pouvoir faire d'une tête de cheval en bois, l'homme continuait à s'affairer sur le manche et en particulier la gravure. L'oreille habituée à déjouer les mécanismes des serrures, la jeune femme entendit distinctement un « clic » que personne à part elle et l'homme ne perçut. Prestement, ce dernier pointa le manche vers le sol où vinrent se planter deux aiguilles suintantes d'une mixture verte et luisante. Rapidement de petites bulles parcoururent la terre souillée par l'étrange liquide et les pointes se mirent à fondre..

      « Crocs du serpent. Rien pouvoir résister. Pas même crocs »

    Le danger semblant être écarté, l'homme en bleu continua à manipuler le bâton quelques instants avant de réussir à séparer la gravure du reste du manche. Derrière celle-ci se cachait un petit logement contenant une clef. La brandissant devant la jeune femme, il dit :

      « Tu venir avec je pour utiliser clef. »

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#3 26-11-2014 16:46:02

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Un cheval de bois

Retrouvailles et plongeon

    La jeune femme reprit conscience brusquement. Une douleur lancinante lui vrillait les tempes et sa respiration était difficile comme si on essayait de l'étouffer avec un coussin. L'enclume qui lui tenait lieu de cerveau résonnait tellement qu'elle n'osait pas ouvrir les yeux pour voir où elle se trouvait. Elle tenta d'étirer ses muscles endoloris sans succès. Une corde lui entravait les mains et les pieds. Surprise, Carild oublia la douleur qui transperçait son crâne et ouvrit les yeux en grand.

    Le noir complet.

    Prise d'une légère panique, la cambrioleuse prit une grande inspiration rapidement contrariée par la toile de jute qui s'engouffra dans sa bouche avec l'air qu'elle tentait désespérément d'avaler. Elle lutta pour ne pas céder plus à la peur qui l'étreignait. Qu'il eut été facile de crier, appeler à l'aide, se débattre et... d'attirer l'attention de ceux qui l'avaient mise dans cette situation. Se forçant à retrouver une respiration calme, elle chercha à se remémorer des derniers événements dont elle se souvenait.

    Elle avait retrouvé le commanditaire de son dernier contrat, fort probablement un haradrim, et celui-ci lui avait appris qu'elle avait été empoisonnée à cause de l'objet qu'elle venait de voler pour lui. Il lui avait donné un antidote, lui avait montré une clef cachée dans l'objet puis... un trou noir au moins aussi profond que la Moria. Elle se retint de jurer pour ne pas attirer l'attention mais n'en pensa pas moins que ce chacal l'avait droguée avec son pseudo-antidote. Il allait voir de quel bois elle se chauffait quand on s'en prenait à elle.

    Calmement, elle entreprit d'abord de faire le point sur sa situation. Où était-elle ? Était-elle seule ? Comment était-elle attachée ? Elle laissa le silence s'installer de longues minutes, tous les sens en éveil. Sa vue était bouchée par le sac de jute qui lui recouvrait le visage. Celui-ci sentait le limon et l'humidité et couvrait les lèvres de la jeune femme d'eau salée et sablonneuse. Un léger roulis la berçait tout en lui donnant un début de nausée. À part les craquements du bois, aucun son ne se fit entendre. De toute évidence elle se trouvait dans la cale d'un navire. À cette idée, sa nausée se renforça. Elle allait devoir se dépêcher si elle ne voulait pas remplir le sac avant d'avoir pu l'enlever.

    Malgré les assauts conjoints de ses tempes et de son estomac, Carild étudia du bout des doigts la corde qui lui bloquait les membres. Enfin elle trouva le nœud et se retint de rire. Un nœud d'amateur. En quelques secondes ses mains furent libres ainsi que ses jambes peu après. Précipitamment elle arracha le sac sur sa tête pour y enfouir à nouveau son visage et laisser libre court à sa nausée.

    Enfin soulagée, pour le moment, la jeune voleuse regarda enfin autour d'elle. Il s'agissait bien de la cale d'un bateau. Cale bien remplie d'ailleurs de marchandises assez disparates. Un peu trop pour être honnête. Sans doute le résultat d'une virée de pillage. À l'idée de se trouver sur un bateau de corsaires, et surtout s'il s'agissait d'un bateau en particulier, Carild frémit. Sa dernière histoire sérieuse était avec Jogor, un haradrim ancien bras droit de son frère, qui s'était révélé plus violent qu'elle ne pensait. Elle avait pu lui fausser compagnie et n'avait aucune envie de la croiser à nouveau.

    À pas feutrés, la cambrioleuse se déplaça dans la cale jusqu'à un escalier qu'elle gravit en silence. Lui tournant le dos, un homme montait la garde. Carild tira une grimace : elle reconnaissait la tenue typique d'un corsaire Umbarim. Se retrouver encore une fois entre leurs griffes alors qu'elle s'était enfin affranchie de son frère et de sa troupe de soudards lui fit voir rouge. Même si elle aurait peut-être eu moyen d'assommer ce garde, il allait payer pour les autres.

    Froidement elle étudia la scène, cherchant ce qui pourrait lui servir d'arme et si elle devait s'attendre à des complications. Du milieu de l'escalier elle parvint à distinguer les contours de la petite pièce qui se trouvait à son sommet. À part le garde, il n'y avait pas âme qui vive en vue mais rien n'indiquait que personne ne viendrait d'une pièce attenante s'il appelait à l'aide. L'homme était appuyé sur une longue matraque et portait à la hanche droite une dague au fourreau. Cette arme ferait parfaitement l'affaire tant qu'elle empêcherait le corsaire de s'en servir et d'appeler à l'aide.

    Discrètement elle se glissa dans le dos du garde puis laissa parler une violence qu'une frêle jeune fille comme elle ne laissait pas deviner. Sa main gauche remonta brusquement pour frapper la gorge de l'homme et lui couper le souffle. Du même geste, elle se saisit de la dague de la main droite et la fit remonter sous les côtes jusqu'aux poumons, noyant définitivement la moindre tentative d'appel à l'aide dans un flot de sang. La main gauche se saisit de la matraque pour l'empêcher de faire du bruit en tombant tandis que la droite dispensait un second coup de dague au niveau des reins brisant la colonne vertébrale de l'homme, l'empêchant de s'enfuir dans un dernier élan. La jeune femme retint le corps du corsaire comme ses jambes se dérobaient sous lui. Crachant du sang plus qu'il ne parvint à parler, son regard croisa celui de la jeune femme. Reconnaissant le corsaire, elle donna un ultime coup de dague sous la gorge.

    Carild tremblait de tous ses membres. Le garde était un des hommes au service de Jogor. De tous les navires qui écumaient la baie de Belfalas, il fallait qu'elle se retrouve sur celui-ci. L'haradrim à la barbe bifide allait le lui payer quand elle le retrouverait. Si déjà elle arrivait à sortir d'ici. Oui c'est cela... déjà penser à sortir d'ici.

    Sans bruit, la jeune femme vint se coller à la porte de la pièce pour écouter si son action avait fait suffisamment de bruit pour éveiller l'attention. Du bruit il y en avait certes, mais rien qui semblait indiquer qu'elle avait été repérée. Tout ce qu'elle entendait c'était deux trois conversations indistinctes, le bruit des vagues et le cri des mouettes. Juste derrière la planche de bois devait se trouver le pont et son cortège de marins occupés.  Tout doucement, elle entrouvrit la porte et jeta un œil. Un peu plus loin sur le pont deux groupes d'hommes se faisaient face. Visiblement d'un côté se trouvait les corsaires de Jogor qui lui était en pleine discussion avec un homme encapuchonné dont seulement deux pointes de barbes dépassaient. L'haradrim. Derrière celui-ci se trouvaient quatre hommes à la peau aussi brune que la jeune femme. Comme son commanditaire, ceux-ci étaient certainement des compatriotes de la mère de la jeune femme.

    - « Maintenant que je livrer femme, tu donner coffre »

    Elle reconnut la voix du barbu. Ainsi elle avait servi de monnaie d'échange. Il lui avait dit qu'il avait encore besoin d'elle mais elle ne pensait pas que ce serait de cette façon. L'idée de leur jouer à tous deux un tour pendable germa dans son esprit. Non seulement elle allait réussir à s'enfuir, mais en plus elle allait partir avec le butin. Du moins c'était l'idée qu'elle avait.

    Jogor fit claquer ses doigts et un corsaire lui apporta un coffre vétuste et en piteux état. De là où elle se trouvait, elle distinguait des traces de coups et de forçages autour de la serrure, mais apparemment celle-ci n'avait jamais cédé. Est ce que cela aurait pu être le coffre qui allait avec la clef qu'ils avaient trouvée ? Carild glissa de l'ouverture de la porte jusqu'à une rangée de caisses non loin de l'attroupement. Elle savait pertinemment qu'elle ne pourrait jamais vaincre autant de monde. Elle allait devoir jouer de rapidité pour les duper tous.

    Presque en ligne droite derrière le groupe, un canot était suspendu par deux cordages au dessus de l'eau. Sans doute la bande d'haradrim l'avait-il utilisé pour monter à bord. Ce serait un parfait moyen de s'enfuir. Carild vérifia le tranchant de la lame qu'elle avait récupérée pour s'assurer qu'elle pourrait aisément trancher les cordages puis se lança dans l'application de son plan. Elle se rua vers le coffre qu'elle arracha aux mains du corsaire puis se jeta en direction du canot... Jusqu'à ce que la main ferme de Jogor ne se referme sur son bras freinant tout espoir de fuite.

    - « Carild... Content te revoir. » fit son ancien amant avec un sourire carnassier.

    L'haradrim barbu jeta alors une poudre aux yeux de l'homme qui hurla de douleur en relâchant son étreinte. Sans chercher à comprendre ce qu'il venait de se passer, la voleuse reprit sa course vers la barque dans laquelle elle sauta, tranchant au passage les cordages. Le canot chuta et heurta violemment la surface de l'eau manquant faire tomber la jeune femme à la renverse. À bord du navire un bruit de combat se fit entendre. Les corsaires et les haradrim se battaient entre eux, ce qui laissa le temps à la cambrioleuse de s'emparer des rames et de commencer à s'éloigner. Une explosion à bord lui fit relever la tête, juste le temps d'apercevoir un archer la viser. Elle n'échappa à la flèche que grâce au réflexe qui la fit se jeter à l'eau, laissant la barque et le coffre partir à la dérive. Sur le bateau, des flammes commençaient à monter, et c'est dans leurs ombres découpées que la jeune femme vit Jogor frapper l'archer puis le jeter par dessus bord.

    - « CARIIIIILLLLD ! » Hurla-t-il, comme s'il espérait que cela la ferait revenir. Tant pis pour le trésor, elle continua à s'éloigner autant que possible à la nage.

    À bout de forces, la voleuse n'avait pas l'impression d'avoir avancé  plus que cela vers la berge. Certes elle s'éloignait du navire désormais en flammes mais elle craignait de ne plus avoir la force de continuer jusqu'à la rive. C'est alors qu'elle remarqua qu'un canot se rapprochait d'elle. Un canot contenant trois haradrim dont le fameux sorcier barbu. Elle lança ses dernières forces dans une fuite désespérée mais la barque allait trop vite et bientôt elle se sentit couler.

    La jeune femme reprit conscience brusquement. Alors qu'elle ouvrait les yeux, se demandant si elle avait touché le fond, elle se retrouva face au barbu qui lui souriait.

    - « Tu mettre beaucoup temps à t'échapper » dit-il d'un air taquin. « contrat réussi » ajouta-t-il avant d'éclater de rire. « Tu mériter voir contenu coffre »

    Ne sachant pas trop comment prendre les propos du sorcier, Carild se redressa tout en restant sur ses gardes, tentant de reprendre des forces si elle devait à nouveau fuir à la nage. Toujours souriant, l'homme prit la clef qui pendait à son cou, pendue par une chaîne puis l'inséra dans la serrure. Le sorcier tourna la clef puis dirigea la façade du coffre vers l'eau. En ouvrant le coffre, deux pointes jaillirent et se perdirent dans l'eau.

    - « Pièges, pièges, pièges » marmonna l'haradrim.

    Le coffre était plein de pièces d'or et de bijoux. Le barbu reposa le coffre au fond de la barque puis dit à ses deux soldats de se servir. Ceux-ci se jetèrent sur l'or et les joyaux, trop heureux que cette aventure les ait rendus riches. Carild ne comprenait pas pourquoi le sorcier avait fait tout cela pour laisser tout le trésor à deux soudards. Au bout de quelques minutes, l'explication arriva, car les deux hommes furent pris de forts tremblements. Leurs gorges enflèrent et leurs yeux se révulsèrent. Finalement l'haradrim les fit basculer par dessus bord d'un coup de pied.

    - « Pièges, pièges, pièges » soupira-t-il.

    Après avoir enfilé des gants, il jeta les derniers restes d'objets précieux à la mer. Le coffre était désespérément vide. Carild soupira. Tout cela n'avait-il donc servi à rien ? L'homme tapota le fond du coffre. Un double fond !

    La jeune voleuse observa l'homme qui démontait patiemment le panneau intérieur. Le fond enlevé, un petit compartiment apparut. À l'intérieur se trouvait un petit couteau. Pas un couteau richement ouvragé qui aurait pu se revendre une petite fortune, non. Un bête couteau dans un fourreau de cuir moisi, et dont la poignée semblait en aussi piteux état. Toujours souriant, le sorcier haradrim se saisit du couteau et retira le fourreau qu'il jeta à l'eau. Carild put observer la lame et fut surprise par sa forme. C'était une espèce de mélange d'entrelacs et de formes complexes, mais surtout c'était... moche et inutilisable. La lame n'était certes pas rouillée, ce qui constituait déjà un exploit au vu du reste de la pièce mais les motifs de la lame rendaient le fil trop saccadé pour espérer couper quelque chose correctement avec. Elle ne voyait pas vraiment qui cela aurait pu intéresser, à part peut-être un collectionneur un peu dérangé et qui ne savait plus quoi faire de son argent. C'est alors qu'elle remarqua un petit symbole à la base de la lame. Un symbole qu'elle avait déjà vu chez son frère et son père. Elle avait même dû apporter une lettre ornée de ce symbole à son frère. Un marteau stylisé.

    Ne remarquant pas que la curiosité de la voleuse avait été piquée au vif, le sorcier tira sur une toute petite languette de métal à la base du manche. Aussitôt la lame se sépara en trois, formant une espèce de trident aux formes étranges. Éclatant de rire l'haradrim brandit l'objet vers Carild.

    - « Clef ! »

    Avant même que le barbu ne lui pose la question, la jeune femme répondit :

    - « Je suis dans le coup »

Dernière modification par Orolhion Martelame (30-11-2014 19:32:11)

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#4 31-12-2014 19:01:42

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Un cheval de bois

[hrp] Un peu de lecture pour le nouvel an^^ et bonne année big_smile [/hrp]


4 – Plein de secrets dans un carnet



    Cachée derrière un arbre, la jeune femme s'assura que sa robe fut bien lissée et ses cheveux courts pas trop en pagaille. Elle avait quelque chose à lui demander et elle savait que le sujet qu'elle voulait aborder allait le rendre quelque peu grognon....

    Ou carrément violent...

    Mais pour cela elle avait prévu de le voir avec sa famille, ça tempérerait son caractère soupe au lait. Du moins elle l'espérait. En tout cas, il ne s'était jamais énervé en présence de sa fille et de là où elle était, elle voyait un papa gâteau qui s'émerveillait devant les premiers pas de son enfant. La scène la fit s'attendrir et sourire. Voir les premiers pas de sa nièce, même de loin, lui fit presque oublier sa mission, mais elle secoua bien vite la tête pour se concentrer sur son objectif. Et pourtant, la petite était si mignonne...

      « Ta mission Carild ! » entendit-elle une petite voix résonner dans sa tête.

    Se ressaisissant la voleuse, lissa une nouvelle fois le devant de sa robe, passa une main dans ses cheveux, risqua un nouveau coup d’œil vers la famille de son frère... et sentit une nouvelle fois son cœur fondre. Qu'elle était choupinette cette petite....

      « Ta mission ! Nom d'un troll velu ! » l’admonesta la petite voix.

    La jeune femme en sursauta presque. Elle prit une profonde inspiration, s'assura encore une fois de sa mise et s'apprêta à se lancer dans l'action... avant de pousser un soupir d'attendrissement devant la gamine. Elle était vraiment jolie comme un cœur...

      « C'est vrai qu'elle est trop mimi dans cette robe. » renchérit la petite voix qui en avait, elle aussi, oublié la raison de la présence de la cambrioleuse.

    Au bout de quelques minutes d'observation béate à observer sa nièce faire quelques pas, tomber, se relever et recommencer jusqu'à la prochaine chute, Carild se posa enfin la question de ce qu'elle faisait ici. Elle se remémora alors l'histoire que le sorcier haradrim lui avait contée et qui l'avait menée jusqu'ici.



*** Un mois plus tôt ***


    Assis dans la barque, l'homme à la barbe bifide manipulait un étrange objet, mélange entre couteau, trident et objet de décoration insolite, voire pièce de forge complètement ratée ou même massacrée selon la sensibilité de chacun. Selon lui, il s'agissait d'une clef menant vers un immense trésor ou peut-être même vers un objet de pouvoir très ancien et très puissant. Et très probablement la seconde solution, toujours selon lui.

    Maniant les rames pour mener la barque vers la berge, la jeune femme en rouge – et encore trempée d'une fuite à la nage – ne quittait presque pas l'objet des yeux, en particulier le symbole figurant un marteau qu'elle avait souvent vu chez Orophant, l'aîné de la fratrie. Ce motif était lié à sa famille semblait-il et elle avait obtenu du sorcier qu'elle participe à la suite de la quête. Il ne s'agissait pas de l'obtention d'un objet ou d'un trésor, mais comprendre ce qui semblait la lier avec cette histoire était sa motivation principale. Et puis si en plus elle avait moyen d'en tirer un joli magot, elle n'allait pas se priver.

    Le sorcier la tira soudainement de ses pensées.

      « Puisque tu vouloir continuer, tu devoir connaître histoire. »

    L'haradrim lui parla alors de la découverte qu'il avait faite quelques mois auparavant, en rangeant les affaires d'un vieil oncle décédé. Une boite richement ornée avec un couvercle de verre et remplit d'un liquide dans lequel flottait une pointe tout autant ornée que la boite et qui indiquait toujours la même direction quelque soit le sens dans lequel on tournait l'objet. Il avait déjà vu ce genre d'appareil chez un marin d'Umbar et crut pouvoir le lui vendre pour en faire un bénéfice important. Malheureusement, ou heureusement ajouta-t-il, le marin lui rit au nez. C'était une belle camelote mais l'aiguille n'indiquait même pas le nord. Inutile donc de s'encombrer avec.

    Le sorcier esquissa un sourire en se rappelant ce souvenir. S'il avait réussi à la vendre, jamais il n'aurait découvert la suite. Il reprit alors son histoire. Il avait essayé de la vendre à plusieurs marins sans succès. La seule personne qui sembla s'y intéresser fut un grand type aux cheveux gris coupés courts, une balafre lui barrant l’œil droit, mais il ne comptait pas payer la moindre pièce pour. Sans doute un de ces mercenaires errants qui avait été attiré par les dorures. L'haradrim lui avait fait le même coup qu'au capitaine du navire dont ils venaient de s'échapper : une poignée de poudre brûlante dans les yeux avant de s'enfuir. Toujours est-il que l'homme à la barbe bifide en eut assez de trimballer une boite qu'il n'arrivait pas à vendre et qui semblait en plus attirer les bandits. De rage il jeta la boite à terre où elle se brisa, répandant le liquide et éjectant l'aiguille.

      « Å ce moment, l'histoire changer » commenta-t-il devant la jeune rameuse.

    Il raconta alors qu'autre chose s'était libéré de la boite : une espèce de médaillon. Celui-ci rebondit plusieurs fois puis... se déploya comme l'avait fait la lame avec laquelle il jouait tout en contant son histoire. Ramassant les débris ainsi que le médaillon, il fit deux découvertes intéressantes. La première il la fit en passant sa main à l'intérieur de la boite. Tout l'intérieur était gravé de symboles étranges mais qu'on pouvait définitivement identifier comme étant un texte ancien. La seconde découverte fut moins plaisante quand le barbu se mit à rendre tripe. Heureusement pour lui, il avait de bonnes connaissances en herboristerie et il comprit rapidement qu'au moins un des objets était empoisonné. Et pas qu'un peu vus les symptômes. Sans son savoir, et la bourse d'herbes qu'il avait toujours à la ceinture, il n'aurait pas survécu. Ce fut une leçon rude mais qu'il retint sans soucis.

      « Pièges, pièges, pièges ! » ajouta-t-il avec un sourire.

    Il avait alors entreprit de traduire le texte. Ce n'était pas parfait mais il avait réussi à en tirer le principal de l'histoire.

       « Longtemps avant. Très longtemps avant. Un grand seigneur étranger vivre en Harad. Il avoir fils et pendant dispute seigneur priver fils de son plus grand pouvoir. Bien plus tard, fils tuer seigneur. De peur qu'il devenir invincible avec pouvoir, serviteurs du seigneur cacher pouvoir avec clefs et pièges. »

    Il agita la lame pour ponctuer sa dernière phrase, puis sortit de sa poche un petit médaillon. D'une pression sur le gousset, deux tiges surgirent du petit boîtier rond.

      « Deux clefs. Rester une puis chercher cachette... Mais encore chercher où se trouver... »

    Le sorcier semblait dépité. Il avait accompli la moitié du travail mais ne savait pas encore où chercher. Carild ne quittait pas le médaillon des yeux. En plein milieu du médaillon, un marteau stylisé était gravé.

      « Je crois savoir où chercher » dit-elle avec un sourire.

* * *

    Toujours à demi cachée derrière son arbre, Carild sursauta quand elle se rendit compte qu'elle avait été repérée par une jeune femme qui lui faisait signe d'approcher. Jolie brunette aux yeux bleus, Mildwyn avait remarqué sa belle-sœur depuis un moment, mais connaissant les relations parfois tendues entre son mari et sa demi-sœur, elle s'était assurée qu'Orolhion fût d'une humeur suffisante pour la recevoir avant de faire signe à celle-ci. Vu comment le forgeron riait en jouant avec sa fille, on aurait pu lui annoncer une invasion d'orques qu'il aurait continué à rire.

    Impossible de reculer maintenant. La jeune voleuse lissa une dernière fois sa robe et s'avança sur le chemin. Après tout elle venait officiellement rendre visite à la dernière née Martelame, aucune raison donc d'angoisser. Et surtout pas parce qu'elle venait chercher un vieux carnet hérité de leur père. Malgré ses premières craintes, les retrouvailles furent chaleureuses et la jeune femme put s'émerveiller de sa nièce, oubliant à nouveau la raison première de sa venue.

    Après quelques temps, Carild se décida enfin à aborder le sujet avec son frère. Elle lâcha un léger soupir puis chuchota à son frère :

      « Frangin. Je voudrais te demander un truc... »

    L'air suspicieux, Orolhion prit sa fille dans ses bras et désigna un banc d'un signe de tête.

      « Installons-nous là et je t'écoute. Si c'est pour un prêt d'argent... »
      « Euh... un prêt... quelque chose comme ça oui.... mais pas d'argent. » s'empressa-t-elle d'ajouter tout en s'asseyant. « Disons que je suis sur un travail particulier en ce moment et tu pourrais m'aider pour... »
      « Je suis un marchand honnête ! Je ne tremperai pas dans tes affaires louches... » s'emporta le père de famille. Sa fille réagit immédiatement en geignant un peu, ce qui eut l'effet qu'espérait Carild : Orolhion s'obligerait à tenir en laisse ses nerfs. En attendant, elle allait quand même devoir se défendre : elle n'avait pas d'affaires louches ! Du moins en ce moment.
      « Mais laisse-moi donc finir ! Il ne s'agit pas de voler qui que ce soit.... Je fais juste des recherches... »
      « Des recherches ? » Orolhion leva un sourcil circonspect. Ce n'était pas vraiment le genre de sa sœur.
      « Sur un trésor. Ou quelque chose comme ça » ajouta-t-elle.
      « Laisse-moi deviner. C'est un nain qui t'a embauché ? »
      « Pas vraiment... Même s'il a une barbe... Mais l'identité de mon employeur n'a rien à voir... disons que cette recherche est aussi... personnelle. »
      « Je ne vois pas où tu veux en venir mais bon.... dis toujours ce que tu attends de moi... »
      « Et bien.... j'ai besoin de ton carnet... »

    Inutile de préciser de quel carnet il était question. Les trois enfants d'Orovahl Martelame avaient chacun reçu un vieux carnet rempli de textes incompréhensibles si on les prenait un à un, mais mis ne serait-ce que par paire, ils commençaient à révéler pas mal de secrets... ou de délires d'un esprit fou, car ainsi avait fini le patriarche. Le principal point commun de ces carnets étaient une gravure dans un coin de la couverture... Un marteau stylisé.

    À l'évocation de l'ouvrage, les veines des tempes d'Orolhion saillirent. La colère menaçait de le submerger, mais heureusement la petite chose qui gazouillait dans ses bras l'empêcha de céder. Il n'avait jamais digéré la « disparition » de son père pour une autre femme avec qui il avait eu Carild, et encore moins l'agression par son frère envers sa femme pour tenter de le mettre à sa botte et de récupérer le fameux carnet... À moins que ce ne fut d'avoir été si près de céder qui l'énervait le plus. Toujours est-il que la moindre chose rappelant ces tristes épisodes avait le don de voir sa colère s'enflammer.

    D'une voix glaciale qui le surprit lui-même, Orolhion posa la question qui risquait de lui faire perdre le contrôle :

      « C'est Lui ton commanditaire ? »

    Se doutant bien qu'il parlait de leur frère, la jeune femme s'empressa de lui répondre par la négative. Elle ajouta même qu'il s'agissait d'un haradrim mais qui n'avait strictement aucun lien avec lui. Et ça elle en était sûre parce qu'elle avait quand même pris le temps de faire sa propre enquête.

    Sentant un semblant de calme revenir en lui, le forgeron fit signe à sa femme qui les surveillait tout en faisant semblant de s'occuper de ses roses.

      « Jolie Fleur. Je crois bien que la petite veut les bras de sa mère »

    Sans être dupe du fait qu'il cherchait surtout à éviter à son enfant un de ses débordements de colère, la jeune mère prit la petite fille dans ses bras, jeta un regard noir de reproches aux deux adultes qui avaient eu l'outrecuidance de briser la quiétude de la journée, avant de partir en direction de la maison. Une fois la mère et l'enfant hors de vue, Orolhion reprit la parole d'une voix qui lui semblait posée :

      « Dis-moi en quoi tu as besoin de ce carnet ? »

    Moins rassurée que lorsqu'il avait sa fille dans les bras, Carild pesa chaque mot qu'elle allait sortir. La moindre contrariété risquait de la voir partir à toutes jambes pour éviter la furie de son frère. Elle finit par lui raconter toute l'histoire... avec quelques modifications légères pour la rendre plus... acceptable. Ainsi le cheval de bois s'était vu retrouvé dans une décharge et il n'avait jamais été question de tuer qui que ce soit.

    Qu'il y crut ou non, Orolhion n'en laissa rien paraître. Il semblait perdu dans ses pensées, marmonnant de temps à autres un « marteau » ou « foutu carnet ». Soudain il se redressa, surprenant sa sœur qui se recula par réflexe.

      « Cette histoire est intrigante mais elle ne trouvera pas de réponse. J'ai brûlé le carnet quand nous sommes rentrés. Et connaissant notre frère, il vaut mieux que tu oublies de lui demander le sien. »

    La jeune femme ouvrit de grands yeux. Il se moquait d'elle ou bien... Ou bien il en aurait bien été capable. Sans attendre de réaction de sa sœur, Orolhion se dirigea vers la maison.

      « Je transmettrai tes salutations à Mildwyn et à la petite. »

    Carild resta assise sur le banc, l'air stupéfaite de la façon dont son frère l'avait congédiée et toujours pas décidée sur la sincérité de sa réponse. Déçue par son échec, elle finit par se lever après quelques minutes pour repartir quand elle aperçut du coin de l’œil une ombre qui s'éloignait de la maison. La curiosité et la méfiance la lui firent suivre. Après tout, passer pour une ombre ça la connaissait, et si quelqu'un les avait espionnés, c'est qu'il y avait une bonne raison. Bien plus rapide que sa cible, elle se débrouilla pour la dépasser et pouvoir lui couper la route. Elle se retrouva alors devant un vieux bonhomme à longue barbe vêtu de façon criarde. Un vieillard qu'elle connaissait bien pour avoir été l'informateur de son frère chargé de surveiller le cadet de la fratrie.

      « Cuthnard ! Qu'est-ce que tu fais là vieux grigou ? » s'écria-t-elle.
      « Oh ! Mais c'est la jeune Carild que voilà. Comme tu le vois je me promenais. »
      « Arrête tes bobards ! Je sais que tu nous surveillais et que tu voulais sûrement faire ton rapport à mon frère. »

    La cambrioleuse qui sentait à son tour la colère monter, tira une dague du fourreau. Pris de panique le vieillard s'empressa de répondre :

      « Du calme ! Du calme ! Je ne travaille plus pour lui ! C'est fini ça »
      « À d'autres ! » commenta-t-elle en avançant d'un pas menaçant.
      « Je le promets c'est fini ! Je gardais juste un œil sur la petite et puis j'ai laissé traîner mon oreille sur votre conversation. Mais promis je n'allais pas lui dire quoi que ce soit ! »
      « Je ferais quand même bien de m'occuper de toi... »
      « Arrête ! Je... Je... je sais où il a planqué le carnet ! » bredouilla-t-il.

    Carild s'arrêta net.

      « Où ça ? »
      « Il... Il... Il est caché non loin de la maison... mais on ne peut pas y aller de jour... On se ferait voir.... Reviens ce soir ici et je te montrerai.... Si tu veux bien écarter cette dague d'abord... c'est que ça coupe ces choses-là... »

    Tout en continuant de menacer le vieillard, Carild réfléchit. Valait-elle mieux qu'elle liquide le vieillard de suite pour être sûre qu'Orophant ne soit pas au courant de cette histoire de trésor qu'il s'empresserait certainement de chercher, ou prendrait-elle ce risque pour avoir une chance de récupérer le carnet ? Elle rengaina alors sa dague avant d'ajouter à l'attention du barbu :

      « Tu as intérêt à être là cette nuit, sinon je me servirai vraiment de ma dague. »


* * *

    La nuit était déjà bien installée quand la jeune femme revint sur les lieux. Dès qu'il l'aperçut, Cuthnard jaillit du buisson dans lequel il s'était caché.

      « Tu en as mis du temps jeune fille. J'ai cru que tu ne viendrais jamais »

    Elle ignora sa remarque et l'enjoignit plutôt à lui révéler au plus vite l'endroit où se trouvait le carnet avant qu'elle ne change d'avis. Grommelant devant la méchanceté dont faisaient preuve les jeunes de maintenant envers les humbles vieillards comme lui, Cuthnard lui révéla qu'il y avait une pierre branlante à l'intérieur du puits et que le forgeron y avait caché le fameux objet tant convoité.

      « Le puits, hein ? Et bien tu vas aller le prendre. » dit Carild tout en dardant sa dague sur la côtes du vieux bonhomme.

    Décidément il lui avait toujours été antipathique et elle trouvait même plaisant de le menacer. Marmonnant dans sa barbe, le vieillard prit le chemin menant vers le puits, suivi de près par la voleuse qui voulait éviter tout coup fourré dont il aurait été capable, comme avertir son frère par exemple, ou pire, avertir les deux frères.

    Arrivés devant le monticule de pierre, le vieux barbu simula une crise de rhumatisme, se plaignant de ses articulations et de son dos qui, ô malheur, l'empêcherait de se pencher pour récupérer l'ouvrage derrière la pierre. Carild esquissa un sourire devant la ruse grossière puis aiguillonna les flancs de Cuthnard du bout de sa dague. Celui-ci se sentit subitement aller mieux et plongea le bras dans le puits à la recherche de la cachette.

      « Ah ! Il est là » s'exclama-t-il.

    Tout fier de sa trouvaille, il tendit alors un vieux carnet à la couverture racornie et aux bords des pages brûlées. Orolhion l'avait bien jeté au feu mais s'était sans doute ravisé avant que les flammes n'eurent fait leur ouvrage. Carild rangea précipitamment sa lame et se jeta sur le carnet pour en vérifier l'état. Heureusement, les dégâts étaient superficiels et tous les textes et croquis semblaient exploitables.

      « Hu Ho.... On a un problème... » gémit Cuthnard alors qu'un morceau d'acier froid et terriblement effilé s'était posé contre son cou.
      « Vous me prenez vraiment pour un imbécile vous deux ! » tonna la voix d'Orolhion qui menaçait ouvertement le vieillard de son épée.

    Prise la main dans le sac, Carild resta muette. Elle aurait bien fait ce qu'elle faisait à chaque fois qu'elle se faisait surprendre, c'est à dire fuir à toutes jambes, mais cela voulait aussi dire que le vieillard y passerait. Même si elle avait pensé à le tuer elle-même peu avant, cette pensée la gênait. Tuer quelqu'un soi-même ou laisser quelqu'un se faire tuer pour pouvoir s'enfuir n'était pas la même chose. Tandis que la jeune femme était prise dans ses réflexions, Orolhion reprit la parole :

      « J'avais bien remarqué l'autre escroc depuis quelques temps, mais je ne pensais pas que tu t'associerais avec lui. Ton commanditaire doit donc bien être notre frère sinon il ne serait pas là. »

    La pression de la lame se fit plus forte sur la gorge du vieillard qui geignit de plus belle.

      « Il n'a rien à voir là dedans ! Il n'est pas au courant pour ce trésor ! Il avait juste appris pour sa nièce et... »
      « QUOI ?! » rugit le forgeron. « S'il croit que je le laisserai la mêler à ses machinations ! »

    Submergé par la colère, Orolhion ne prêtait plus attention à sa sœur qui en profita pour appliquer une des techniques préférées du sorcier haradrim et lui jeta de la poudre dans les yeux. Il poussa un cri de rage et les deux voleurs en profitèrent pour s'éclipser chacun de leur côté. Du moins c'est ce que voulut la jeune femme, mais dans sa fuite quelque chose heurta ses jambes et la fit choir. Avant qu'elle eut pu se relever, quelqu'un vint la ceinturer et une voix de femme lui chuchota à l'oreille :

      « Du calme chère belle-sœur. Je n'aimerais pas avoir à te faire plus de mal. J'aurais déjà bien assez d'avoir à calmer mon mari. »

    Peu après un cri de rage se fit entendre. En maugréant, Orolhion se rapprocha des deux femmes.

      « Il a réussi à s'enfuir.... et c'est de ta faute tout ça ! »
sermonna-t-il sa sœur.

    À l'intérieur quelques pleurs se firent entendre.

      « Et en plus on a réveillé la petite... » ajouta-t-il d'un air penaud, comme s'il n'y avait pas eu plus grosse bêtise. Toute colère évanouie subitement il invita les jeunes femmes à rentrer dans la maison puis dit à Carild : « Il va falloir que tu joues franc-jeu cette fois, petite sœur. Tu viens de mêler toute la famille à ton histoire de trésor. »

Hors ligne

#5 07-02-2015 15:51:29

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Un cheval de bois

5 – Bières et musique


    L'endroit était vétuste, miteux et empestait le cadavre de rat, la sueur acide et l'alcool frelaté.  Malgré son nom, l'auberge abandonnée grouillait de vie. De vies abandonnées, de vies alcoolisées, de vies pauvres et solitaires mais aussi de vies que l'on voulait garder en se cachant dans un endroit improbable.

    Affalé plus qu'assis face à une chope d'un liquide infâme que l'aubergiste avait le culot d'appeler bière, un homme dont la longue barbe laissait présager d'un certain âge et d'un âge certain couchait quelques mots sur un minuscule parchemin. Il choisissait ses mots avec soin pour ne pas éveiller l'ire de son destinataire. Qu'un des frères ait manqué de lui couper le chef il y a peu lui avait suffit, inutile de se mettre l'autre à dos immédiatement. Et pourtant ce message allait certainement entraîner des représailles. Et même s'il n'y en avait pas - idée utopique – que ferait-il après ? Il avait déjà servi trois générations et la quatrième venait de pointer le bout de son nez tandis que la précédente s’entre déchirait.

    Le vieillard froissa le parchemin dans un soupir et jeta la boulette dans la cheminée. Le feu qui y vivait était bien la seule chose qui tenait la route dans ce bâtiment perdu entre le pays de Bree et les terres solitaires. Il prit une longue gorgée de sa bière tout en regardant apparaître les premières étoiles à travers le vaste trou de la toiture. Le goût se situait entre la pisse d'orque et le jus de pot de chambre mais il avait déjà bu pire et pouvait savourer une gorgée sans faire de grimace contrairement à la moitié de la clientèle  assez courageuse pour commander à boire ici.

     Le vieux bonhomme claqua sa chope vide sur la table et jeta un regard de défi autour de lui. Ici finir sa bière d'une traite pouvait être pris pour une démonstration de force. Une fois un abruti au teint olivâtre l'avait défié à un concours de boisson. Le pauvre était parti en rampant et vomissant au bout de trois chopes de l'horrible mixture, mais cela en avait encouragé d'autres à tenter leur chance. L'ancien avait fini plus rond qu'une queue de pelle mais il était resté invaincu. Régulièrement certains s'y risquaient encore mais cela se faisait plus rare. Dommage, son pécule avait bien fondu et il aurait bien laissé sa facture à un challenger.

    Bien qu'il y eut quelques regards vers lui, personne ne sembla vouloir relever le gant. L'homme se dit qu'il allait encore avoir droit à une soirée bien calme où il n'aurait encore que ses propres démons à affronter. Il s'apprêta à commander une nouvelle chope du liquide trouble quand il remarqua qu'un homme encapuchonné se dirigeait vers lui. Le vieillard observa celui qui semblait être son futur adversaire de beuverie. Celui-ci était emmitouflé sous une épaisse cape de laine bleue, sale et poussiéreuse ne laissant apparaître aucun détail de son physique si ce n'était qu'il était fortement bâti. Caché dans l'ombre de son capuchon, on ne distinguait pas grand chose de son visage si ce n'était une barbe noire striée de poils gris et taillée en double pointe.

            « Je offre tu même boisson ? » dit l'homme en prenant place face à l'ancien.

    Celui-ci acquiesça d'un signe de tête. Il reconnut l'accent d'Harad.

            « Et tu payeras aussi celles qui suivront Suderon. » lança-t-il d'un ton de défi, prêt à picoler plus que n'importe qui surtout si cela impliquait qu'il n'aurait pas à débourser la moindre pièce.

    Le nouveau venu ne parut pas plus impressionné que cela et fit signe à l'aubergiste de ramener plusieurs chopes. Une serveuse apporta un plateau couvert d'une dizaine de chopes pleines à ras bord.

            « Z'avez de quoi payer au moins ? » Demanda-t-elle.

    En guise de réponse, l'haradrim posa une petite pile de pièces d'or sur la table. Largement de quoi payer leur consommation... et l'auberge avec. L'attention générale se porta soudainement vers le duel en préparation. Quelques sifflets d'admiration fusèrent à la vue de l'or si rare par ici. Les sourcils du vieux bonhomme se froncèrent. Soit c'est un flambeur soit il est vraiment sûr de lui pour sortir autant d'argent, se dit-il. Enfin un défi intéressant.

    Les deux hommes se lancèrent en même temps à l'assaut du plateau et s'enfilèrent d'une traite leurs premières pintes.

            « Comment s'appeler celui que je battre ? » demanda l'homme à la barbe bifide. Avant que le vieillard ne puisse répondre il entama la chope suivante.
            « Sidric Pattemouille » répondit-il dès qu'il eut fini lui aussi sa seconde bière. Un nom d'emprunt comme un autre ferait l'affaire. « Et toi ? » ajouta-il avant d'attaquer la troisième.

    Ils mirent plus de temps à finir celle-ci. La lourdeur du mélange commençait à se faire sentir et ils semblaient essoufflés quand il posèrent d'un même ensemble leurs chopes. L'haradrim semblait même plus atteint que « Sidric ». Celui-ci partit d'un rire de victoire en s'emparant de la quatrième et se mit à la boire à grosse gorgée.

            « Je s'appeler Cuthnard » répondit enfin l'homme du sud tout en prenant sa chope suivante.

    « Sidric » s'étrangla quand il entendit la réponse de son adversaire et recracha sa bière en toussant. Barbe bifide se moquait-il ouvertement de lui ? Et comment connaissait-il son vrai nom ? Est-ce qu'un des frères avait envoyé quelqu'un pour lui ? À moins que ce ne fut la sœur ? Tant de questions se bousculaient dans sa tête. Le claquement d'un bock sur la table lui fit tourner la tête.

            « Je gagner » fit l'haradrim en souriant.
            « Et va falloir payer pour une fois Sidric » ajoutèrent en cœur le tenancier et la serveuse.

    Encore une question à laquelle le véritable Cuthnard ne savait répondre. De toute évidence il n'avait pas de quoi payer. L'homme à la barbe bifide récupéra sa pile de pièces pour la remettre dans sa bourse à l'exception de deux qu'il lança respectivement à l'aubergiste et à la serveuse.

            « Tu devoir Je service, Sidric » La manière dont-il prononça ce nom ne laissa aucun doute à Cuthnard. Il savait que c'était un faux nom et quelle était sa véritable identité. Et en plus il lui était maintenant redevable.

    L'haradrim fit quelques pas mal assurés. Non seulement la bière était atroce mais en plus elle vous saoulait en moins de deux. À moins qu'elle ne vous empoisonne en fait. L'homme ouvrit une petite bourse de cuir et en sortit deux petites feuilles séchées. Il en posa une sous sa langue et donna l'autre au vieillard.

            « Je besoin Tu sobre ».

* * *

            « Tu es sûr qu'il est là ? » Demanda Carild à son frère.
            « Il se cache toujours ici quand il veut se cacher de moi. Comme si je ne le connaissais pas assez. Et ton haradrim ? Il va pouvoir le faire sortir sans heurt ? »

    Orolhion et sa sœur attendaient patiemment devant l'auberge qui servait de cachette à Cuthnard. L'homme s'en serait bien passé mais de toute évidence le vieil escroc savait où se trouvait une des clefs. Du moins c'est ce qu'ils avaient réussi à déduire des traductions de leurs carnets. Pour en être sûr il aurait fallu celui d'Orophant en plus, mais autant laisser entrer le loup dans la bergerie et lui annoncer le menu.

            « Il est plein de ressource et de surprise. » répondit la jeune femme.
            « S'il prend trop de temps, j'irai le chercher moi-même. » ajouta Orolhion en s'assurant de la présence de son épée dans son dos.

    Carild ne put réprimer un soupir d'agacement. L'impatience de son frère l'agaçait prodigieusement et lui donnait envie de lui coller des baffes.

            « Il vient à peine de rentrer. Calme-toi et prends ton mal en patience ou pars. Après tout, on ne t'a jamais demandé de venir. »

    Et ce n'était pas faux. Orolhion n'avait que faire du trésor que recherchaient sa sœur et l'haradrim, mais il y avait des chances que son frère soit aussi sur sa piste et le ferronnier ferait tout pour l'empêcher de mettre la main dessus. Il leur avait donc imposé sa présence afin de prévenir tout risque fraternel, au grand dam de sa sœur.  L'homme grommela puis vint s'adosser contre le mur à côté de la porte.

    Pour passer le temps, Carild chercha à se remémorer tout ce qu'ils avaient réussi à découvrir avec leurs carnets conjoints. D'abord ils avaient découvert que le fameux fils du seigneur avait retrouvé la cachette de son pouvoir perdu. Cette nouvelle avait anéanti les espoirs de l'homme à la barbe bifide jusqu'à ce qu'en traduisant la suite du texte ils comprirent qu'il n'avait jamais pu ouvrir le coffre. Tout espoir n'était donc pas perdu. Apparemment le parricide avait été enterré avec le coffre mais aucune mention n'était faite de l'emplacement de sa tombe.

            « Je pense savoir où c'est. » avait alors déclaré Orolhion. Il se souvenait de la grotte où son frère lui avait révélé leur hypothétique ascendance. Une grotte pleine de tombes.   

    Le carnet n'avait pas donné d'indication sur les clefs du coffre sinon nul doute qu'Orophant se serait déjà emparé du trésor. Les seules informations que l'haradrim avait pu trouver sur les clefs étaient qu'une avait été donnée à une famille de sorcier, la sienne en l'occurrence, une à deux frères qui l'avaient cachée dans un coffre. L'un des frères avait gardé le coffre, l'autre était parti loin au nord avec la clef du coffre. La dernière avait été confiée à une famille d'éclaireurs et d'espions mais cette famille disparut en même temps qu'on perdit trace de la lignée du seigneur de nombreuses années plus tard.

    La jeune femme avait passé de nombreux jours à essayer de traduire le reste des carnets dans l'espoir de trouver un indice mais sans le troisième carnet, beaucoup de passages restaient incompréhensibles. Une chose cependant éveilla sa curiosité. Son père avait réservé un chapitre pour parler de Cuthnard et de ses ancêtres. Si le vieux grigou avait été ami avec leur père, lui et les siens avaient toujours été au service de l'aîné des Martelame. « Bien piètre serviteur que voilà » ne put-elle s'empêcher de penser. La suite du chapitre parlait d'anecdotes diverses  que Cuthnard avait racontées à leur père. L'une d'elle mentionnait un objet qui se transmettait de père en fils dans la famille du vieux barbu depuis très longtemps. Une flûte. Était-ce la troisième clef ? Il n'y avait qu'une façon de le savoir... Remettre la main sur le vieil escroc.

* * *

    Le ferronnier avait perdu patience.

    Orolhion tira la grande lame de son fourreau et s'apprêta à ouvrir la porte pour chercher Cuthnard par la peau du cou quand le battant de bois s'ouvrit pour laisser passer Cuthnard suivi de l'haradrim. Les deux hommes furent surpris de se trouver ainsi face à face, mais rapidement la surprise fut remplacée par de la terreur chez le vieillard. Il était coincé dans l'encadrement de la porte, la barbe fourchue derrière lui et Orolhion, l'épée au clair, face à lui. Il ne se rendit compte qu'il venait de mouiller ses chausses que lorsque ses pieds pataugèrent dans une petite flaque.

            « Tsssss... Trop de bière... » fit l'homme dans son dos en secouant la tête avant de le pousser du plat de la main vers l'extérieur.

    Avant que le ferronnier décide de profiter de cette peur pour lui tirer les vers du nez, Carild lui posa une main sur son bras d'épée et prit la parole :

            « Du calme Cuthnard. Il ne te fera rien. » Elle insista sur les derniers mots en dévisageant son frère d'un œil noir. « Nous avons juste besoin que tu répondes à quelques questions et nous te ficherons la paix. »

    Cuthnard ne savait trop s'il devait la croire mais avait-il le choix de toute façon ? Ses yeux passèrent du visage de la jeune femme à l'arme de son frère puis il acquiesça d'un signe de tête. Il était prêt à répondre à n'importe quoi, du moment qu'il en sortait vivant.

            « Apparemment ta famille se transmet une flûte de père en fils. Est ce que tu peux nous la montrer ? »

    Le vieil homme écarquilla les yeux. Comment était-elle au courant ? Et puis qu'est ce qu'elle voulait à son trésor familial ? Le silence du vieil escroc appesantit l'atmosphère. Orolhion resserra sa prise sur la poignée de son arme ce qui n'échappa pas au regard du vieux barde. Il lâcha un gros soupir et entreprit de farfouiller dans le revers de sa tunique pour en sortir un vieux tube de métal argenté terni.

            « De toute façon elle est tellement vieille que les notes ne sont plus justes. » Ajouta-t-il.

    Le sorcier derrière lui était déjà en train d'enfiler ses gants de cuir. Il se saisit délicatement de l'objet puis l'étudia du bout des doigts. En moins d'une minute il avait déjà repéré un léger mécanisme qu'il déclencha en pointant l'objet vers le mur. Une pointe vint s'y ficher dans la seconde, suivie de deux autres à dix secondes d'intervalles.

            « Pièges, pièges, pièges. »marmonna-t-il dans sa barbe bifide.

       Cuthnard était médusé par ce qu'il venait de voir. Sa flûte si précieuse avait manqué de lui péter à la gueule à chaque fois qu'il avait voulu en jouer. Tout compte fait il était content de s'en débarrasser.

    L'haradrim manipula encore un peu la flûte jusqu'à ce que deux tiges en sortent brutalement. Avec un grand sourire, il brandit la flûte devant les Martelame.

            « Clef ! »

    Orolhion rengaina son épée avant de saisir le vieux Cuthnard par sa longue barbe.

            « Je sais que tu es lié par devoir familial à mon frère mais si tu ne lui transmets aucune information sur ce qu'il vient de se passer ni sur ce qu'il doit se passer par la suite, j'efface ton ardoise envers moi. »

    Le ferronnier garda la barbe à pleine main jusqu'à ce que l'ancien acquiesce du chef. Entre être loyal envers quelqu'un au loin et qui se moquait de vous comme d'une guigne et pouvoir vivre tranquillement par ici, le choix était vite fait.

            « Je jure que je ne lui transmettrai plus de messages ! Je le jure sur ma barbe ! » déclara solennellement le vieux. « Mais j'ai peur qu'il n'en sache déjà assez pour vous mettre des bâtons dans les roues ».
            « Nous être rapides et prudents alors » commenta l'homme à la barbe fourchue.

Hors ligne

#6 28-02-2015 18:32:58

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Un cheval de bois

6- Et roule la pierre


    Des rochers, de la poussières et des plantes crevées au soleil.

    C'est à peu près tout ce que les trois voyageurs avaient vu depuis une semaine. Le paysage avait bien changé depuis qu'ils avaient accosté en secret au sud de la baie de Belfalas.

            « Autant chercher une aiguille dans une botte de foin avec les orteils ! » protesta la seule femme du groupe.
            « Rocher ressembler rocher, poussière à poussière, serpent à serpent ! Faire mieux demander aide frère à vous. » commenta une barbe bifide sortant d'un capuchon avec un fort accent suderon.
            « Il préférera crever plutôt que le faire. Et moi aussi ! » répondit avec véhémence la jeune femme. « On ferait peut-être mieux d'abandonner. »
            « Non ! Je avoir fait beaucoup d'effort pour trésor ! Pas abandonner ! »
            « La ferme vous deux ! » tonna le guide.

    Orolhion était passablement de mauvaise humeur de ne pas arriver à retrouver la grotte où son frère l'avait emmené. Pas qu'il avait une grande envie d'y revenir, cela évoquait trop de souvenir douloureux, mais il ne se risquerait pas à laisser ce trésor , quel qu'il soit, à son aîné.

    Ses souvenirs étaient vagues. Les rochers ressemblaient-ils à ceux-là ? Avaient-ils bien pris cette direction ? Avaient-ils marché assez longtemps ? Trop peut-être ? Le doute l'assaillait et dans ces cas là, sa colère avait tendance à suivre de près.

            « J'en ai marre ! Si on doit chercher encore dix ans ce fichu trou vous allez bien supporter qu'on fasse une pause ! Maintenant ! » s'emporta Carild, en se laissant tomber au sol comme une gamine capricieuse.

    Son frère lui coula un long regard noir chargé de reproche, comme pour déverser sur elle son trop plein de nerfs. Dans un soupir le sorcier haradrim se laissa à son tour choir en face de la jeune femme et but une longue goulée à sa gourde. De guerre lasse, Orolhion leva les bras au ciel dans un grognement d'exaspération avant de s'asseoir à son tour pour se désaltérer et reposer les deux ampoules que ses chaussures abritaient en plus de ses pieds.

    La fatigue avait prévalu sur les recherches et finalement les trois chasseurs de trésor décidèrent d'installer leur campement là où ils s'étaient posés quelques heures plus tôt. Cela ne s'était pas fait sans mal. La jeune femme se plaignait souvent qu'ils étaient perdus, l'haradrim qu'ils s'étaient sûrement adressés au mauvais frère, ce à quoi la jeune femme répondait par des insultes dans une langue que seuls elle et le sorcier comprenaient, laissant Orolhion sans savoir si c'était à nouveau lui qui se faisait insulter et moquer. Mais de cela il s'en fichait. Ou du moins il s'efforçait de le faire. S'il se mettait à jouer au petit jeu de ses comparses et à leur répondre il savait qu'il n'arriverait pas à tenir la bride à sa colère. Et pourtant celle-ci enflait continuellement. Pour se détendre un peu, le ferronnier avait ramassé quelques pierres qu'il lançait de toutes ses forces vers les rochers, espérant que chaque caillou emporterait un peu de sa rage.

    Une première pierre fit « POC ! » en se fracassant contre un gros rocher.

    Et dire qu'il y a encore quelques temps il semblait s'être rangé de toute aventure, bien tranquille avec sa femme et sa fille. Il jeta une nouvelle pierre.

    « POC ! »

    Sa femme et sa fille qui l'attendaient loin d'ici. Loin de toute cette histoire aussi. Un nouveau Jet

    « POC ! »

    Les visages et sourires des deux femmes qui comptaient dorénavant le plus pour lui occupaient à présent son esprit.

    « POC ! »

    Sa douce Mildwyn et sa petite Aurmeril qui ressemblait tant à sa mère.

    « POC »

    Il se rappela La douceur de la peau de son épouse, la chaleur de son corps, le goût de ses baisers.

    « poc »

    Le rire enfantin de sa fille résonna dans ses oreilles et finit par lui arracher un sourire. Sans conviction il jeta sa dernière pierre avant de se retourner pour rejoindre ses compagnons.

    « BING »

    L'homme s'arrêta net pour tendre l'oreille.

            « C'est un bruit de métal que j'ai entendu ? » lui chuchota sa sœur qui s'était précipité près de lui dans un silence mortel dès que le son avait résonné.

    Dans un tel décor les ouvrages métalliques ne couraient pas les rues. La seule possibilité qui leur vint à l'esprit fut que la pierre avait heurté une arme ou une pièce d'armure. Tandis que les Martelame tiraient leur acier du fourreau, le sorcier sortit une petite flasque de son sac qu'il lança en direction du bruit. Quand le flacon se brisa, son contenu prit instantanément feu dans une déflagration assourdissante, surprenant au moins autant ses deux comparses que les adversaires qui se tapissaient autour. Cependant en guise d'ennemis, tout ce qu'ils virent fut un fennec, la queue en flamme, qui s'enfuyait en glapissant.

            « Pauvre bête » murmura la jeune femme tandis que son frère agonissait le sorcier d'injures pour ne pas les avoir prévenus et avoir indiqué à dix lieux à la ronde leur position.

    Alors que les deux hommes continuaient de se disputer, Carild s'avança vers le lieu de l'explosion à la recherche de ce qui avait bien pu provoquer ce bruit métallique. Un peu partout autour d'elle brûlaient les herbes que le soleil n'avait pas encore pu dessécher. Parmi toutes ces flammes quelque chose retint tout de même son attention. Au milieu des rochers noircis par l'explosif, une espèce de piquet se tenait là. À ses pieds les broussailles qui devaient le cacher autrefois finissaient de griller. À son sommet, un anneau de métal qui semblait souffrir de la rouille depuis longtemps l'attendait. Voilà dans quoi la pierre avait dû atterrir.

            « Frangin ! J'ai trouvé un anneau comme pour attacher une monture ! » hurla-t-elle pour couvrir les cris des deux mâles.

    Immédiatement, son frère se tut et se désintéressa du sorcier pour jeter un œil à l'attache. Dès qu'il le vit, il se mit à regarder les rochers en tout sens, puis s'adossa contre une pierre qui semblait plus ronde que les autres. Appuyant ses pieds contre un rocher proche, il poussa sur toutes ses jambes pour faire rouler la pierre. Derrière, un trou béant et sombre s'ouvrit à eux, les invitant à venir explorer la tombe ancienne.

* * *

    Il faisait beau aujourd'hui.

    Assise près de la fontaine, Mildwyn savourait la chaleur du soleil sur son visage. La petite s'était enfin endormie dans ses bras. On a beau aimer ses enfants, un peu de répit est toujours appréciable. Alors que l'air s'emplissait des légers ronflements paisibles de son enfant, ses pensées dérivèrent vers son mari. Que faisait-il ? Le voyage s'était-il bien passé ? Avait-il trouvé ce qu'il était venu chercher ? Reviendrait-il bientôt ?

    Ce voyage le ferait-il céder à son côté obscur ?

    La chair de poule lui remonta la colonne vertébrale à cette idée. Il avait déjà passé cette épreuve. Il tiendrait bon, se dit-elle, autant par conviction que pour se rassurer.

    Un léger bruissement dans un buisson suivi d'une rafale de vent. L'air commençait à se rafraîchir.

    Un petit gémissement dans un sommeil troublé. La jeune mère se décida à coucher sa fille dans son propre lit. Tout doucement elle se releva en faisant bien attention de ne pas réveiller la petite puis prit la direction de la maison. Toute son attention était portée sur son enfant pour ne pas la tirer du sommeil.

    En apparence du moins.

    Quelque chose n'allait pas. Elle ne saurait dire quoi mais seuls ses yeux étaient encore concentrés sur sa fille. Ses oreilles cherchaient le moindre son anormal, son nez une odeur suspecte, sa peau le moindre mouvement d'air qui ne fut naturel. Elle savait que son mari avait engagé en secret des gardes pour surveiller les alentours de la propriété le temps de son absence et qu'elle ne devrait donc pas s'en faire, et pourtant elle ne parvenait pas à se défaire de l'idée que quelqu'un rôdait dans les parages.

    Tenant bien fermement la petite Aurmeril d'un bras, elle poussa la porte de la maison de l'autre avant d'entrer. Pour se rassurer elle enclencha le loquet de la porte d'entrée. Sans doute un peu trop fortement car le bruit tira un petit gémissement à l'enfant. Tout en la berçant, sa mère la conduisit jusqu'à l'étage, dans la chambre parentale. Elle remonta la couverture sur la petite dormeuse perdue dans ce vaste lit avant de lui déposer un doux baiser comme seules les mères savent le faire sur le front. Sans un bruit elle quitta la pièce et referma la porte délicatement. Contrairement à son habitude elle verrouilla la serrure puis glissa la clef dans son corsage. Si quelqu'un voulait s'en prendre à la petite, il faudrait d'abord lui passer sur le corps.

    Après avoir bien fait attention de ne faire aucun bruit en descendant l'escalier, elle changea d'allure et d'expression une fois au rez de chaussée. D'un pas décidé elle rejoignit l'entrée et posa une main sur le loquet. L'autre se saisit de l'épée qui restait rangée derrière la porte. En ces temps troublés on n'était jamais trop prudent. Elle fit sauter le loquet et sortit brusquement de la demeure, la pointe de l'épée en avant. Dehors une rafale de vent semblait l'avoir attendue pour la frapper, balayant ses cheveux en arrière. À l'aveuglette elle referma la porte à clef d'une main dans le dos tout en balayant le jardin du regard.

    Rien.

    Le silence complet. Même le vent semblait retenir son souffle cette fois. La jeune femme sentit le doute monter en elle. Y avait-il vraiment quelque chose ou la fatigue et l'absence de son mari étaient-ils en train de la rendre folle ?

            « Montrez-vous ! Je sais que vous êtes là ! » finit-elle par crier sans grande conviction.

    À nouveau tout son corps était à la recherche du moindre signal. Tout ce qu'elle put capter fut les plaintes de sa fille qu'elle venait de réveiller. Mildwyn fut prise d'une forte angoisse. Rien ne semblait indiquer une quelconque présence et pourtant quelque chose n'allait pas. Elle sentit des larmes lui monter aux yeux.

            « Bon bon d'accord ! Je me montre mais range moi cette arme. C'est que ça coupe ces choses-là. » fit une voix sortant d'un buisson. Une voix qu'elle connaissait
            « Et puis après il va m'accuser de faire pleurer sa femme et va m'en vouloir » renchérit la voix.

    La jeune femme vit alors un vieux bonhomme à la longue barbe et aux vêtements criards sortir du fourré. Un vieillard qu'elle avait vu la dernière fois en train de s'enfuir sous la menace de l'épée de son mari. Un vieil escroc qui travaillait pour son ignoble beau-frère.

    Cuthnard.

            « Si tu fais un pas de plus, je te tue ! » tenta-t-elle de dire de sa voix la plus froide pourtant entrecoupée de larmes mêlées d'angoisse et de soulagement.
            « Ho là ! Du calme ma petite dame ! Je ne te veux aucun mal. » Répondit-il. « Et puis nous savons tous deux que tu n'as pas l'âme assassine »

    Malgré sa tentative de bravade, le vieux grigou n'avait pas fait un pas de plus depuis qu'elle lui en avait intimé l'ordre.

            « Ne sous-estime pas une mère » rétorqua-t-elle.

    Cette fois sa voix était pareille à la glace du Forochel.

            « Tu peux repartir et dire à ton maître qu'il cesse de nous importuner »
            « Ça va poser problème ça. C'est que j'ai promis à ton mari de plus lui envoyer de message alors je pourrais pas lui dire. »

    Le vieillard tenta de faire un pas, mais la jeune femme se mit immédiatement en garde, prête à charger.

            « Et puis ce n'est plus mon maître. J'en ai assez des disputes entre ces deux frères. Allons, tu es sûre que tu ne veux pas me laisser avancer un peu ? Il fait froid ici et je ne dirais pas non à une tasse de thé ou une soupe chaude »
            « Qu'est ce que tu fais ici alors si ce n'est pas encore pour nous espionner ? » tonna-t-elle.
            « Et bien... Je m'inquiétais pour la petite. Ton mari est au loin et tu vois bien qu'il est aisé de contourner les gardes qu'il a engagés. Oui je sais que tu es au courant. »

    Les deux protagonistes se regardèrent un long moment sans rien dire, comme pour se jauger. L'ancien se demandait s'il ne ferait pas tout de même mieux de fuir à nouveau tandis que la jeune femme se posait la question si elle devait le croire ou non. Ce fut au final la petite Aurmeril qui trancha.

            « OUIIIIIIIIIIIIINNNNNNNN ! »

    Les pleurs passèrent les fenêtres sans encombre pour finir par résonner dans le jardin.

            « Il faut que je m'en occupe. » dit la jeune femme en baissant sa lame. « Tu peux rentrer te mettre au chaud et prépare nous du thé. Je vais en avoir besoin aussi. Mais je te garde à l’œil. »

    Le vieux bonhomme emboîta le pas à Mildwyn et pénétra dans la maison.

* * *

    Tourner en rond dans ces vieilles grottes qui sentaient le moisi agaçait prodigieusement la jeune voleuse. L'hésitation de son frère à chaque croisement pour essayer de se souvenir du chemin qu'il avait emprunté l'énervait encore plus. Sans parler du fait que le sorcier haradrim passait son temps à dire qu'on aurait mieux fait de tourner à tel endroit plutôt qu'un autre. Orolhion avait beau leur rappeler que son frère avait mis une semaine à comprendre le labyrinthe et qu'eux n'y étaient que depuis une journée, cela ne changeait rien au fait que Carild en avait déjà marre.

    Plus par dépit que par réelle fatigue, ils se décidèrent à monter là un campement et de reprendre le lendemain matin. Enfin le matin était déjà devenu une notion assez vague car on perdait vite toute notion du temps ici. Autour du feu, Orolhion et l'haradrim continuèrent à se disputer pour savoir quel chemin ils devaient prendre.

            « À t'entendre on dirait que tu es déjà venu ici » demanda la jeune femme au suderon.
            « Je jamais venir ici. Je sentir appel trésor. » répondit l'intéressé avec toute l'assurance du monde.
            « OH ASSEZ ! Puisque tu penses pouvoir mieux y arriver, tu guideras demain. Et si au soir nous sommes toujours coincés dans ce labyrinthe tu te tairas peut-être ! » s'emporta le ferronnier.

    Avant la mi-journée ils débouchèrent dans une vaste cavité ronde au plafond couvert de stalactites. Au centre un tumulus les attendait. Le sorcier s'avança gaiement vers le vieux cairn tandis que les deux Martelame étaient figés par le malaise qu'ils ressentaient à cette vue. Pour détendre un peu l'atmosphère, Carild se décida à taquiner son aîné.

            « Pour quelqu'un qui n'est jamais venu là, il se souvient mieux du chemin que toi » dit-elle en donnant de léger coups de coude à son frère.
            « Je ne sais pas s'il nous a menti ou s'il sent réellement le trésor l'appeler mais je n'aime pas ça... » répondit-il.
            « Oh ! Espèce de rabat-joie ! » lui lança-t-elle avant de se lancer à la poursuite de leur guide.

    L'haradrim ne se trompa qu'une ou deux fois lors de l'exploration du tumulus, leur faisant rebrousser chemin jusqu'à l'embranchement précédent. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, la joie et l'excitation semblaient le transformer, changeant un homme d'âge mûr en gamin s’apprêtant à ouvrir ses cadeaux de Yule. Parfois il humait l'air à une intersection avant de se décider. Sentait-il réellement le trésor ? Carild se risqua à l'imiter mais l'odeur de pourrissement lui arracha un hoquet de nausée. À voir la tête de son frère, elle comprit qu'il venait de subir la même déconvenue.

    Il leur fallut peu de temps pour tomber sur la vaste salle ronde dont se souvenait Orolhion. Celui-ci fit le tour de la pièce jusqu'à tomber sur un des braseros qu'il cherchait. Vide à part quelques cendres. Personne n'était venu les préparer depuis un moment. Sans doute depuis que son aîné lui ait fait découvrir.

            « Il faudra nous contenter des torches ! » annonça-t-il au reste du groupe. « Carild. Il faut que je te montre quelque chose. »

    La jeune femme haussa un sourcil puis se rapprocha de son frère.

            « Qu'y a-t-il ? »

    En guise de réponse il tendit son flambeau vers un coin de la pièce où se trouvait la seule tombe sans stèle, simple monticule de pierre. La jeune voleuse s'en approcha et remarqua la plaque de métal. Le nom qu'elle y vit inscrit lui arracha un petit cri et elle se surprit à sentir deux larmes qui coulaient le long de ses joues. Son père était mort loin d'ici. Que faisait là sa tombe ? Personne ne lui en a jamais rien dit. Une main se posa sur son épaule. Orolhion.

            « Il a ramené son corps ici pensant que c'est ce qu'il aurait voulu » dit-il pour répondre à la question muette de sa sœur. « Notre père est mort fou mais lui l'est tout autant. »
            « Tu ne crois pas à son histoire ?
            « Rien ne nous relie réellement à cette famille. Et je n'ai pas besoin de m'inventer un héritage pour choisir dans quel monde je veux vivre.

    Un rire strident les surpris tous deux et du même mouvement ils tirèrent leur acier, les sens en alerte. Ce n'est que lorsqu'ils comprirent que ce n'était que le fait du sorcier qu'ils relâchèrent la tension.

            « Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu as trouvé quelque chose ? » demanda la jeune femme.

    Le sorcier était penché sur la tombe centrale, la plus ornementée. Il ricanait doucement en détaillant certaines décorations et en particulier celles qui semblaient devoir maintenir une grande arme absente.

            « Je trouver mécanisme ! Si bloquer ici, ici, ici, mécanisme fonctionner. Oh ! Bloquer ici auss.... » Son visage s'assombrit soudainement. « Besoin clef ici... arme sûrement » fit-il d'un air dépité en montrant le support vide.
            « Clef ici » fit Orolhion en imitant l'accent de l'haradrim.

    L'homme barbu et la jeune femme le dévisagèrent, surpris. Avec un sourire narquois, il déposa sa grande épée sur les décorations. Celle-ci s'imbriqua parfaitement. Le ferronnier sourit de plus belle. Il venait de moucher le sorcier et ça lui faisait un bien fou. Carild s'exclama soudain.

            « C'est l'épée que tu as prise à Orophant ! »
            « Qu'il a lui-même prise ici. » répondit son frère.

    Le sorcier s'empressa alors d'appuyer sur le mécanisme. Un bruit de roulements anciens et grinçants se mit à résonner dans toute la pièce. Quelque chose se préparait. Carild resserra sa poigne autour de ses dagues, le sorcier avait prit en main une de ses flaques à jeter et Orolhion, regrettant d'avoir son épée coincée dans le mécanisme ne put que se préparer à se battre avec ses poings.

    Le grondement cessa soudain dans un claquement venant d'une tombe que rien en distinguait d'une autre. En l'observant de plus près, les trois chasseurs de trésors virent que la plaque de la tombe s'était légèrement relevée. Étant le seul avec les mains libres, le ferronnier entreprit de s'en approcher et de voir si la dalle cachait quelque chose. Celle-ci était lourde mais le travail de forge lui avait donné la force nécessaire pour l'ouvrir complètement.

    Camouflé derrière la plaque, nul corps n'attendait. Pas plus qu'un linceul, un cercueil ou une urne. À la place, un gros coffre de pierre se trouvait là. Aucune serrure n'était cependant visible. Juste deux petits trous sur le dessus. Le sorcier étudia le coffre puis demanda la flûte à Carild. D'une légère manipulation il en fit sortir les deux tiges cachées. Celles-ci s'insérèrent sans difficultés dans les trous. Avant de tourner la clef il fit signe aux Martelame d'aller se cacher derrière des tombes. On ne savait jamais. Lui-même s'était perché sur le dessus du coffre.

    Un quart de tour, pas plus. Du pourtour du coffre une multitude d'aiguilles fut projetée dans toute la pièce. Certaines avec une telle violence que des éclats furent arrachés aux pierres tombales.

            « Pièges ! Pièges ! Pièges ! » ronchonna l'haradrim.

    Quand le suderon se releva, le couvercle sauta pour révéler un nouveau coffre plus petit mais tout autant hermétique. Malgré leurs efforts, celui-ci pesait encore trop lourd pour être soulevé et ils durent l'examiner à quatre pattes au dessus de la tombe. Toujours aucune serrure. Carild passa sa main le long des flancs du coffre et effleura deux trous assez semblables au précédent coffre. Le sorcier sortit alors sa clef-médaillon et, comme pour la flûte, en fit sortir les deux excroissances. D'une main mal assurée, l'homme à la barbe bifide emboîta sa clef et tourna en espérant qu'il verrait le piège à temps.

    Clic

    Le coffre s'ouvrit sans difficulté. Soit le piège ne s'était pas déclenché, soit il n'y en avait plus. Derrière le couvercle se cachait un troisième coffre bien plus petit. D'un style assez différent, celui-ci était tout en métal et on distinguait très nettement trois fentes sur la façade. Comme il était plus petit, les chasseurs de trésors purent le hisser hors de son contenant de pierre pour le poser à hauteur d'homme, sur la tombe ornementée.

    Tous trois se tenaient face au coffret, se demandant ce qu'il allait bien pouvoir contenir. Le sorcier sortit de sa besace l'étrange lame dont il déclencha le mécanisme pour la transformer en une espèce de trident aux pointes difformes.

            « Trésor famille vous. Vous ouvrir. » dit-il en tendant l'étrange clef aux Martelame.

    Carild la prit puis jeta un regard vers son frère. Celui-ci lui rendait le même regard. Avec un soupir elle approcha les lames des fentes quand les cris mêlés de la sœur et du frère retentirent. Tous deux venaient de sentir une violente douleur à la base de la nuque et sentaient leur force les fuir à grande vitesse. Rapidement ils s'écroulèrent, pris de spasmes, leurs yeux roulants en tous sens sans comprendre ce qui leur était arrivé. L'haradrim se baissa pour ramasser la clef. C'est alors que des applaudissements résonnèrent à travers la pièce.

            « Magnifique ! »

    Les yeux des Martelame s'agrandirent subitement. Cette voix, ils ne la connaissaient que trop bien.

    Orophant.

* * *

    Mildwyn faisait semblant de boire son thé, mais elle s'apprêtait plutôt à bondir au moindre signe de danger pour sa fille. De l'autre côté de la table, Cuthnard et Aurmeril semblaient s'entendre comme larrons en foire. Chaque grimace qu'il faisait déclenchait une tornade de rires chez la petite et celle-ci adorait lui tirer sur la barbe, ce qui faisait rire le vieux à son tour.

            « Aie le moindre geste déplacé avec ma fille et tu vas voir comment moi je vais te tirer sur la barbe. » se dit-elle.

    Bien que la situation semblait sous contrôle, la jeune femme ressentait toujours cette angoisse latente comme si quelque chose de grave se préparait, un peu comme si on vous menaçait sans cesse d'une pointe à la base de la nuque.

            « Je suppose qu'en plus de ma tasse de thé, tu vas finir par me demander à manger et un lit pour la nuit » demanda-t-elle d'une voix aussi peu amène qu'il lui était possible.
            « Ce serait avec plaisir. »répondit-il « Malheureusement ce ne sera pas la peine. Il va falloir qu'on parle. Je n'ai pas dit toute la vérité sur ma présence ici. »

    La jeune femme se sentit tout de suite agressée. Elle eut envie de lui jeter son thé encore brûlant au visage, mais le vieux grigou avait gardé sa fille sur ses genoux.

            « Tu sais, ton mari m'a interdit d'envoyer des messages à son frère. Mais pas d'en recevoir. »

    Le vieux bonhomme lissa sa longue barbe de la main droite tandis qu'il observait la réaction de la jeune femme d'un œil rusé.

            « Il s'intéresse beaucoup à la petite. Après tout c'est la première née de cette génération. Je crois bien qu'il voudrait prendre son avenir en main. »

    La jeune mère bouillonnait sur place. Elle avait envie de hurler, de se jeter sur lui et de le battre comme plâtre. Mais il gardait sa fille en otage. D'une voix qui lui parut étrangement calme elle lui dit :

            « Tu ne partiras pas avec elle. »
            « Oh, mais j'en ai bien l'intention. »
            « Les gardes t'empêcheront de partir »
            « J'ai bien réussi à venir jusqu'ici sans me faire repérer. Ils ne savent pas que je suis ici. »

    Le vieillard sourit.

            « Et puis, soit dit entre nous, ton mari n'est pas le seul à pouvoir payer des gardes. Surtout ses propres gardes. Ceux-là pourraient bien avoir reçu l'ordre de s'occuper de la mère.... »

    Mildwyn ne put s'empêcher d'avoir un hoquet d'horreur.

            « Maintenant vas-tu te montrer calme et m'accompagner bien sagement ? Je m'arrangerai pour que les gardes ne te fassent aucun mal. »

    Que pouvait-elle faire ? Elle semblait cernée de partout et sa fille était en otage. Résignée, elle opina du chef.

            « Bien ! » Cuthnard semblait ravi « Au fait, j'ai vu que le frère et la sœur trafiquaient quelque chose avant de partir. Ils n'avaient pas l'air de faire confiance à l'haradrim. Je suis sûr qu'ils te l'ont confiée. Il nous la faut aussi. »

    Abattue, le jeune femme désigna un coffret d'un signe de tête.

    Le vieil escroc reposa alors la petite au sol et lui chuchota quelques mots à l'oreille.

            « Je suis sûr que ta maman a envie d'un gros câlin de sa fille chérie. Allez ! Vite vite ! »

    Moitié marchant, moitié trébuchant, la petite se dirigea vers les bras de sa mère en souriant. Sa fille dans les bras, la jeune maman ne put retenir ses larmes. Elle articula un merci silencieux pour lui avoir rendu son enfant.

* * *

    Orophant se promenait à travers les tombes en se moquant de ses frère et sœur. Il connaissait depuis longtemps l'existence de ce trésor. Il savait exactement où il était. Tout ce qu'il lui manquait c'était les clefs. C'est d'ailleurs en cherchant l'une d'elles qu'il rencontra l'haradrim alors qu'il agonisait à cause du piège de la sienne. En échange de sa vie, il avait accepté de l'aider à trouver les clefs manquantes. C'est là qu'il put manipuler à loisir sa fratrie par l'intermédiaire du sorcier.

            « Vous êtes tellement prévisibles » leur rit-il au nez.

    Bien que terriblement affaibli, son frère tentait tant bien que mal de se redresser en grognant. Un bon coup de pied dans le ventre régla rapidement ce petit désagrément, laissant Orolhion plié en deux.

            « Et si nous ouvrions ce coffre ? » dit-il d'un air guilleret comme si c'était la journée la plus joyeuse du monde.

    L'haradrim lui tendit la clef.

            « Il n'y a plus de piège actif ? » demanda-t-il au sorcier.
            « Plus aucun, je avoir vérifier. »

    Délicatement, l'aîné des Martelame glissa les lames du trident dans leurs emplacements, jusqu'à arriver en butée.

    Rien ne se passa.

    Il tenta de manipuler la clef à gauche à droite mais rien ne se passa plus. À force d'essayer de forcer la serrure, les trois lames cassèrent nets, laissant Orophant et le sorcier avec un air ahuri devant un manche de couteau complètement inutile. Dans un élan de colère, le guerrier récupéra la grande épée au milieu des ornementations et en frappa violemment le coffre avec pour seul effet de faire résonner toute la pièce du bruit de l'acier contre l'acier. Malgré la douleur qui les affligeait, la scène parut suffisamment cocasse à Carild et son frère pour les faire éclater de rire.

    La réaction ne se fit pas attendre. Une gifle mit un terme à l'hilarité de la jeune femme, tandis qu'une série de coups de pied bien placés réduisirent Orolhion au silence.

            « QU'EST CE QUI VOUS FAIT RIRE ? » tonna l'aîné.

    Le ferronnier était plié en deux de douleur mais fixait son frère avec un regard brûlant de haine. La jeune voleuse était un peu plus posée mais une forte colère l'habitait tout de même.

            « Tu crois vraiment qu'on faisait confiance au sorcier ? Pathétique. » Dit-elle. « Orolhion et moi avons bricolé une clef pour ressembler à l'originale avant de cacher la vraie. Tu ne la trouveras jamais »

    Orophant poussa un cri de rage. Il gifla sa sœur si fort qu'elle perdit connaissance. Puis il se tourna vers son frère.

            « Où est la clef ? »

    Pour toute réponse, Orolhion cracha vers son frère.

    Un nouveau coup de pied.

            « Où est la clef ? »
            « Nulle part »

    Une petite série de coups de pied à nouveau.

    À force de taper sur son frère, Orophant avait retrouvé une partie de son calme et décida de changer de stratégie.

            « Tu sais, il paraît que tu as eu une très jolie petite fille avec ta paysanne. »

    La colère donna de nouvelles forces à Orolhion qui tenta de jeter son poing vers son frère. Celui-ci recula en riant.

            « Oh ! On dirait que j'ai trouvé le point sensible ! Tu sais, elle va être l'aînée de sa génération. Elle va avoir besoin d'un père pour lui apprendre l'histoire de notre famille. »

    En grognant, le ferronnier tenta de se redresser à nouveau, mais le poison faisait encore beaucoup d'effet. Tournant autour de lui, Orophant l'aiguillonna de nouveaux coups dans les côtes, dans le dos, dans les épaules.

            « Je vais devoir jouer le rôle de ce père je pense. Parce que toi si tu ne me dis pas où est la clef, tu seras bientôt mort. »

    Encore se relever.

    Encore des coups de pied.

            « Si tu y tiens tant, je pourrais même m'occuper personnellement de ta petite paysanne. Pour qu'elle comprenne vraiment ce qu'est un Martelame tu vois. »

    Orolhion hurla comme un possédé en tentant de se redresser encore une fois. Cette fois ce serait la bonne. Cette fois son frère allait payer pour de bon.

    Un pied faucha à nouveau cet espoir.

            « Vas-tu enfin me dire où est la clef ? »

    Le ferronnier était vaincu cette fois. Perclus de douleurs et de rage, des larmes coulaient sur ses joues.

            « Dans un coffre chez moi. Ta foutue clef est dans un coffre chez moi. Prends-la mais laisse ma femme et ma fille en paix et loin de toute cette folie. »
            « Ah ! Enfin tu deviens raisonnable. Comme tu me l'as si gentiment demandé, je vais prendre la clef. »

    Il marqua une pause pour se rapprocher de son frère.

            « Au fait... tu aurais dû payer plus cher tes gardes. Ça a été facile de les retourner pour un peu d'or. Je suis sûr que bientôt ils vont me ramener la petite... Aurmeril c'est ça ? Enfin je ne suis pas trop pressé et puis il faut bien qu'ils prennent leur temps pour s'amuser avec ta catin. »

    Son esprit chavira, toute couleur disparut à sa vue à part celle du sang. Ses veines véhiculaient un feu liquide nourri de sa rage. Toute douleur glissa à la surface de son esprit. Rien ne l'empêcherait plus de se relever. Dans un cri de bête blessée, il se contorsionna pour se redresser.

    La pointe d'une botte vint percuter sa mâchoire, projetant une dent et du sang. Orolhion s'écroula, inconscient. Avec un sourire narquois son frère ne put qu'ironiser devant les derniers sursauts de son frère :

            « Pitoyable »

    Il fit signe à l'haradrim de prendre le coffret et de le suivre.

            « Nous pas tuer ils ? » interrogea-t-il son maître.
            « Ça ne se fait pas de tuer les siens sur la tombe de ses aïeux. De toute façon, ils ne ressortiront jamais d'ici. »

    Dans le désert, un fennec léchait les brûlures qu'il avait reçues il y a peu. Un bruit de raclement le fit sursauter et s'enfuir. Deux hommes poussaient un rocher pour cacher l'entrée d'une grotte. À leurs pieds, un coffre en métal les attendait.

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#7 15-05-2015 16:52:48

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Un cheval de bois

[hrp] pour satisfaire la curiosité de Frewger qui trépigne tongue , voici le début de la suite pour vous faire patienter[/hrp]



Une lueur d(e) (dés)espoir   

    Mal au crâne.

    Mal au crâne et en plus il fait noir et ça pue.

    La jeune femme avait du mal à émerger. Elle se sentait vaseuse et affligée d'une bonne vieille gueule de bois. D'ailleurs qu'est ce qu'elle avait bien pu faire de sa soirée pour se retrouver dans un tel état ? Dans un moment de doute, elle tâtonna légèrement autour d'elle pour s'assurer qu'elle ne se trouvait pas au lit avec un inconnu.

    Personne. La jeune femme émit un soupir de soulagement.

    Pas de lit non plus d'ailleurs. Juste de la terre froide.

    La brume qui obscurcissait l'esprit de Carild se leva enfin et les souvenirs l'assaillirent. La découverte du coffret, la traîtrise du sorcier, la gifle de son frère, l'impact de la terre froide. Instinctivement elle porta la main à sa joue qui se révéla encore douloureuse. Le coup lui laissait une sensation cuisante. Comme toujours il n'y était pas allé de main morte. La voleuse se jura qu'elle le lui ferait payer. Mais avant tout il lui fallait déjà savoir où elle était et comment se mettre en sûreté.

    Comme elle avait déjà eu à faire par le passé, elle se força à atteindre un calme parfait, laissant glisser toutes ses questions et ses angoisses à la surface de la bulle où elle maintenait son esprit. Ses sens lui donnèrent alors toutes les informations nécessaires. Ses doigts caressèrent une terre froide comme la mort. L'air ambiant sentait le renfermé et le moisi. Le silence était… mortel. Aucun doute ne subsistait, elle avait été abandonnée dans la tombe.

    Elle sursauta.

    Un souffle.

    Carild tendit un peu plus l'oreille. À nouveau un souffle se fit entendre. Un souffle ténu et légèrement sifflant. D'instinct elle tira une dague et se surprit à remercier mentalement son frère de ne pas l'avoir dépouillée de ses armes en l'abandonnant. Dans un silence mortel qui seyait bien à ce lieu, elle rampa vers le souffle, la lame prête à frapper vers ce souffle intrus qui ne pouvait être qu'un geôlier. Tout en avançant la jeune femme réfléchit aux actions qu'elle allait mener. Devait-elle  le capturer et le faire parler ? Le tuer rapidement et en silence ? Non pas cette fois. La trahison du sorcier, bien que prévisible, l'avait franchement énervée. Être abandonnée dans cette crypte était juste la goutte d'eau de trop et il fallait que quelqu'un paye. Celui-là allait souffrir avant de mourir. D'une main elle lui bloquerait la gorge pour l'empêcher de crier, de l'autre elle lui larderait le ventre de coup de couteau. Ça faisait toujours plus mal le ventre. Et puis non, pas besoin de l'empêcher de crier. S'il hurlait comme un goret, quelqu'un viendrait peut-être avec une torche pour voir ce qu'il se passe et elle en avait franchement assez d'être dans l'obscurité totale.

    Fière de son plan, Carild se complimentait de son propre génie tout en s'approchant de sa proie. Pourtant quelque chose n'allait pas. Elle percevait de plus en plus nettement ce souffle qui la dérangeait tant. Ce souffle qui se trouvait étrangement proche du sol. Se pourrait-il que ce geôlier se soit endormi ? De toute façon cela ne changerait pas beaucoup son plan. Quand elle se sut à portée, elle donna une paire de claque à sa future victime. Par réflexe on avait toujours tendance à protéger l'endroit attaqué en baissant la garde sur le reste du corps. La jeune femme se prépara à déchaîner sa colère sur le ventre ainsi dégagé de son geôlier quand un étrange sentiment l'assaillit. Quelque chose n'allait pas. L'homme n'avait même pas poussé un cri de surprise. Trop tard pour réfléchir de toute façon, elle avait déjà lancé son attaque. La lame perça un tissu épais puis s'arrêta net, retenue par une protection de maille. Sous l'impact les poumons de la victime se vidèrent brusquement mais celle-ci ne réagit guère plus. La jeune femme retourna à l'assaut sans plus de succès qu'un léger râle. « Mais pourquoi ne réagit-il pas ? » se dit-elle alors qu'elle tentait pour la troisième fois de tuer le même homme.

    Elle frappa ainsi plusieurs fois dans le noir, heurtant sans jamais la dépasser la cotte de maille qui finirait bien par céder. Toutefois ses efforts ne semblaient pas avoir été vains car la légère et diffuse aura rouge d'un flambeau commença à apparaître depuis un couloir. Petit à petit les contours de la pièce apparurent, révélant les tombes de la crypte, lui confirmant qu'elle avait bien été abandonnée sur place. Elle allait enfin avoir une chance de s'échapper. À terre face à elle, elle distingua enfin la silhouette de son « geôlier ». Le devant de sa tunique était déchiré par les nombreux coups qu'elle avait portés, révélant la maille d'excellente facture qui lui avait tant résisté. La lueur remonta progressivement vers le visage de l'homme.

    Oubliant toute idée de fuite discrète, Carild poussa un cri d'horreur quand elle reconnut son frère Orolhion.

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#8 15-05-2015 20:41:36

Frewger
Même les Morts n'en veulent pas

Re : Un cheval de bois

(HRP)
Ah ben c'est malin de publier et de s'arrêter pile poil à ce moment là ! J'aurais du fermer ma bouche...

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#9 17-05-2015 14:20:28

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Un cheval de bois

[hrp] Et voilà déjà la suite^^ [/hrp]

Histoires d'amours

    Cela devait faire un bon mois qu'ils chevauchaient vers le sud. Enfin c'est ce qu'elle estimait mais elle avait perdu le compte des jours. Tout ce qui comptait pour elle en ce moment c'était que sa fille aille bien malgré ce voyage forcé. D'ailleurs pour aller où ? Il ne le lui avait toujours pas dit mais de toute façon elle n'était pas si pressée que ça d'y arriver vu ce qui l'attendait au bout du chemin.

    Le vieillard tira sur les rênes de son cheval qui semblait aussi délabré que lui.

          « On va faire une pause ici » dit-il tout en descendant de selle.

    L'endroit était derrière une butte, elle-même coincée entre la route et la bordure de la forêt. Du haut de la butte on pouvait aisément voir ceux qui empruntaient la voie bien avant que ceux-ci ne vous repèrent, surtout si vous cachiez votre camp dans son ombre.

          « Je vais chercher un peu de bois pour le feu » dit l'ancien. « Sois sage et prépare le camp pendant ce temps. » dit-il à la jeune mère. Il hésita un moment puis se décida d'ajouter avant de filer dans les bois « Et n'essaye pas encore de t'enfuir. Tu sais que je te rattraperai et je n'aimerais pas avoir à te priver de ta fille encore une fois. »

    Mildwyn en frémit rien qu'à l'idée. Lors de leur voyage elle avait rapidement eu l'idée de s'enfuir en pleine nuit pendant que le vieux Cuthnard dormait, mais aussi décrépi qu'il pouvait paraître, il était toujours vif et alerte. À sa première évasion, il l'avait rattrapée en moins de cinq minutes et s'était contenté d'un sermon. La deuxième tentative l'avait fait cavaler toute une demi-journée. Cette fois il avait décidé d'interdire tout contact entre la mère et la fille, gardant l'enfant sur sa monture. Mais une journée de pleurs incessants de ses deux prisonnières lui fit rapidement rendre Aurmeril aux bras de sa mère.

    Quand le vieux filou revint, il constata que les chevaux avaient été dessellés, que les couvertures étaient disposées autour d'un cercle de pierre qui n'attendait que le bois pour la flambée et que la jeune femme s'occupait de la petite. Bien qu'elle n'ait pas beaucoup voyagé, force était de reconnaître qu'elle avait acquis une sacrée efficacité dans la préparation de camps. « Une parfaite petite épouse pour un Martelame » ne put s'empêcher de penser Cuthnard en voyant qu'elle s'adaptait parfaitement à la vie sur les routes.

* * *

    Etheocred se demandait encore pourquoi il avait entrepris ce voyage. Après tout il était un marchand aisé et qui possédait un peu de terres par dessus le marché. La vie lui était confortable et les femmes semblaient le considérer comme un bon parti, même s'il n'avait jamais voulu s'engager avec qui que ce soit. Bon certes il avait cette petite lubie qui faisait que l'on parlait de lui comme d'un homme un peu farfelu mais il s'en moquait bien. Il aimait collectionner un peu tout ce qui se rapportait aux chevaux, ancien de préférence, et puis voilà. Après tout quelle meilleure passion pour un rohirrim si ce n'est de collectionner les chevaux eux-même. Mais ça ce n'était pas pour lui. Il se contentait très bien de Rouflaquette, une jument petite mais robuste. Quant au pourquoi d'un tel nom, ce n'était pas à cause d'un quelconque signe distinctif, non. Il trouvait que ça sonnait bien et l'animal semblait l'avoir accepté.

    Le rohir en avait marre du soleil écrasant et de la poussière qui s'infiltrait partout. Une nouvelle fois il se maudit de s'être lancé à sa recherche. Il se dit que s'il la retrouvait, elle le prendrait pour un idiot et se moquerait bien de lui. Oui s'était décidé il allait faire demi-tour, oublier cette chimère et rentrer chez lui. Et pourtant ses pas continuèrent à le porter encore en avant, à la recherche d'une trace, d'une indication de son passage dans ce maudit pays loin des verdoyantes plaines du Rohan.

    Ses yeux à la recherche d'empreintes, Etheocred laissa son esprit vagabonder et comme d'habitude depuis ce fameux soir, ses pensées se portèrent vers elle. Elle avait ce petit quelque chose d'exotique qui la distinguait des autres femmes qu'il connaissait. Un teint hâlé et des cheveux bruns, bien loin des standards rohirrim et des yeux bleus qui savent vous transpercer et faire frémir le cœur. Il l'avait rencontrée alors qu'il était parti boire un verre à la taverne. Sa beauté étrangère et son petit accent ne l'avaient déjà pas laissé indifférent. Elle s'était de plus montrée intelligente et s'était intéressée à sa collection. Et lui trop benêt ou trop heureux de trouver quelqu'un qui ne le prenait pas pour un hurluberlu quand il l'évoquait, ne s'était pas gêné pour en parler en long en large et en travers. En fait il n'avait fait que renseigner cette petite voleuse. Et puis après... elle s'était montrée beaucoup plus entreprenante. Il ne se rendit même pas compte du sourire béat qui s'inscrivit sur son visage alors qu'il se remémorait sa nuit. Rougissant soudainement il recentra ses pensées sur sa recherche.

    Tout à coup une explosion se fit entendre au loin ce qui stoppa net le cavalier et sa monture. Qu'est ce qui avait bien pu faire ce bruit ? Et si c'était un signe de la jeune femme ? Et si elle était en danger ? Et si…

    Il resta une bonne minute à faire défiler les questions dans son esprit, tiraillé entre la raison qui lui disait qu'il y avait quelque chose de dangereux là-bas et l'idée que la fille ne pouvait qu'y être et avait besoin d'aide et qu'elle lui tomberait donc forcément dans les bras s'il venait en sauveur. Il en conclut qu'il valait mieux rebrousser chemin cette fois et finit donc par se diriger vers l'explosion.

* * *

    La nuit commençait à tomber sur le campement.

    La petite allongée en travers de ses genoux, Mildwyn caressait délicatement les cheveux de l'enfant en attendant qu'elle s'endorme. Mais Aurmeril en avait décidé autrement pour le moment. De son petit index elle pointa le vieux bonhomme qui lui répondit d'un sourire derrière sa longue barbe. Depuis leur départ, il avait gratifié la petite d'une histoire différente presque tous les soirs, si bien que la petite fille refusait de s'endormir avant qu'il ne l'eut racontée.

          « Je crois que mon public m'appelle » ricana Cuthnard tandis qu'il se rapprochait de ses prisonnières.

    La jeune mère ne répondit pas. Bien qu'elle en veuille à l'ancien, elle devait bien admettre qu'il avait un répertoire important d'histoires intéressantes et qu'elle attendait presque aussi impatiemment que sa fille le conte du soir. Mais ça, elle ferait tout pour ne pas le lui montrer.

          « Alors qu'est ce que je vais bien pouvoir vous raconter ce soir ? » s'interrogea à haute voix le vieux barde. « Une histoire épique avec un grand guerrier contre de vilains trolls ? Non. Une légende d'une sorcière elfe qui charme tous les hommes qui viennent sur son territoire ? Non plus. Une histoire grivoise peut-être ? »ajouta-t-il avec un clin d’œil à Mildwyn.

    Celle-ci lui jeta un regard noir tout en bouchant les oreilles de sa fille.

          « Bon bon très bien. Non, je sais ce que je vais vous conter ce soir. Une histoire d'amour. »
          « Cela ira mieux oui. » répondit la jeune femme.
          « En plus je suis sûr que celle-ci t'intéressera grandement. »ajouta-t-il avec un sourire narquois. « Bien ! Commençons ! »

    Le vieux filou remonta ses manches et prit une position confortable.

          « Il était une fois, dans la magnifique cité de Dol Amroth, un seigneur d'une famille noble. Oh, ce n'était pas une grande famille noble non. Plutôt de la petite noblesse mais celle-ci était respectée. De nombreux fils de cette famille étaient devenus des chevaliers aux bras forts et à l'esprit droit et affûté. Les femmes de cette famille étaient souvent réputées pour leur beauté mais aussi pour leur érudition. »

    Il jeta un œil à son auditoire avant de reprendre.

          « Or donc, ce seigneur avait eu trois enfants. Un fils qui devint un homme fort et commandant son propre bateau, une fille aînée à qui il trouva un époux fort et honorable qui lui donna de beaux enfants, et une fille cadette, toujours tout sourire, la main sur le cœur mais souvent l'esprit perdu dans ses livres. Malheureusement, le fils disparut en mer lors d'une escarmouche contre des corsaires. L'aînée vivant chez son mari, il ne restait plus au seigneur que sa fille cadette. »

    Cuthnard marqua une pause pour ouvrir une gourde de vin et s'envoyer une rasade.

          « La toute jeune femme était tout pour cet homme et il n'était pas pressé de lui trouver un mari car cela signifierait qu'elle le laisserait seul. Et il faut bien avouer que cela ne dérangeait nullement la cadette. Sans époux elle était libre de passer sa journée à la bibliothèque ou à l'ombre d'un arbre avec un livre. Elle passait tant de temps à lire que ses cousines et amies la taquinaient. »

    Le vieillard se mit à imiter une jeune fille minaudant tout en continuant son récit.

          « Jamais tu ne trouveras un mari dans tes livres. »

    Il prit une autre voix.

          « Il faudrait peut-être la marier au bibliothécaire ? »

    Une nouvelle voix.

          « Ce vieux avec sa mauvaise haleine ? Bonne idée hihihi ! »

    Le conteur reprit sa voix normale. À moins que ce ne soit celle du bibliothécaire, il correspondrait bien à la description, ne put s'empêcher Mildwyn.

          « Toujours est-il que la jeune femme ignorait ces remarques. Il n'y avait qu'une de ses amies qui avait voix à son oreille. Bien que tout semblait les opposer, les deux jeunes femmes s'entendaient comme deux sœurs. L'amie réussit à convaincre la cadette de quitter ses livres un après-midi pour l'accompagner voir les marchands ambulants. En plus on disait que certains étaient beaux comme des Valar, ce qui valait bien le coup d’œil. »

    Le vieux barde reprit une gorgée de vin.

          « En ce temps, le Dol Amroth était en paix et à part quelques pirates plus téméraires qu'autre chose, tout le monde y était le bienvenue. Il arrivait régulièrement que des caravanes de marchands y fassent halte quelques jours pour proposer leurs marchandises et services avant de repartir vers d'autres contrées. Et justement un convoi venait d'arriver et l'amie de la cadette y avait déjà repéré un jeune forgeron tout à fait à son goût et elle voulait savoir ce que la jeune femme en penserait. »

    La petite émit un bâillement avant de s'installer plus confortablement sur les genoux de sa mère.

          « On trouvait de tout dans cette caravane. Du tissu, de la poterie, du vin et même des pièces d'armures. On y trouvait aussi quelques nains et des hommes d'un peu partout, même si la plupart semblait venir plutôt du nord. En discutant avec les camelots on pouvait apprendre qu'ils passaient des fois par Erebor et même jusqu'au lointain Forochel quand la saison le permettait. Mais ce que la cadette y trouva dépassait tout ce que l'on aurait cru pouvoir trouver dans une telle caravane. »

    Nouvelle rasade de vin.

          « Quand l'amie montra au loin le jeune forgeron au travail, le temps sembla s'arrêter pour la cadette. Un véritable coup de foudre. Comment ? Pourquoi ? Qu'est ce qu'elle lui trouvait ? On ne le sut pas vraiment. Peut-être son teint hâlé ou ses yeux bleus pâles ? Ou peut-être encore ses muscles saillants ? Allez savoir ce qui se passe dans la tête d'une femme quand elle tombe amoureuse. »

    Mildwyn fit les gros yeux au conteur, tant la description aurait pu correspondre à son propre époux. Ignorant la jeune femme, Cuthnard continua son histoire.

          « Toujours est-il que les deux jeunes femmes engagèrent la conversation avec lui, chacune tour à tour cherchant à attirer son attention. Elles passèrent ainsi toute l'après-midi en sa compagnie. Les jours suivants, on retrouva les jeunes femmes de bonne heure près de l'étal du ferronnier. Cela n'était pas pour lui déplaire même s'il se montrait peu loquace lorsqu'il travaillait, mais il savait aussi que s'il se risquait à aller plus loin avec l'une ou l'autre de ces nobles dames, il aurait pu être chassé de la caravane voire y perdre une tête. »

    La petite venait de s'endormir. D'habitude il arrêtait son histoire à ce moment là, mais cette fois il continua.

          « La cadette avait complètement oublié ses livres, ou même son père. La seule chose qui lui occupait l'esprit était ce jeune homme. La veille du départ de la caravane, elle ourdit un plan pour rester à ses côtés. Elle décida de se confier à son amie et lui apprit qu'elle allait se cacher dans sa roulotte peu avant le départ. L'amie en resta coite d'étonnement devant tant d'audace de la part d'une jeune femme que seuls les livres intéressaient il y avait encore peu. »

    La jeune mère était tout ouïe, passionnée par cette histoire.

          « Cependant, l'amie aussi avait eu le béguin pour le forgeron et la jalousie l'emporte des fois sur l'amitié. Elle alla prévenir le seigneur que le jeune homme avait enlevé sa fille et s’apprêtait à s'enfuir avec le reste de la caravane. Ni une ni deux le seigneur réunit des gardes et se précipita pour encercler le convoi sur le départ. »

    Le vieux bonhomme bondit soudain et imita une charge de cavalerie.

          « Bien évidemment on retrouva très vite la jeune fille dans la roulotte du ferronnier qui ne comprenait rien de ce qui se passait. On le mena devant le seigneur qui se retenait grandement de ne pas rendre justice ici même avec son épée. »

    Cuthnard prit une grosse voix pleine d'autorité.

          « Alors ainsi tu as voulu enlever ma fille ! Tu as intérêt à ce qu'il ne lui soit rien arrivé de mal ! »

    De sa voix normale, le barde commenta.

          « Alors qu'il aurait dû se montrer craintif devant une accusation qu'il ne comprenait pas et qui risquait de lui coûter la tête, le jeune homme se défendit. »

    Alternant les voix il ajouta.

          « Je ne sais même pas ce qu'elle fait là ! »
          « Tu insinues peut-être qu'elle s'y est enfermée elle-même ? »
          « Peut-être bien ! Et peut-être qu'elle voulait juste ne plus vous voir ! »

    Il fit semblant de brandir une épée prête à frapper.

          « Sous la colère, le seigneur avait sorti son arme du fourreau et s'apprêtait à abattre le « ravisseur », quand un cri le stoppa dans son élan. C'était la jeune fille qui s'était échappée du garde qui devait la ramener en sécurité. »

    Le barde prit sa plus belle voix de fausset pour continuer son récit.

          « Ne le tue pas ! Tout est de ma faute. Je ne voulais pas le voir partir loin de moi alors... alors... j'ai décidé de me cacher pour le suivre. Je... Je crois bien que je l'aime, père. »

    Il fit semblant d'être étonné.

          « Les deux hommes la regardèrent bouche bée. Aucun des deux ne s'attendait à cela. Ni le seigneur qui avait toujours vu sa fille plongée dans ses livres, ni le forgeron qui n'avait absolument pas vu le coup venir. »

    Le conteur recommença à alterner les voix.

          « Toi, ma fille, tu dis aimer cet homme que tu connais à peine. Et lui ? Qu'en est-il ? »
          « Je... je ne sais pas » dit-elle rougissante.
          « Alors qu'en dis-tu toi ? » menaça le seigneur au jeune homme.
          « C'est que... on se connaît à peine. Oui votre fille est jolie, oui elle a l'air intelligente et je suis sûr qu'elle pourrait faire une bonne mère pour ses enfants mais... enfin... Me demanderiez-vous de l'épouser ? »
          « Ma fille... Est-ce que ce serait ton choix ? »

    Prise par l'histoire, Mildwyn retint son souffle.

          « La jeune femme émit un oui léger mais fort décidé. Le jeune homme quant à lui argua que même si la proposition pouvait-être tentante il ne se sentait pas prêt à abandonner son mode de vie sur les routes. »

    Reprenant une dernière fois sa grosse voix, Cuthnard fit répondre le seigneur.

          « Ma fille vous a déjà montré qu'elle était prête à vous suivre en se cachant dans votre roulotte. Si elle tient tant à vous, elle vivra avec vous au sein de cette caravane. Tout ce que je demande, c'est que ma fille chérie vienne embrasser son vieux père quand votre convoi passera non loin. »

    Le vieux barde reprit une gorgée de vin avant de conclure son histoire.

          « Le jeune homme accepta et l'on célébra le mariage. La caravane resta une semaine de plus aux portes de la fière cité avant d'emmener les jeunes mariés sur les routes. Et ainsi se conclut l'histoire d'Aurmeril et d'Orovahl. »

    Mildwyn eut un hoquet de surprise. Cuthnard ajouta avec un sourire.

          « Et oui, comme ta fille. Et surtout comme les parents de ton cher mari.»

* * *

    Etheocred avançait lentement entre les rochers. Il pensait avoir repéré l'endroit de l'explosion mais ne sachant pas ce qui l'avait provoqué, il était plus prudent de ne pas se montrer. Il avait même trouvé un endroit où attacher Rouflaquette pour qu'elle ne trahisse pas sa position. Au détour d'un rocher il eut la certitude d'avoir trouvé le bon endroit : la terre était brûlée et les pierres à côté avaient des marques de fumées noires. Un bruit non loin lui fit se recroqueviller derrière son rocher. Il n'était pas seul sur place.

    Le rohirrim attendit un peu en tendant l'oreille pour savoir s'il avait été repéré mais rien n'indiquait que ce fut le cas. Il se risqua à jeter un œil. Il y avait une grotte non loin et un homme venait d'y entrer. Cet homme ne lui disait rien mais il ne semblait pas être un autochtone. Ce devait être un de ces aventuriers toujours à la recherche de trésors ou peut-être même un bandit. Enfin dans tous les cas rien qui ne le concerne. Quand l'homme eut complètement disparu, Etheocred sortit de sa cachette et s'apprêta à rebrousser chemin quand il se figea soudain. Plusieurs chevaux étaient attachés à un piquet non loin. Un hongre, deux étalons dont un de son pays au vu de la taille impressionnante de l'animal, mais plus que tout il avait repéré une jument grise. Une jument qu'il avait déjà vue portant sa maîtresse. Carild. Rapidement il s'équipa de torches qui étaient restées au camp non loin des chevaux puis pénétra dans la grotte.

* * *

    Le soleil montrait à peine ses premiers rayons quand Cuthnard réveilla la jeune mère.

          « Debout ! On a beaucoup de route à faire aujourd'hui. J'aimerais bien atteindre les montagnes ce soir et dans quelques jours le bout du chemin. »
          « Et revoir mon cher beau-frère... » répondit-elle d'un ton morose.
          « Oh ne t'inquiète pas. Pour ça aussi j'ai menti. Ce n'est pas son oncle que je vous emmène voir, mais son arrière grand père. »

Hors ligne

#10 29-07-2015 21:35:59

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Un cheval de bois

[hrp] Parce que ça fait bien longtemps et qu'il faut bien vous occuper d'ici qu'on connaisse la liste des serveurs, voici la suite de l'histoire dans le plus gros chapitre actuel. Bonne lecture ![/hrp]

On ne choisit pas sa famille

      « Il est mort? » questionna l'homme à la torche.

    Pour toute réponse la jeune femme se laissa tomber en pleurs. L'homme semblait bien embarrassé. Il s'approcha du corps étendu et de sa main libre vérifia son pouls.

      « Il va pas fort » marmonna-t-il. « Tiens, prends la torche, je vais le porter. »

    Toujours muette, la jeune femme s'exécuta tout de même tandis que l'homme chargeait le blessé sur ses épaules. Alors qu'il s'apprêtait à se diriger vers la sortie de la salle, il se retourna vers la jeune femme avec un air embarrassé.

      « Euh...Tu connais le chemin j'espère. Moi je me suis perdu en voulant éviter les deux types à l'air pas net. »

* * *

    Des cris dans le ciel.

    L'appel des mouettes.

    La mer ainsi que la presqu'île de Dol Amroth n'étaient plus très loin. Bientôt ils pourraient distinguer ses tours élancées à l'horizon.

    Depuis le début de leur voyage, ils étaient passés à travers champs, s'éloignant autant que possible des chemins fréquentés et faisant d'improbables détours pour brouiller les pistes qu'ils auraient pu laisser. Pourtant ils s'approchaient de plus en plus du terme de leur périple et la jeune femme se demandait sans cesse pourquoi ils n'avaient pas encore rejoint la route alors qu'il n'y avait pas d'autres accès à la cité. À moins de vouloir sauter à l'eau pour rejoindre le port à la nage mais c'était une option impossible avec une petite fille en bas-âge. Du moins espérait-elle que Cuthnard n'avait pas envisagé cette solution. À chaque fois que Mildwyn essayait de soutirer l'information au vieillard, celui-ci feignait d'être subitement devenu sourd, ou prétextait qu'il avait un tour de magie à montrer à l'enfant. Quand celle-ci riait aux éclats devant les pitreries du vieux bonhomme, la jeune mère attendrie en oubliait de reposer sa question.

    Des mouettes crient au loin.

    Dès qu'elle les eut entendues, la petite fille cherchait partout du regard l'origine de ces sons si étranges.

      « Bientôt tu verras les mouettes ma petite » dit le vieux Cuthnard avant de se mettre à imiter le vol d'un oiseau et à tourner autour de la mère et de l'enfant en poussant des petits cris qui se voulaient être une imitation de mouette.
      « Ou peut-être pas. » ajouta une voix inconnue, grave et pleine d'autorité.

    Autour du groupe, quatre archers étaient apparus et les tenaient en joue. L'homme à qui appartenait la voix et qui semblait commander cette unité portait une armure d'acier polie recouverte d'un tabard bleu où trônait l’emblème de Dol Amroth : un bateau à la proue en forme de cygne argenté. Le chevalier pointa son arme en direction des intrus.

      « Cela fait quelques jours que mes éclaireurs vous ont repérés. Vous auriez dû être abattus sur le champs car vous agissez comme des espions d'Umbar mais la présence de cette enfant les a intrigués et j'ai voulu voir de mes propres yeux le plus jeune espion que nous ayons jamais repéré. Mais trêve de plaisanterie. Qui êtes-vous, que faites-vous ici et pourquoi cherchez-vous à vous cacher ? »

    Devant le ton autoritaire du chevalier, la petite Aurmeril commença à gémir un peu. Sa mère tenta de calmer la petite fille en la berçant et en lui posant de délicats baisers sur le front. Bien qu'elle essaya de se montrer calme et sûre d'elle, la jeune femme n'en menait pas large. Elle se risqua à jeter un œil à Cuthnard mais à voir sa mine décomposée et les légers tremblements de ses membres, il semblait avoir enfin été rattrapé par son âge. Mildwyn se demanda si elle ne pourrait pas en profiter pour se soustraire ainsi de l'emprise du vieillard en racontant toute l'histoire mais elle se souvint que malgré la méthode peu agréable qu'il avait employée, il lui avait sans doute sauvé la vie en la forçant à fuir.

    Alors que la jeune femme s'apprêtait à répondre au chevalier, le vieillard se réanima soudain en faisant maintes courbettes devant le soldat en armure.

      « Messire, Je ne suis qu'un humble saltimbanque itinérant qui va distraire ça et là les bonnes gens contre quelques piécettes ou un repas chaud et... »
      « Tu es bien loin des bonnes gens ou des chemins qu'ils empruntent habituellement, saltimbanque. Et elle ? Une saltimbanque aussi ? À d'autres. Qui êtes-vous vraiment et que faites-vous là ? Répondez avant que je ne perde patience. » l'interrompit le chevalier.
      « J'y viens messire, j'y viens. »

    Mildwyn se rappela l'histoire que leur avait contée le vieux barde. Si la mère de son époux était bien d'ascendance noble, peut-être que ce chevalier en aurait entendu parler et qu'il pourrait les mettre en sécurité rapidement. Le vieux Cuthnard l'empêcha de poursuivre plus en avant ses réflexions en lui enserrant le bras et la secouant légèrement comme le ferait une paysanne montrant un poulet sur le marché.

      « Comme je vous le disais messire, je ne suis qu'un humble barde errant et cette jeune femme faisait partie de la caravane que j'accompagnais. Si j'ai bien compris, elle avait pour objectif d'aller montrer sa petite fille à de la famille éloignée. »

    Cuthnard jeta un regard insistant à la jeune mère qui ne put qu'acquiescer à l'histoire d'un signe de tête. Après tout, à part cette caravane sortie de nulle part, son histoire n'était pas fausse. Le vieux bonhomme poursuivit son récit.

      « Hélas, doublement hélas les routes ne sont plus guère sûres au nord et nous fûmes attaqués par des bandits. Comme vous le voyez messire, je n'ai rien d'un grand guerrier mais je pris mon courage bien en main et profitai de la confusion de l'assaut pour m'enfuir en compagnie de cette jeune mère et de son enfant. Afin d'éviter que nous soyons poursuivis par les bandits, nous avons coupé à travers champs et évité les routes. Hélas, triplement hélas, je ne suis point doué pour trouver mon chemin et j'avoue, à ma grande honte, que nous sommes perdus. Mais heureusement un grand et fort chevalier de Dol Amroth vient de nous retrouver et va pouvoir nous sauver. Nous serons vos éternels débiteurs mon bon seigneur. »

    Le 'seigneur' en question resta silencieux un petit moment après le récit du vieillard. Ce 'petit' moment parut une éternité pour les cibles des archers. Enfin le chevalier fit signe à ses hommes de baisser leurs arcs.

      « Votre histoire est plaisante, saltimbanque. Et peut-être même crédible. On nous a rapporté en effet des troubles au nord. Toutefois si des bandits étaient à vos trousses, cela fait longtemps qu'ils vous auraient rattrapés avec les traces que vous laissez sans parler des cris de l'enfant. Et vous pensez même m'amadouer avec quelques flatteries. J'ai du mal à croire à votre histoire mais ce qui m'ennuie le plus c'est que vous ne m'avez toujours pas donné vos noms. Qui êtes-vous ? »

    Alors que le vieillard se préparait à inventer un nouveau mensonge, Mildwyn décida de lui couper la parole. Pourquoi tant de simagrées ? Ils avaient en face d'eux un chevalier au cygne pas un vulgaire malandrin.

      « Je me nomme Mildwyn Martelame, épouse d'Orolhion Martelame et mon compagnon s'appelle Cuthnard. »

    Le vieux bonhomme blêmit instantanément.

      « Martelame.... Martelame.... ce nom me dit quelque chose. » marmonna l'homme en armure.
      « Et cette petite s'appelle Aurmeril. Comme sa grand-mère. » ajouta la jeune femme.

    S'il avait été possible à Cuthnard de pâlir encore plus, il serait devenu transparent. Le chevalier fit signe à ses hommes de les mettre à nouveau en joue.

      « Je me souviens maintenant pourquoi ce nom me disait quelque chose. Mon grand-père m'a souvent dit que si je croisais un Martelame un jour, je ferais mieux de l'abattre sans sommation. » dit l'homme au tabard bleu. « Heureusement pour vous, je ne tue pas les femmes. Encore moins les jeunes mères. Quant à votre compagnon, il semble en savoir beaucoup plus que vous sur toute cette histoire. »

    L'homme fit un nouveau geste vers ses hommes.

      « Attachez le vieillard, s'il bouge, tuez-le. Laissez la petite fille à sa mère. Pour la sécurité de l'enfant, je suis sûr qu'elle nous suivra calmement. » ajouta-t-il à l'intention de la jeune femme. « Sachez que je me nomme Baradan, fils de Manadir et petit-fils du seigneur Nosthelion. Aurmeril est ma tante. Je suis certain que mon grand-père voudra avoir des nouvelles de sa fille depuis si longtemps disparue. »

    Mildwyn jeta un regard d'incompréhension au vieux Cuthnard.

      « J'avais un petit peu enjolivé l'histoire » confessa-t-il.


* * *

      « Et là, Carild ? Tu reconnais le chemin ? »
      « ... »
      « Bon ben on va prendre à gauche pour changer alors »
      « ... »

    Depuis trois jours le petit groupe tentait de retrouver son chemin à travers le dédale de grottes et de boyaux souterrains. Leur seule réussite avait été de sortir du tertre plus ou moins par hasard mais seulement pour devoir affronter un labyrinthe naturel plus tortueux encore. Orolhion n'avait toujours pas repris conscience et Carild était restée muette et amorphe depuis, visiblement en état de choc. De fait, Etheocred avait pris sur lui de guider tout ce petit monde à la surface. Dès le premier jour il avait entrepris de rationner l'eau et les torches qu'il avait apportées. Malheureusement la dernière torche était déjà bien entamée et l'eau épuisée.

      « Tiens j'ai l'impression qu'on est déjà passés par là... »

    La torche fumait de plus en plus annonçant sa fin prochaine. Bien qu'il eut tenté de se montrer brave tout le long de ce périple, le rohir sentait poindre en lui un profond désespoir. L'homme qu'il portait lui semblait de plus en plus lourd et la femme qu'il avait décidé de chercher sur un coup de tête - ou de foudre il ne savait plus trop – était aussi réactive qu'une poupée de chiffon.

      « J'ai bien peur que ce soit la fin... » commença à dire l'homme. « Carild, j'aurais voulu pouvoir te dire ça dans un autre moment, dans un autre endroit... et que tu sois pleinement consciente pour l'entendre... »

    Le rohir se tut un instant pour réfléchir avant de reprendre.

      « En fait ce n'est peut-être pas plus mal parce que je n'aurais sans doute pas eu le courage de le faire... Et pas plus mal que lui aussi soit inconscient. » ajouta-t-il en désignant d'un signe de tête l'homme qu'il portait encore.

    Un nouveau silence.

      « En fait je ne sais même pas qui c'est. C'est peut-être ton amant. L'homme que tu aimes alors... ça va me faciliter les choses qu'il n'entende pas... »

    L'homme prit une profonde inspiration avant de se lancer.

      « Carild. Je sais que tu es une voleuse et que... ce qui s'est passé cette nuit là n'avait pas de réelle importance pour toi. Que tu voulais juste détourner mon attention pour mieux me dérober, même si je n'ai toujours pas compris ce que tu trouvais de si précieux dans ce jouet. Et quand je t'ai vu t'enfuir avec ton butin, j'ai compris que tu m'avais roulé, de fort agréable façon d'ailleurs, que je devais déjà m'estimer heureux de n'avoir qu'été volé et que je devais t'oublier. »

    Etheocred se baissa pour déposer aussi délicatement que possible Orolhion contre une paroi de la grotte, avant de se retourner à nouveau vers la jeune femme.

      « Mon problème c'est que je n'y arrive pas... »

    Il fit un pas vers la voleuse.

      « Depuis ce jour, il n'y a pas un jour sans que je pense à toi, pas une nuit où je ne te rêve pas. »

    Un pas de plus.

      « J'ai beau me dire qu'il faut que je t'efface de ma mémoire, que j'arrête de me faire des idées et que je ne suis rien pour toi, je n'y arrive pas. »

    Un nouveau pas.

      « Tous ces jours passés depuis ta rencontre, je n'ai cessé de vouloir te revoir. »

    Il franchit le dernier pas qui le mena face à elle.

      « Tous ces jours, je n'ai cessé de vouloir passer ma main dans tes cheveux. »

    Son geste accompagna ses paroles. Carild resta de marbre.

      « Tous ces jours, je n'ai cessé de vouloir caresser à nouveau ta peau. »

    Ses doigts effleurèrent sa joue. Aucun tressaillement ne parcourut la peau de la jeune femme.

      « Tous ces jours, je n'ai cessé de me dire que je voulais vieillir et mourir auprès de toi. Au moins je mourrai à tes côtés. J'aurais juste préféré vieillir un peu plus. »

    Il approcha un peu plus son visage de celui de la voleuse.

      « Carild. Tous ces jours, je n'ai cessé de me dire que je t'aimais. »

    La torche s'éteignit.

* * *

    Des tours blanches élancées, des bâtiments majestueux, des fontaines et des jardins fleuris à chaque coin de rue, de grandes jetées s'étendant vers la Baie de Belfalas et une population animée. Dol Amroth était une cité portuaire magnifique. Malheureusement pour les trois voyageurs, ils n'eurent pas le temps de visiter les lieux. Bien plus sombres et humides, les prisons situées sous la citadelle des chevaliers au cygne étaient aussi bien moins accueillantes. Eu égard à son grand âge, Cuthnard échappa au cachot humide pour une petite cellule sans fenêtre guère plus agréable. Trois fois par jour on l'emmenait sans ménagement dans une salle meublée uniquement de deux bancs et d'une table de pierre, bien trop lourds pour qu'une personne seule puisse les déplacer. À chaque fois le même scénario se produisait. On asseyait le vieillard sur un des bancs face à un homme au visage austère qui l'interrogeait froidement sur son identité et sur les raisons de sa présence. À chaque fois le barde racontait la même histoire qu'il avait déjà servi à Baradan mais celle-ci ne convainquit toujours pas son auditoire et l'interrogatoire se terminait inlassablement de la même façon, l'homme giflant le vieillard avant de quitter la pièce. Le rituel était si bien rôdé que Cuthnard surnomma l'homme Gifleur.

    Mildwyn eut un peu plus de chance que l'ancien. Elle et sa fille furent enfermées dans une pièce petite mais confortable avec une fenêtre donnant sur le port. Une fois par jour Baradan se présenta à elle pour l'interroger et prendre des nouvelles de l'enfant. Il se montra courtois et attentionné. La jeune femme se méfia dans un premier temps de ses manières et refusa de répondre aux questions du chevalier. Après qu'il lui eut expliqué qu'il agissait ainsi car tel était le code d'honneur des chevaliers, elle relâcha un peu sa garde. De temps à autres il coupait court à l'interrogatoire et demandait plutôt qu'elle lui parle de la vie au nord et de sa tante et de ce cousin qu'il ne connaissait pas. Il fut navré d'apprendre qu'elle était morte bien avant que la jeune femme ne rencontre son mari, mais elle se retint bien de dire qu'Orovahl s'était fait passer pour mort pour quitter sa femme et vivre avec une maîtresse. Le chevalier méprisait déjà bien assez la famille Martelame.

    Un jour, alors que Cuthnard était une fois de plus emmené dans la salle d'interrogatoire, le vieillard fut surpris de ne pas retrouver Gifleur sur le banc. À sa place se trouvait un homme aux cheveux blancs et à la barbe taillée court. Il se tenait bien droit sur le banc et de son corps se dégageait une force que nombre de jeunes hommes lui envieraient. Dans son regard gris transparaissait un âge que son apparence ne laissait pas deviner mais aussi une haine farouche pour le barde qui venait d'entrer. Celui-ci frémit de peur. Malgré les années écoulées depuis qu'il l'avait vu, il reconnut sans peine le seigneur Nosthelion.

      « Le temps a été clément avec toi salopard. » lança sans préambule le noble.
      « Moins qu'avec vous Seigneur. » répondit Cuthnard, s’aplatissant presque.
      « Cesse de suite tes flatteries et assieds-toi. » Puis se tournant vers le garde qui avait escorté le vieux bonhomme « Qu'on nous fasse apporter à manger et à boire. »

    Le seigneur attendit qu'on eut apporté des plateaux pour lui et le prisonnier avant de congédier les gardes présents. Le noble se saisit d'un morceau de gigot rôti juteux et encore fumant et le mordit à belles dents avant de se désaltérer d'une gorgée de vin. Cuthnard l'aurait bien imité mais face à lui se trouvait une écuelle de gruau malodorant, froid et figé ainsi qu'une choppe ébréchée d'eau croupie. L'ancien s'en serait bien contenté tant il était affamé mais l'absence de couvert et surtout ses mains attachées dans le dos le laissèrent uniquement capable de contempler avec regret sa gamelle.

      « Qu'y a-t-il ? Tu n'as pas faim peut-être ? » ironisa Nosthelion. « Ou peut-être n'est ce pas encore assez bon pour toi ? »
      « Malheureusement Monseigneur, les seules mains qui me permettraient de profiter de ce succulent repas sont retenues dans mon dos. Peut-être que si vous défaisiez mes liens... »
      « N'y compte pas. » le coupa-t-il. « Tu peux toujours manger comme le chien que tu es. Et cela fait bien longtemps que tu as perdu la dignité qui t'en abstiendrait. »

    Le vieillard soupira mais n'attendit pas longtemps avant de céder et plongea la tête dans l'écuelle, répandant son contenu tout autour de lui. Tandis qu'il mangeait, le noble entreprit de la questionner entre deux gorgée de vin.

      « Comment est morte ma fille ? C'est ce vaurien qui l'a tuée ? »

    Cuthnard sortit la tête de sa gamelle, la barbe constellée de morceau de gruau.

      « Maladie. Ça doit faire un peu plus de dix ans. »

    Là-dessus il n'avait aucune raison de mentir.

      « Et où se trouve ton maître ? »
      « Je n'ai pas de maître. »

    Nosthelion saisit l'ancien par les cheveux et lui replongea violemment la tête dans l'écuelle.

      « Où est ton maître ? »

    Cuthnard sortit une nouvelle fois la tête du gruau.

      « Je n'ai plus de maître. »

    Le seigneur s'apprêta une nouvelle fois à violenter le vieux barde.

      « Attendez ! » implora le vieux bonhomme. « je n'ai plus de maître mais mon maître précédent doit se trouver entre l'Harad et le Forochel. »

    Une nouvelle fois, la tête de Cuthnard finit dans le gruau.

      « Tu te moques de moi ! Et pourquoi pas à Valinor tant que tu y es ! » rugit le seigneur.

    Péniblement, le barde émergea de l'écuelle.

      « Je ne vous ai pas menti Seigneur. Je ne sais pas où celui-ci se trouve, sinon je n'aurais pas cherché à éviter les routes. Mais je pense que ce n'est pas celui-là que vous cherchez. »

    Nosthelion se sentait à bout de patience. Pour se détendre, il prit son verre de vin qu'il finit d'un trait.

      « C'est Orovahl que vous cherchez... Votre... gendre. »

    Les phalanges du noble blanchirent autour du verre.

      « Vas-tu enfin me dire où il est avant que je ne t'étripe à sa place ! »
      « Mort. »

    Le mot tomba comme un couperet.

      « Il est devenu fou il y a quelques années et s'est jeté du haut d'une falaise. » rajouta le vieux barde.

    Nosthelion qui semblait la rigidité même, s'affaissa d'un coup. La cible de toute son hostilité était déjà morte. La haine venait subitement de le quitter, le vidant de toute son énergie et montrant enfin des signes de son âge véritable. D'une voix faible, il se dit à lui-même :

      « Au moins a-t-elle vécu sa vie à côté de l'homme qu'elle aimait. »
      « Hmmm... En fait pas vraiment. » Cuthnard fixa le noble avec un air de vengeance et de cruauté dans le regard. « Après qu'elle lui ait pondu deux chiards, il s'est fait passer pour mort pour pouvoir rejoindre sa maîtresse avec qui il a eu un autre enfant. Et les trois sont identiques à leur père ! »

    Le vieux barde n'eut pas le temps de regretter ses paroles que le poing de Nosthelion lui brisa l'arrête du nez. Le seigneur semblait avoir retrouvé toute sa vigueur si ce n'est plus.

      « S'ils sont comme leur père alors je m'occuperai d'eux quand je les trouverai. Et tu vas certainement pouvoir m'y aider. »

    Le seigneur attendit que Cuthnard reprenne ses esprits pour sortir un objet d'une escarcelle. Un couteau au manche en piteux état mais dont le fil de la lame avait une forme très étrange. Il le montra à l'ancien.

      « Qu'est ce que c'est ? » demanda-t-il.

    Cuthnard retint sa respiration une seconde. Une seconde de trop que remarqua Nosthelion.

      « Ce n'est qu'un vieux couteau mal forgé. C'est juste un vieux souvenir de famille sans intérêt. » répondit le barde.

    Nosthelion eut un sourire amusé devant un si gros mensonge. Il tira la languette à la base du manche et la lame se déplia en trois.

      « Je me répète : Qu'est ce que c'est ? »

    Le vieux bonhomme ne savait plus quoi dire. Qu'allait-il pouvoir inventer cette fois ? Et surtout il fallait qu'il se dépêche sinon ce serait suspect. Le noble se servit un nouveau verre de vin, faisant couler le liquide rouge bien haut au-dessus de la coupe. Le regard de l'ancien sembla hypnotisé par l'écoulement ce qui n'échappa pas à son geôlier.

      « Tu en veux ? » demanda le noble. « Si tu me réponds sincèrement tu auras le droit au contenu de ce verre. »

    Il posa la coupe bien en face du prisonnier. Cuthnard se demanda si ça valait encore la peine de mentir là-dessus. Et puis après tout il ne savait pas grand chose donc ça ne ferait sans doute pas de mal de le dire. Et il en avait assez de cette famille qui ne lui avait apporté que des soucis. Le verre de vin occupant tout son champ de vision, il répondit réellement sincèrement au noble :

      « C'est une clef pour un trésor ancien. Les trois Martelame le recherchent chacun pour soi. Normalement il y a plusieurs clefs cachées mais le cadet et la benjamine ont fait une copie de celle-ci pour tromper l'aîné. Maintenant le coffre doit être en possession de l'un d'eux et il ne leur manque que cette clef pour l'ouvrir. C'est tout ce que je sais. Si vous voulez en savoir plus il faut demander à la femme. Elle a vu les carnets, elle en sait certainement plus. » débita-t-il sans reprendre son souffle. « Et maintenant j'ai le droit à mon vin ? »

    Avec un sourire, Nosthelion se saisit du verre et en jeta le contenu à la face du vieillard avant d'aller frapper à la porte.

      « Garde ! Ramenez le dans sa cellule ! »

    Alors qu'on le raccompagnait, Cuthnard se pourléchait la barbe du reste du gruau et du vin pris dans sa barbe.

* * *

    La petite faisait la sieste tandis que la jeune mère observait l'animation sur le port. Soudain la porte s'ouvrit pour laisser entrer un homme aux cheveux blancs et à la barbe courte. Elle ne le connaissait pas mais quelque chose en lui lui fit penser à Baradan. Derrière lui entra une servante qui se dirigea immédiatement vers l'enfant. Après un signe de tête de l'homme, la servante se saisit de l'enfant et prit la direction de la porte. D'instinct, Mildwyn se précipita vers la servante pour récupérer sa fille mais l'homme lui barra la route. Bien qu'il ne soit pas dans sa nature d'être violente, la jeune femme pouvait être la plus féroce des tigresses si l'on s'en prenait à son enfant. Elle commença à frapper l'homme au genou puis à la tempe pour l'envoyer à terre avant de le contourner. Elle feulait presque en s'approchant de la servante terrifiée. Avant qu'elle ait pu l'atteindre, l'homme s'était déjà relevé et l'empoignant par les cheveux la projeta en arrière, l'assommant suffisamment longtemps pour permettre à la domestique de s'enfuir, la petite Aurmeril pleurant dans ses bras.

    La jeune femme reprenait lentement ses esprits quand une voix d'homme se fit entendre.

      « La petite ne risque rien. Tant que vous coopérez du moins. »

    Sa fille ! Mildwyn se réveilla complètement. On venait de lui enlever sa fille !

      « Je suis le seigneur Nosthelion. Mon petit-fils m'avait caché votre capture c'est pourquoi je n'étais pas encore venu vous voir. »

    La jeune mère fixa l'homme. Elle ne s'attendait pas à ce que le grand-père du chevalier – et donc d'Orolhion – soit encore si fort. Elle qui s'attendait à rencontrer des gens forts mais affables, elle commença presque à se dire que son beau-frère était plus aimable.

      « Je vais être clair dès le départ afin qu'il n'y ait pas de malentendu entre nous. » commença le noble.
      « Vous avez été très clair en me jetant à terre. » répondit-elle.

    Nosthelion ignora sa réplique et continua sa mise au point.

      « Je vous ai enlevé l'enfant pour que vous ayez toute mon attention. Je sais que vous êtes l'épouse d'un Martelame, tout comme l'a été ma fille. Cela fait de vous, soit une victime de cette famille, soit une complice. »

    Mildwyn regarda l'homme avec incompréhension.

      « Vous ne semblez pas comprendre dans quoi vous avez mis les pieds. » dit-il. « Je ne sais pas ce qu'on a pu vous raconter mais je doute que vous sachiez comment cette famille m'a volé ma fille. »
      « Cuthnard m'a conté l'histoire... »
      « Ah ! » s'esclaffa-t-il. « Ce salopard ment plus qu'un gobelin arracheur de dents. Laissez-moi vous dire la vérité. »
      « Rendez-moi d'abord ma fille. »
      « Non. »
      « Alors je ne vous écouterai pas. »
      « Alors vous ne reverrez jamais l'enfant. »

    Mildwyn se sentait désemparée. Elle n'avait qu'une envie, c'était de franchir la porte de la chambre pour partir à la recherche de sa fille. Elle savait pourtant que le noble ne la laisserait jamais faire.

      « Très bien... Racontez votre histoire. » finit-elle par céder.
      « Enfin de retour à la raison. Bien ! Commençons. Vous savez sûrement déjà que ce vaurien de Martelame faisait partie d'une caravane comme il en vient de temps à autres aux portes de la cité. »

    La jeune femme acquiesça.

      « Cuthnard aussi faisait partie de cette caravane. Lors de leur séjour, nous avions repéré que le faux barde traînait souvent vers les quartiers nobles mais à part faire quelques compliments aux dames, il ne semblait importuner personne. Ce que nous comprîmes trop tard c'est qu'il recensait les différentes femmes nobles en âge de se marier. »

    L'opinion que la jeune femme avait du vieillard ne s'améliora guère.

      « Nous pensons qu'il soumettait des noms à son maître qui s'empressait de les courtiser. Plusieurs femmes ont été approchées à l'époque mais toutes nous ont dit avoir repoussé ses avances. Sauf ma douce et naïve Aurmeril. »

    Il serra les poings.

      « Il réussit à la convaincre de s'enfuir avec lui. Tout ce qu'il me restait de ma fille était une lettre m'expliquant qu'elle partait vivre avec l'homme de sa vie, Orovahl Martelame. »

    Il serra les dents en prononçant le nom.

      « Ce n'est qu'alors que je menai mon enquête sur cet homme et que nous découvrîmes qu'il ne cherchait qu'à mettre la main sur une femme de noble ascendance. Malheureusement il était déjà trop tard et nous avions perdu leurs traces. »

    Mildwyn se risqua à poser une main sur le poing crispé du noble.

      « Ils sont morts tous les deux. Je comprends votre colère mais cette histoire est finie. »

    Il la foudroya du regard.

      « Non ce n'est pas fini. Il reste les enfants d'Orovahl. »

    La jeune femme retira prestement sa main.

      « Ce sont aussi les enfants d'Aurmeril ! Votre fille ! Au moins pour deux d'entre eux. Et si aucun des trois n'est un saint, ce ne sont pas des monstres. »

    Elle resta silencieuse une seconde.

      « Enfin pas tous. » se ravisa-t-elle.
      « Ils sont comme leur père. »
      « Comment pouvez-vous dire ça ? Vous ne les connaissez même pas ! »
      « Le vieux barde me l'a avoué. »

    Mildwyn sentit la moutarde lui monter au nez.

      « Vous m'avez dit vous même qu'il ment plus qu'un arracheur de dents ! »

    Le doute commença à apparaître sur le visage de Nosthelion. Avait-il été roulé par l'ancien ?

      « Mon Orolhion n'est certainement pas un tel monstre ! » Ajouta-t-elle.

    Le noble eut un sourire triste.

      « Je suis sûr que ma fille aurait dit la même chose de son mari. Vous êtes aussi une victime madame. »

    Ce fut au tour de Mildwyn d'être assaillie par un instant de doute.

      « Nous verrons cela quand nous les aurons face à nous. Et vous allez m'aider à les trouver. » acheva-t-il.

    Le seigneur sortit l'étrange dague de son escarcelle.

      « Dites-moi tout ce que vous savez sur cette histoire de trésor et de clefs. Nous les retrouverons grâce à ceci. »

    La jeune femme hésita un instant puis finit par raconter tout ce qu'elle savait de l'histoire : l'histoire dans les carnets, les clefs cachées et piégées, le sorcier haradrim, la zone approximative du tertre.

      « Et maintenant rendez-moi ma fille. » implora-t-elle quand elle eut fini son récit.
      « Non. »

    Mildwyn regarda l'homme avec un regard désespéré. Ses lèvres formulèrent un pourquoi silencieux.

      « Elle est mon arrière-petite-fille et bien que sa lignée ait été abâtardie, elle reste de noble naissance. Elle sera sous ma protection et recevra une éducation digne de son rang. »

    La jeune mère en resta immobile de stupeur tandis que le seigneur Nosthelion quittait la pièce.

* * *

    Au nord, dans une riche résidence proche de Bree, un vacarme infernal envahissait les lieux. Si les voisins n'avaient pas connu les propriétaires, ils auraient juré qu'il s'y passait la plus violente dispute conjugale qui fut jamais. Tout semblait voler à l'intérieur des murs, de la vaisselle, aux bibliothèques. Personne n'osa trop s'approcher des lieux.

    À l'intérieur, point de couple qui se disputât. Dans l'entrée gisaient les corps de trois gardes corrompus qui avaient échoué dans leur mission. Toute la maison était sens dessus-dessous, les bibliothèques renversées, la vaisselle brisée, les tableaux arrachés. Dans la chambre à l'étage, la dernière pièce que l'on pouvait visiter, deux hommes, un grand aux cheveux courts et grisâtres et un plus petit à la barbe bifide achevaient de tout fouiller.

    Orophant hurla de frustration. Il était persuadé de trouver la dernière clef ici mais sa belle-sœur s'était déjà enfuie avec. Sa fratrie devait déjà être morte dans la crypte depuis longtemps. Il ne restait qu'une seule personne qui aurait pu la prévenir.

      « Cuthnard... » maugréa-t-il.

* * *

    Etheocred avait perdu le compte des heures depuis que la torche se fut éteinte. Peut-être une heure, peut-être dix. Il avait essayé de déplacer le petit groupe malgré le noir complet mais avait finalement laissé tomber par désespoir.

    Ils étaient maintenant là, à attendre que la mort vienne les chercher. Le rohir entendait encore les respirations de ses compagnons. Au moins n'étaient-ils pas encore morts même si cela viendrait bientôt. Il se demanda même qui partirait en premier. Probablement l'homme inconscient. Il était salement blessé à la tête et avait besoin de soins. Quoi qu'il eut préféré que ce soit lui parce qu'au moins il n'aurait pas à devoir vivre l'agonie des autres. Dans leur état, eux ne verraient sans doute pas la fin venir.

    Un peu de temps passa encore. Ou peut-être beaucoup de temps. Voire aucun temps du tout. Il avait perdu cette notion dans le noir. Ses pensées morbides dérivèrent sur la façon dont ils allaient mourir. Asphyxie ? Sans doute pas sinon ça ferait longtemps que ce serait fait. La faim ? Peut-être mais il se doutait que la soif les aurait avant. À moins qu'il n'y ait une bête qui rôde dans ce dédale et qu'elle finisse par les trouver. Cela faisait un petit moment qu'il entendait comme des grattements et des raclements. Si bête il y avait, elle n'était plus très loin.

    Un peu de temps passa peut-être. Les raclements obsédaient le rohir. Il en eut assez. Quitte à mourir, autant attirer la bête ici pour qu'elle abrège leur agonie. Il se fia à son oreille pour localiser la source des bruits. Ça venait d'un peu au-dessus. La paroi était en pente douce et il put grimper un peu plus haut. Les grattements semblaient venir de derrière cette grosse pierre. Il poussa dessus sans grand succès. Le rocher branla à peine. Le rohir grogna à l'intention de la créature qu'il pensait de l'autre côté.

      « Allez grosse bestiole ! Aide-moi à virer ce caillou si tu veux me manger et boire mon sang ! »

    Il poussa à nouveau dessus. La bête semblait avoir compris car quelque chose l'aidait clairement à déplacer le rocher. La pierre se décala un peu et un courant d'air frais passa par l’entrebâillement. Cela surprit tant le rohir qu'il faillit tomber à la renverse. Etheocred jeta un œil par l'ouverture. Il ne fut pas le seul à le faire car de l'autre côté un regard brun le fixait et une bouche pleine d'écume tentait de se frayer un chemin.

    Cette fois l'homme tomba à la renverse de peur. Il mit quelques minutes à retrouver ses esprits puis à se convaincre de continuer ce qu'il avait commencé.

      « Oui ça fait peur et oui j'ai dit qu'il valait mieux finir dévoré par une bête que de soif. Mais fichtre que c'est dur d'aller mourir. » se dit-il à haute voix.

    Un hennissement lui répondit ce qui le surprit.

      « Un... Un cheval ? C'est un foutu cheval ! »

    Etheocred se précipita vers la pierre et poussa de toutes ses forces.

      « Allez mon gros ! Aide-moi à pousser cette pierre qu'on puisse sortir ! »

    Petit à petit le rocher se déplaça suffisamment pour laisser passer un homme. Le rohir sortit à l'air libre et sauta au cou de l'animal qui l'avait sauvé. La pauvre bête avait la bouche pleine d'écume tant elle avait soif et elle n'était pas la seule. Un peu plus loin un cheval gris, vraisemblablement moins robuste, était allongé et les regardait.

      « Attendez-moi là tous les deux. Rouflaquette n'est pas très loin et j'ai laissé des réserves d'eau dans ses fontes. Mais avant il faut que j'en sorte deux de la dessous. »

    En évoquant le nom de sa jument, il espéra qu'elle aussi avait réussi à survivre. Il descendit à nouveau dans la grotte. La lumière du jour s'infiltrait désormais dans la caverne et lui permit de distinguer ses deux compagnons. Il chargea l'homme sur son dos puis guida Carild vers l'entrée de la grotte. Celle-ci escalada docilement la paroi. Quand elle fut à l'air libre, l'étalon qui les avait sauvés vint coller sa tête contre la poitrine de la jeune femme. Instinctivement ses mains vinrent caresser l'animal. De sa bouche, sortit une petite voix groggy :

      « Danseur ? »

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#11 11-10-2015 19:11:43

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Un cheval de bois

Un marché

    Aucun nuage en vue.

    Juste un ciel bleu parsemé d'oiseaux de mer.

    Un peu en dessous les vagues viennent lentement caresser les quais de pierre blanche du port.

    En remontant vers la ville jusqu'à la grand place, on ne peut rater deux impressionnants édifices. Sur les hauteurs au loin, le palais du Prince domine la cité par sa stature et sa splendeur. À l'opposé la citadelle des chevaliers au cygne rassure les habitants et impose le respect à l'ennemi par la force qui émane de ses murs.

    Une fenêtre dans les hauteurs de la forteresse.

    Sur son rebord, une petite fleur rouge se dépérit. Un pétale s'est envolé et a disparu au loin.

    La fleur se flétrit de plus en plus. Un léger courant d'air la rapproche petit à petit du bord.

    Un dernier souffle, juste un, et elle fera un long plongeon.

    La petite fleur se met à envier les oiseaux. Ils sont si libres.

    L'envie est trop forte. Sans attendre ce dernier souffle, la fleur se laisse tomber du rebord dans un tourbillon de pétales et étend ses plumes dans un cri de mouette.

    Elle veut être libre.

    Elle va l'être dans ce ciel si bleu, si immense. Dans ce ciel sans soucis.

    Un bras surgit alors de la fenêtre et agrippe le nouvel oiseau. Celui-ci se débat mais le combat est vain. La prise se raffermit et attire le volatile vers l'intérieur de la tour.

    Au bout de ce bras un homme qu'il ne connaît pas mais qui lui rappelle vaguement son frère.

    Il veut sauver cet oiseau.

    Il le doit !

    De toutes ses forces il projette son poing.


* * *


    Soulevant la peau fermant la cabane, la vieille femme sortit en riant. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu un malade aussi distrayant. Elle s'attendait encore moins à rire de quelque chose, surtout depuis ces derniers jours. En repensant à la tête qu'avait faite l'autre homme, elle ne tint plus et éclata franchement de rire.

    Ses voisines la regardèrent étrangement. Les derniers événements avaient-ils eu raison de sa santé mentale ? Cela serait bien embêtant que la seule soigneuse du village ne soit plus en état d'exercer. Sans doute était-ce la faute de ces étrangers venus demander de l'aide voilà une lune. Ils étaient en bien piteux état et on se demandait comment une apathique, un homme inconscient et un autre homme complètement épuisé auraient pu présenter un danger. Oubu avait préconisé de les achever sinon ils risquaient de faire venir de grands malheurs mais le chef avait décidé de leur porter secours. Malheureusement le chef était mort il y a quelques jours à peine. Si maintenant la guérisseuse perdait la raison, peut-être qu'Oubu avait vu juste.

    Comme une seule âme, les regards pleins de reproches des voisines convergèrent vers la jeune étrangère. Carild sortait petit à petit de son état de choc mais ses souvenirs restaient flous voire absents à certains moments. Elle ne se souvenait pas comment elle était arrivée ici, ni ce que l'homme appelé Etheocred faisait ici. À peine se souvenait-elle de lui d'ailleurs. Il n'y avait qu'en présence des chevaux du petit groupe qu'elle se sentait apaisée. Ces journées oscillaient entre s'occuper des montures et rester assise sur une souche non loin de la cabane de la guérisseuse, n'osant pas s'approcher plus du frère qu'elle eut peur d'avoir tué. C'est d'ailleurs sur cette souche qu'elle se trouvait quand l'ancienne sortit de la cabane.

    Captant les regards des autres femmes, la guérisseuse cessa de rire et fustigea ses voisines dans le dialecte d'Harad que Carild avait appris de sa mère.

      « Est-ce qu'Oubu vous a aussi mis dans le crâne que rire était un crime à rajouter sur la liste contre des étrangers malades ? Si je ris c'est parce que l'étranger inconscient devrait se réveiller d'ici quelques jours et que cela me fait plaisir de voir que mes efforts ne sont pas vains. Et maintenant retournez donc à vos travaux bande de commères et cessez d'écouter les idioties d'un fanatique ! »

    Rouges de honte de s'être fait surprendre comme des écolières en train de bavarder, les femmes baissèrent la tête et retournèrent à leur ouvrage, sauf deux qui partirent en maugréant sur le caractère de la vieille acariâtre.

    La guérisseuse se rapprocha ensuite de la jeune femme assise et lui parla dans son dialecte

      « Je sais que tu me comprends même si tu restes encore perdue dans tes pensées. J'ai une bonne et une mauvaise nouvelles. La mauvaise est pour moi, c'est que j'ai une deuxième mâchoire à soigner mais heureusement elle n'est pas cassée. La bonne c'est que l'homme qui te ressemble un peu a commencé à se réveiller. Il a dû surgir d'un cauchemar parce qu'il s'est redressé en donnant un sacré coup de poing avant de s'écrouler à nouveau. D'ici quelques jours il devrait reprendre conscience. »

    La vieille femme fit une pause pour capter une lueur dans le regard de Carild. La jeune femme la gratifia en plus d'un soupir de soulagement. Son frère semblait sorti de danger. Avec un sourire, l'ancienne rajouta d'un ton plus guilleret :

      « Je n'aurais pas voulu être à la place du rohir parce qu'il a dû le sentir passer. Et j'ai bien peur que la dent qui a sauté n'ait gâché son joli sourire. »

    Tirant la jeune femme par la main, elle la guida vers l'entrée de la cabane.

     « Allez rentre donc là-dedans. Ce n'est certainement pas toi qui l'as mis dans cet état et vue la raclée qu'il lui a mis en dormant, ça ne peut pas être le rohir non plus, alors arrête de t'en vouloir pour ça. Si tu crois que je n'ai pas vu ton petit manège. »

    Après un très court instant de réflexion, elle ajouta :

      « Et je suis sûre qu'il y en a un qui voudra que tu le réconfortes. C'est tout juste s'il ne s'est pas mis à pleurer comme un enfant. »

    À l'intérieur l'air était saturé de l'odeur d'herbes en train de brûler. Une senteur censée apaiser les souffrances de l'esprit selon l'ancienne. Sur une paillasse, Orolhion semblait dormir d'un sommeil serein prouvant que les herbes faisaient effet. Assis sur une autre paillasse, Etheocred voulut afficher un beau sourire quand la jeune femme se présenta enfin au chevet de son frère, mais il se transforma bien vite en grimace quand la douleur se rappela à lui. Tandis que Carild vint s'agenouiller au côté de son frère, la guérisseuse se rapprocha du rohir pour le sermonner.

      « Je t'ai dit de garder cette tranche de viande sur ta joue jusqu'à ce que ça dégonfle. C'est déjà gâcher de la bonne viande pour un homme cheval comme toi alors ne la gâche pas encore plus et fais ce que je t'ai dit ! »

    Le pauvre Etheocred ne comprit pas le moindre mot du dialecte de la vieille femme mais ses gesticulations furent suffisantes pour qu'il comprenne le message et s'applique la tranche de viande comme on se donne une gifle, ce qui arracha, à lui, un cri de douleur, à la guérisseuse, un petit rire moqueur.

    Brusquement la peau de l'entrée se souleva pour laisser passer un homme de forte stature couvert de fourrure. La vieille femme fronça les sourcils.

      « Pour qui te prends-tu pour pénétrer ici, Oubu ? » gronda-t-elle.
      « On m'a dit que l'étranger se réveillait. J'ai des projets pour eux. »
      « Personne ne t'a nommé chef que je sache. Tu n'as aucun droit sur eux. »
      « Ce n'est qu'une question de temps vieille femme. Qu'une question de temps. »
      « Personne ne sera assez fou pour te soutenir. »
      « Au contraire vieille femme. J'avais bien dit qu'ils apporteraient le malheur et malgré mes conseils avisés notre chef les a accueillis. Et maintenant ? Il est mort. » Il fit une pause avant d'ajouter « Il se dit même que l'âge commence à te faire perdre la raison, vieille femme. »
      « Racontars de commères que cela » se défendit-elle.
      « Peut-être. Qui peut dire si la guérisseuse est encore assez saine d'esprit pour savoir si elle est folle ? »
      « Malotru ! » Tonna-t-elle.
      « Ta parole est de plus en plus remise en question vieille femme. Et moi ? On m'écoute de plus en plus. Ce n'est qu'une question de temps vieille femme. Une question de temps. »

    L'ancienne devint rouge de colère mais se retint d'exploser.

      « Je ne te laisserai pas les sacrifier à ton 'Grand Œil' » répliqua-t-elle avec dédain.
      « Les sacrifier ? Non. J'ai autre chose en tête. Un marché plutôt. »

    La vieille femme parut surprise. Oubu promena son regard sur les trois étrangers. Un inconscient, un faible rohir prêt à pleurer de douleur et une femme au joli minois mais qui semblait assez robuste pour le travail qu'il comptait lui confier.

      « Quel marché ? » demanda Carild à la surprise générale.
      « Oh ! On m'avait dit que tu étais muette mais je constate avec émerveillement que cela est faux et que tu nous comprends parfaitement. Tu seras parfaite. » s'extasia Oubu.
      « Quel marché ? » insista la jeune femme.
      « Juste une toute petite mission à accomplir un peu loin d'ici. Dans une cité que l'on appelle Dol Amroth. Nos amis d'Umbar t'aideront à arriver jusque là-bas. »
      « Et la mission ? »
      « T'infiltrer dans la cité et tuer une certaine personne bien sûr. » répondit-il avec un grand sourire.

    Carild tiqua. Au ton de l'individu, elle comprit qu'elle serait seule pour cette mission qui s'annonçait suicidaire.

      « Et pour eux ? » demanda-t-elle en désignant ses deux compagnons de la tête.
      « Une monnaie d'échange. Si ta cible meurt, ils seront libres de partir où bon leur semble. Si tu échoues ou que tu prends trop de temps, le Grand Œil sera heureux de voir un nouveau bûcher s'allumer en son honneur. »

    La vieille femme frémit. Etheocred observait tour à tour les différents protagonistes. Il ne comprenait rien mais il se passait quelque chose d'important c'était sûr. Carild prit un petit temps de réflexion avant de relancer la discussion.

      « La cible ? »

    Sentant que le contrat était conclu, Oubu montra une nouvelle fois le sourire à travers lequel transparaissait sa satisfaction malsaine.

      « Un chevalier au cygne de haut rang. Le seigneur Nosthelion. » Il cracha presque le 'seigneur'. « Il est possible qu'il soit en mer. Et peut-être même sur le navire qui vous abordera. Mais il faudra attendre d'être dans la ville pour le tuer. Que chacun puisse voir son cadavre. »
      « Abordera ? »
      « Dol Amroth est une ville portuaire mais je doute qu'ils laissent un bateau d'Umbar accoster. » répondit-il d'un rire moqueur. « Tu seras mêlée aux autres esclaves du bord et ces gentils petits chevaliers te libéreront lors de l'assaut avant de te ramener en ville. »

    La vieille femme s'étonna.

      « Les marins d'Umbar sont-ils si fous pour trouver des volontaires pour se sacrifier ? »

    Oubu éclata de rire.

      « Ces marins-ci ne sont bien sûr absolument pas au courant qu'ils seront abordés. Ils croient juste qu'ils vont piller la côte de Belfalas sans se douter un instant qu'ils sont sur le trajet d'une patrouille. Ils n'auront bien entendu aucune chance. »

    L'haradrim reprit soudainement son sérieux.

      « Mais attention ! Que quelqu'un leur apprenne leur destin et les flammes lécheront les orteils de ceux-ci » dit-il en désignant les deux étrangers.

      « Considère déjà ton seigneur Nosthelion comme un homme mort. » répondit la jeune femme. « Mais s'il leur arrive quoi que ce soit, ce sera toi qui demanderas à finir au bûcher après que je me sois occupée de toi. »

    Oubu montra une nouvelle fois son sourire que Carild jugea définitivement agaçant, puis sortit de la cabane. La vieille femme s'approcha de l'étrangère.

      « C'est une mission suicide. Si tu réchappes à l'abordage, tu te feras tuer par les gardes après avoir accompli ta mission. »
      « Je sais... »
      « Je te promets de faire tout mon possible pour qu'il tienne sa promesse de les libérer. »

    Carild posa un baiser sur le front de la vieille guérisseuse en guise de remerciement. De même elle vint poser un baiser sur le front de son frère inconscient. Pour finir elle se rapprocha d'Etheocred qui ne comprenait toujours pas ce qu'il se passait.

      « Qu'est-ce qu'il voulait cet énergumène ? Je ne comprends rien à cette langue barbare. »
      « Tu se taire ! Tu pas comprendre mais beaucoup nous comprendre toi langue barbare. » gronda la vieille femme en langue commune à la grande surprise du rohir.

    La jeune femme ne put s'empêcher de rire, chose qu'elle croyait avoir oubliée.

      « Écoute grand bêta. Je vais devoir m'en aller pendant qu'ils vous garderont en otage. Alors ne joue pas au bravache ni au héro. Tu n'es pas fait pour ça. Si je remplis mon rôle vous pourrez partir d'ici. » lui dit-elle.
      « Où vas-tu ? »
      « Dol Amroth. Mais si tu arrives à te sortir d'ici ce ne sera pas la peine de me chercher là-bas. Je n'y serai sans doute pas en odeur de sainteté. »

    La jeune femme prit une inspiration avant de poursuivre.

      « Écoute... Je ne sais même pas ce que tu fais là ni même comment nous sommes arrivés ici mais je sens qu'on te doit la vie. J'aimerais encore te demander quelque chose. Veille sur mon frère jusqu'à ce qu'il se réveille et apprends-lui la situation. Il saura sûrement vous ramener en sécurité. »

    Le rohir jeta un œil sur l'homme allongé. Ainsi donc ce n'était que son frère.

      « Je le surveillerai pour toi. »

    Carild sourit.

      « Et ne joue pas au héro. Si ça devient vraiment trop dangereux, sauve-toi. Mais pour l'instant tu es plus en sécurité ici. »

    La jeune femme déposa un baiser sur son front en guise d'adieu. Avant qu'elle eut pu se redresser, Etheocred plaqua une main sur sa nuque et l'attirant à lui, l'embrassa avec passion. Son premier  réflexe aurait dû être de se débattre mais... ce n'était pas si désagréable... et puis, ce serait sans doute le dernier baiser auquel elle aurait droit. Sans doute...

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#12 24-12-2015 11:21:47

Orolhion Martelame
Maitre Ferronnier

Re : Un cheval de bois

[hrp]Pfff il a mis du temps à venir celui-là, mais au moins il est là pour noël wink Bonne lecture et Joyeux noël[/hrp]



Liberté


    Les cris des oiseaux de mer emplissaient le ciel en ce beau jour. Le vent charriait des gouttelettes d'écume et l'iode marine venait agréablement picoter le nez.

    C'était encore une belle journée dans la cité portuaire.

    En tendant l'oreille du côté de la citadelle des chevaliers au cygne, on pouvait percevoir un léger son de flûte. Cette mélodie si l'on s'attardait trop à y prêter attention, vous emportait l'âme et vous faisait sombrer dans la tristesse, comme si le ciel, les oiseaux et la mer n'existaient pas.

    Dans la chambre qui lui servait de cellule, la jeune mère évacuait toute sa peine au travers de son instrument. Assise sur le rebord d'une fenêtre, évidemment bien trop haute pour espérer s'enfuir par celle-ci, Mildwyn battait la mesure en agitant ses jambes dans le vide. Et peu importe si une bourrasque de vent risquait de lui relever sa robe, à cette hauteur elle ne risquait pas d'être aperçue de grand monde. En fait peu lui importait tout court. Et pour quoi que ce soit.

    Cela faisait trop longtemps qu'elle était à nouveau seule. Son mari était encore une fois parti à l'aventure et elle avait dû fuir avant son retour. Et voilà qu'on lui avait aussi enlevé son unique enfant, sa fille chérie. Le choc passé, elle refusa d'abord d'y croire, se persuadant même que la petite se cachait par jeu. Elle avait fichu un sacré capharnaüm en retournant toute la chambre pour la chercher. Quand elle réalisa enfin qu'elle n'était plus là, la colère la submergea. Elle acheva de renverser les meubles et quelques-uns passèrent même par la fenêtre. Elle martela violemment la porte et les murs, espérant les faire céder sous son ire. Elle agressa même la servante qui lui apportait son repas pour s'enfuir mais fut rapidement rattrapée par la garde.

    Depuis peu, ses crises de colère s'étaient atténuées. À la place, une profonde tristesse l'avait envahie, qu'elle tentait d'évacuer au travers de la musique. Ses journées se passaient ainsi, assise sur le rebord de la fenêtre, la flûte aux lèvres à attendre. Attendre quoi ? Peut-être qu'une rafale de vent l'emporte. Non pas encore. La petite flamme de l'espoir n'était pas encore soufflée.

    Quelqu'un frappa à la porte. Elle les ignora.

    Trois nouveaux coups. Les avait-elle seulement entendus ?

    La porte s'entrouvrit doucement.

    Dans l'encadrement de la porte se tenait Baradan, le chevalier au cygne qui l'avait capturée. Mildwyn ne se donna même pas la peine de le regarder. Elle continua de jouer comme si de rien n'était. L'homme était déjà passé plusieurs fois pour voir comment elle allait et ne s'inquiétait plus de la voir si proche du vide. Toutefois, il insista pour qu'elle revienne à l'intérieur de la pièce.

    Il se sentait un peu coupable de la tenir captive alors que son seul crime fut d'épouser la personne qu'il ne fallait pas. Il savait qu'il allait se sentir encore plus coupable après ce qu'il voulait lui annoncer. Si cela n'avait tenu qu'à son grand-père, il n'aurait assurément rien pu dire mais celui-ci était absent et il avait pris sur lui d'annoncer la nouvelle à la jeune femme.

    La jeune femme s'était assise sur le lit mais gardait le regard tourné vers la fenêtre. Baradan soupira. Il eut préféré qu'elle tourna son attention vers lui mais il savait que l'éloignement d'avec sa fille lui était encore trop douloureux. Il tira une chaise puis s'installa pour faire face autant que possible à la jeune femme.

      « Dame Mildwyn... Je dois m'entretenir avec vous d'une chose importante. »

    Aucune réaction de la part de la jeune femme. On aurait même pu se demander si elle avait seulement entendu, mais le chevalier était sûr qu'elle l'écoutait.

      « Dame Mildwyn... Mon grand-père, le seigneur Nosthelion a fait envoyer des hommes jusqu'à votre lointaine maison. Il espérait que votre époux aille vous y retrouver après son expédition. Ces hommes sont rentrés ce matin. »

    La jeune femme tourna immédiatement la tête vers son interlocuteur. Les soldats l'avaient-ils trouvé ? Peut-être l'avaient-ils même ramené avec eux ? Même si son mari était un homme fort, elle craint qu'ils ne lui aient fait du mal pour le forcer à les accompagner.

      « Dame Mildwyn... Je... J'ai.... » Le chevalier lâcha un nouveau soupir. « Ces hommes ont fait une découverte chez vous. »

    Baradan garda le silence quelques instants pour guetter les réactions de la jeune femme. Celle-ci ne semblait pas comprendre où il voulait en venir. Son sentiment de culpabilité se renforça encore. Il n'échapperait pas à l'annonce qu'il devait faire.

      « Ils ont trouvé des cadavres chez vous. La décomposition avait déjà commencé à faire son œuvre mais ils sont persuadés que... » Un nouveau soupir. « Ils sont persuadés que votre mari fait partie des corps découverts. »

    Ça y est, les mots étaient lâchés. Le chevalier se sentit coupable de ressentir du soulagement. Il fut surpris de voir que la jeune femme ne réagissait pas. Peut-être le savait-elle déjà en son for intérieur.

    Lentement, Mildwyn se releva et prit sa flûte. Toute émotion semblait l'avoir désertée, même la tristesse qui l'habitait auparavant. Baradan n'était pas rassuré quand il la vit se rapprocher à nouveau de la fenêtre. Il se tint prêt à bondit pour la rattraper au cas où elle ferait un geste désespéré. Il sembla qu'il n'en eut pas besoin. Calmement la jeune femme s'assit sur le rebord, cala son dos contre le montant et tira une nouvelle mélodie de sa flûte. Si son corps n'arrivait pas à exprimer d'émotions, sa musique vous fendait le cœur.

    Le chevalier fut envahi par la tristesse de la jeune femme, à tel point qu'il ne put empêcher quelques larmes de couler. Il ressentit aussi à travers la mélodie que malgré sa souffrance, Mildwyn tiendrait bon. Ce n'était certainement pas son premier coup dur et malgré le fait qu'elle venait sans doute de subir de terribles pertes, elle saurait faire face. Baradan se releva puis s'inclina vers la jeune femme.

      « Dame Mildwyn... Je vais vous laisser en paix pour faire votre deuil et reviendrai plus tard pour m'assurer que vous ne manquiez de rien. »

    Aucune réponse à part la musique toujours aussi déchirante. Il se retourna et se dirigea vers la porte qu'il ouvrit. Une violente bourrasque s'engouffra dans la pièce.

    Un cri de terreur remplaça la musique.

    Baradan se retourna vivement pour se rendre compte que Mildwyn avait disparu. Il aperçut les doigts de la jeune femme qui luttaient désespérément pour s'agripper à la pierre tandis qu'il se précipitait vers elle.

    Les doigts glissèrent.

* * *

    Etheocred n'avait pas pu fermer l’œil de la nuit. Après leur baiser, Carild était sortie de la hutte et il avait voulu la suivre. Malheureusement pour lui, une espèce de brute semblait garder l'entrée et l'avait violemment rejeté à l'intérieur. Il n'eut pas besoin qu'on lui explique pour comprendre que dorénavant ils étaient confinés, lui et le frère de la jeune femme, entre ces murs.

    Les pensées du rohir n'avaient eu de cesse de tourner autour du destin de la femme qui avait ravi son cœur. Où était-elle ? Quelle mission avait-elle dû accepter pour garantir leur sécurité ? S'en sortirait-elle ? L'aimait-elle ?

    Alors que la matinée était déjà bien avancée, il se rendit enfin compte de la fatigue qui le rattrapait. Tout en baillant à s'en décrocher la mâchoire, il dirigea son regard cerné vers la paillasse qui lui était réservée. Après tout, il ne pouvait rien faire de ses journées alors personne ne lui en voudrait s'il se permettait de faire la sieste à cette heure-ci. Pas lui du moins. Il se coucha sur le côté, prêt à sombrer dans le sommeil quand ses yeux se posèrent sur Orolhion, toujours inconscient. Du moins c'est ce qu'il semblait mais le rohir se demandait s'il ne jouait pas la comédie vu le coup qu'il avait reçu la veille. Tout en grommelant sur sa dent perdue, il se retourna pour ne pas voir l'homme qu'il avait pourtant promis de surveiller. Le sommeil le cueillit presque instantanément.

    Etheocred se réveilla brusquement en pleine nuit. Quelqu'un le secouait pour le réveiller. En se retournant il aperçut un visage flou éclairé par une bougie au dessus de lui. Il lui fallut quelques secondes pour reconnaître la vieille femme qui semblait pressée.

      « Debout feignant ! Lève-toi sans un bruit. C'est urgent ! » chuchota-t-elle dans sa langue.

    Le rohir secoua la tête. Il ne comprenait pas un mot de ce qu'elle lui disait. Elle semblait au bord de la panique mais lui était encore trop endormi pour réussir à bouger. La guérisseuse soupira puis parla dans un westron approximatif :

      « Tu lever rapide ! Tu et il danger ! Oubu mentir ! »

    Trop fatigué pour réussir à se précipiter, Etheocred se redressa lentement, prenant le temps de s'étirer. L'ancienne commença à l'invectiver, à lui tirer sur les vêtements comme pour le sortir plus vite du lit.

      « Tu danger ! Rester ici mourir ! Fuir rapide ! Oubu sacrifier tu et il ! Fuir rapide ou mourir sacrifice Grand Oei... »

    Des gargouillis sanglants s'échappèrent de la gorge de la vieille femme. Le rohir resta stupéfait. Il n'avait pas vu Oubu s'introduire dans la cabane et pourtant il se tenait derrière l'ancienne qui s'accrochait désespérément aux vêtements d'Etheocred pour ne pas chuter. Alors qu'elle finit par s'écrouler, il aperçut une dague, dont la garde s'ornait d'un serpent, dépasser d'une omoplate. L'haradrim ne put s'empêcher d'afficher son sourire mauvais devant l'air ahuri qu'affichait l'homme face à lui.

      « Trop tard fuir. » siffla Oubu.

    Etheocred recula un peu plus au fond sa paillasse.

      « Oh ! Étranger tuer guérisseuse. Triste. Je capturer assassin. »

    Même s'il s'exprimait mal, le rohirrim comprit qu'il comptait lui faire porter le chapeau pour l'assassinat de la vieille femme.

      « Brûler étrangers tu et il honneur Grand Oeil. » s'esclaffa-t-il presque.

    Etheocred tenta de se relever pour essayer de fuir mais ses jambes refusèrent de le porter. En riant, Oubu sortit une seconde dague dont la lame luisait d'une étrange substance jaunâtre. Il fut inutile à son adversaire d'être expert pour comprendre que la lame était enduite de poison et que l'haradrim comptait l'immobiliser avec pour rendre le sacrifice plus aisé.

    Bien vite le rohir se retrouva dos à un mur, incapable de reculer plus devant l'assassin qui avançait tout sourire. Celui-ci arma son coup. Etheocred ferma les yeux. On n'entendit qu'un léger cri étouffé.

    Oubu se retourna, le visage crispé. Derrière lui se tenait un homme amoindri qui tenait à peine sur ses jambes. Toutefois il avait quand même eu assez de force. Ses jambes finirent par céder et il tomba en avant, emportant dans sa chute l'homme encore trop faible pour s'écarter. Dans le dos de l'haradrim dépassait la dague qu'il avait précédemment utilisé sur la veille femme.

    Il fallut quelques longues minutes pour qu'Orolhion retrouve assez de force pour s'extirper de sous le cadavre. Prostré contre le mur Etheocred n'en revenait toujours pas.

      « Il va falloir que tu m'aides, qui que tu sois, si on veut s'échapper d'ici. » Lui dit l'homme en reprenant difficilement son souffle. « J'ai à peine assez de force pour tenir debout alors il va falloir que tu suives le plan de l'ancienne si on veut fuir. »

    Etheocred sursauta.

      « Que... Quel plan ? Elle n'a rien eu le temps de me dire avant de se faire... Et vous dormiez jusque là... Comment... ? »

    Orolhion le coupa.

      « Je me suis réveillé dans l'après-midi. La vieille femme m'a rapidement expliqué la situation et m'a dit de continuer à faire semblant d'être inconscient jusqu'à ce qu'elle nous dise de fuir. »

    L'homme retourna le cadavre d'Oubu et se saisit de la dague empoisonnée.

      « Elle m'a dit qu'elle avait caché des provisions et de l'eau à côté de nos chevaux et qu'il nous faudrait fuir vers le nord, dès qu'elle aurait trouvé un moyen de nous les emmener. Le soucis qu'elle avait, c'est le garde à l'entrée de la hutte. On a d'ailleurs de la chance qu'il ne soit pas venu jeter un coup d'œil. »
      « Mais dans votre état vous ne pourrez jamais le vaincre ! Même avec une dague empoisonnée. »
      « En effet. C'est pour ça que tu t'en occuperas et que tu iras chercher les chevaux. » répondit-il en jetant la dague à côté du rohir.
      « Moi ?! » S'étrangla-t-il presque. « Mais je ne sais pas me battre ! Et encore moins tuer quelqu'un ou me faufiler discrètement ! Je ne suis qu'un marchand. » Protesta-t-il.
      « Alors on a plus qu'à attendre de finir au bûcher. Sinon tu peux toujours frapper dans le dos juste sous les côtes en remontant pour percer le poumon, comme ça il ne peut pas crier et donner l'alarme. »

    Orolhion pointa un endroit sur le cadavre à côté pour désigner l'endroit à viser.

      « Au pire, le poison fera sans doute l'affaire pour peu que tu le touches. »

    Etheocred regarda la lame une longue minute puis finit par la saisir. Que risquait-il au pire ? Se faire tuer en tentant de s'enfuir ? Ce serait toujours mieux que de finir brûlé vif.

      « Vas-y doucement. Et s'il tombe, cache-le à l'intérieur de la hutte. » L'encouragea Orolhion.

    Lentement, le rohir écarta la peau qui fermait l'entrée. Le garde lui tournait le dos, trop occupé à surveiller que personne ne vienne s'intéresser de trop près aux affaires de son maître. Il inspira profondément, se concentra sur le point qu'il devait atteindre puis ferma les yeux et frappa. La dague pénétra les chairs, ripa sur une côte puis finit par s'enfoncer jusqu'à la garde.

    Etheocred ouvrit brusquement les yeux quand il sentit la dague s'arracher de sa main. Il aperçut alors le garde qui s'était retourné à moitié vers la source du coup. Le coup avait porté et l'arme se trouvait encore dans le corps de sa victime mais l'attaque, mal portée, n'avait pas eu l'effet escompté. Le garde le regarda d'un œil mauvais, prêt à frapper à son tour, quand tout à coup ses yeux se révulsèrent et il s'effondra dans les bras du rohirrim encore pétrifié de peur.

      « Dans la hutte ! Vite ! »

    Reprenant ses esprits après l'injonction d'Orolhion, le rohir s'exécuta et rentra le garde inconscient à l'abri des murs.

      « Les Valar sont avec nous. Le poison était rapide. » marmonna le forgeron.

    Orolhion tira la dague de la plaie puis la renfonça immédiatement au niveau du cœur. Encore une fois Etheocred se figea de stupeur. Le forgeron sentit la colère monter en lui devant l'attitude du rohirrim.

      « Je te rappelle qu'ils veulent nous brûler vifs. Si tu veux survivre il faut se montrer sans pitié sinon pire qu'eux. Et maintenant va chercher les chevaux qu'on parte d'ici au plus vite. »

    Etheocred commença à se demander si finir au bûcher ne serait pas préférable que de fuir avec ce fou furieux. Puis il se rappela qu'il était le frère de la femme qu'il aimait. S'il n'avait pas été doué pour tuer, il l'avait été déjà beaucoup plus pour se faufiler discrètement jusqu'à l'enclos aux chevaux. Comme lui avait dit Orolhion, la vielle femme avait caché derrière une botte de foin des sacoches pleines de vivres. Il chercha Rouflaquette, sa petite jument qu'il harnacha comme il put. Il se retourna ensuite pour chercher un autre cheval assez robuste pour porter l'autre fuyard mais il fut surpris de voir que deux chevaux s'étaient rapprochés très près de lui. C'est alors qu'il reconnut les équidés qui les avaient aidés à sortir de la crypte. Ils s'étaient rebâtis une santé depuis la dernière fois qu'il les avait vus. Lui qui ne cherchait que deux montures, voilà que trois animaux voulaient le suivre. Il se dit alors que si la troisième portait les vivres, cela allégerait d'autant les autres.

    Aussi discrètement que possible, il guida les chevaux jusqu'à la cabane. Quand Orolhion sortit, l'étalon vint appuyer sa tête contre son torse.

      « Danseur... C'est bon de te revoir mon ami... » Lui chuchota le forgeron tout en lui flattant l'encolure. « Allons-y. Il nous reste quelques heures avant l'aube. Mettons autant de distance que possible avant que l'alerte ne soit donnée. Avec un peu de chance ils seront trop désorganisés pour s'intéresser de suite à nous. »

    À la lueur des étoiles, les cavaliers galopèrent plein nord.

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